Olivier El Khoury

La chronique d’Olivier El Khoury: Standard, sous les travées la rage

Olivier El Khoury Ecrivain, supporter et fidèle milieu de terrain en P4.

Je suis devenu comme mon père le dimanche. Toute la journée, je me cale dans mon canapé, je regarde du foot à en devenir bête, je m’endors avec la joue sur l’épaule pendant les mi-temps, je consulte les résultats de matches dont je n’ai pas grand-chose à faire sur mon téléphone pendant que je regarde un match dont je n’ai pas grand-chose à faire sur l’écran de la télé. Et j’attends que ma compagne rythme ma journée en m’appelant quand la bouffe est prête.

Sauf que moi, j’ai le Covid, donc une bonne excuse pour agir comme un mec qui attend que sa femme demande le divorce. Je me suis réveillé en pleine nuit trempé jusqu’aux os, tremblant à en réveiller ma copine, avec une scie à la place du cerveau et comme de l’ouate dans tous les orifices qui me permettent normalement de respirer. Le matin, j’ai acheté un autotest en pharmacie. La pharmacienne m’a expliqué comment l’utiliser, elle a mimé le coton-tige qui rentre dans le nez, j’ai demandé s’il n’y avait aucune chance que je me trompe de conduit, elle m’a souri en disant, au pire, il ressort par l’autre narine, ce qui m’a glacé le sang. Mais je l’ai fait quand même et j’étais positif.

Il faut être de mauvaise foi pour ne pas comprendre les raisons des débordements au Standard.

Je me suis donc calé dans la position qui allait être la mienne pendant les dix prochains jours. Les pieds sur la table du salon et le dos vissé dans le coussin le plus moelleux pour atténuer la sensation d’avoir 107 ans. Impossible de regarder un film ou de lire un livre, la seule option pour me divertir, c’était le foot, décidément. Le matin, j’ai regardé la série All or nothing sur la Juve, où j’ai appris que CristianoRonaldo a la vie la plus triste du monde et qu’ AndreaPirlo semble perpétuellement plus triste que la vie de Ronaldo. J’ai tenu une demi-saison avant de me rendre compte à quel point ça m’abrutissait. J’attendais le début d’après-midi pour du football en live, quel qu’il fût: espagnol, italien, anglais, belge, même français. Et alors que mon corps me lançait malgré l’effet de l’Ibuprofen, mon cerveau semblait fondre comme si j’avais écouté trois albums de Jul d’affilée.

Puis il y a eu Standard-Charleroi, mais ça, faut pas déconner. J’ai pas encore atteint le niveau de mon père en termes d’ennui ou d’abandon de moi-même. J’ai entendu une bonne partie de la presse et du milieu condamner lourdement les débordements des supporters avec les habituels qualificatifs: « honteux, grave, dangereux », etc. Par curiosité, j’ai fini par regarder les images. Mais davantage que l’offuscation, évidemment de mise, je suis fasciné par ces réactions scandalisées.

Oui, il y avait des mecs pas contents qui ont balancé des fumigènes et ont envahi le terrain. Déjà, il faut être de mauvaise foi pour ne pas comprendre les raisons de ces débordements. Ça s’appelle la colère. Mes potes rouches ne vont plus « au temple », ils vont « manger leur pain noir » pendant que leur direction se gratte le cul avec leur club.

Mais surtout, qui s’étonne de la violence dans notre monde? Pire, qui s’étonne encore de la violence dans le foot où tout peut parfois être violent, de la presse aux salaires des joueurs en passant par les attitudes des joueurs envers les adversaires ou le corps arbitral. Venez en provinciales compter les matches arrêtés, les commentaires racistes, les menaces de mort, les bagarres de buvette. Pourquoi le foot serait épargné alors qu’il est lui-même un laboratoire banalisé de violence, de rapports de force, de démonstration de virilité?

Alors oui, bien sûr, ça me désole. Mais les cagoules de supporters sont moins impressionnantes depuis qu’on porte tous des masques et les fumigènes font moins taches quand on vit dans un monde qui brûle. En tout cas, moi, du fond de mon fauteuil et abruti par des heures de foot, ça ne m’étonne même plus. Et c’est peut-être ça le plus dangereux.

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