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La chronique de Swann Borsellino: existe-t-il une double casquette journaliste et supporter ?

Swann Borsellino

La chronique hebdomadaire de Swann Borsellino.

C’est un rituel dont j’espère ne jamais me lasser. Depuis quatre saisons maintenant, je suis voisin de tablée d’ Alex Teklak sur le plateau de la Ligue Europa, dans le studio de la RTBF. Une fois les plateaux terminés, nous allons dans une petite salle où Jonathan Anciaux, notre éditeur, met des images de côté main dans la main avec Alex, pour qu’avec l’opérateur-palette – ce jeudi, c’était Anthony, on ne parle pas assez de ces personnes – le Tek puisse transmettre sa science du jeu aux téléspectateurs. Tantôt, c’est pour montrer une supériorité numérique au milieu du terrain, tantôt pour souligner l’adaptation d’un entraîneur dans une situation précise, par exemple celle de Vitor Pereira, coach de Fenerbahçe, face à l’Antwerp de Brian Priske ce jeudi. Une vision analytique du football que je partage et que j’essaye modestement de transmettre, par exemple samedi, lors du Box-to-box d’ Eleven, où l’on voit défiler quatre matches de Pro League à la suite, ou le dimanche, pour préfacer le Clásico espagnol. C’est ce que l’on nous demande: donner des clés de compréhension, des points de vue, apporter une valeur ajoutée, un avis raisonné, basé sur quelque chose. Mais c’est vite oublier que j’aime le foot pour des raisons beaucoup moins objectives. Alors ce dimanche, après une semaine intense de visionnage de match « pour le travail », j’ai lâché ma casquette de journaliste-consultant et enfilé celle que je porte depuis petit: celle de passionné et de supporter.

Dans un monde où on nous sert de plus en plus de football, il apparaît essentiel de garder ces moments de passion pure.

J’ai mis cette casquette dans le Thalys. J’ai pressé le pas depuis les locaux d’ Eleven pour rejoindre la gare du Midi et à 20h05, celui-ci était arrivé en Gare du Nord, à Paris, pour que je puisse y rejoindre des amis afin de… supporter l’Olympique de Marseille. Vous n’avez sans doute pas pu le voir, mais vous n’étiez pas sans savoir que parmi les grandes affiches de football du week-end, il y avait le Classique français entre l’OM et le PSG. Je travaille dans le monde du football depuis douze ans, et si parfois, on peut être lassé de devoir regarder certains matches, ceux de Marseille ont toujours constitué ma récréation de la semaine. Mon refuge de passion, finalement. Même dans la défaite. Un match de l’OM, avec mon père ou les copains, c’est un retour au droit de ne pas être objectif, un aller simple pour la mauvaise foi et l’autorisation de ne pas faire attention à tous les détails du jeu. C’est une piqûre de rappel du pourquoi j’aime le foot et de la chance que l’on a de faire ce métier, mais également un moyen de se rappeler que j’aime trop le football pour un jour risquer l’overdose. Dans un monde où on nous en sert de plus en plus et où j’ai la chance de pouvoir vous en parler, il apparaît essentiel de garder ces moments de passion pure. Ce fut le cas ce dimanche soir.

Il y a un mythe autour des journalistes et des consultants. On les taxe souvent de supporter un club, d’en détester un autre. J’avoue avoir la chance de travailler dans un pays qui n’est pas le mien et où je ne peux être accusé ni de l’un ni de l’autre. Mais j’avoue aussi qu’à l’époque où je travaillais justement en France, j’avais plutôt tendance à être plus dur que complaisant avec l’OM, dans le sens où on attend toujours plus de ceux que l’on aime. Je n’ai pas de souci à dire que je supporte cette équipe et je n’ai jamais jugé que cela posait un problème dans mon métier, que j’ai toujours fait du mieux possible. Au contraire, je juge que supporter sincèrement une équipe permet aussi de comprendre le degré de passion nécessaire à la retransmission d’un événement et de comprendre ce que vivent tels ou tels fans. Ce dimanche soir, dans un bar du centre de Paris, j’ai par exemple grimpé sur un banc, manqué de jeter ma bière dans les airs et serré un inconnu dans mes bras quand ArkadiuszMilik a ouvert le score. Puis j’ai vécu le but annulé par le VAR dans la peau d’un supporter. Ensuite, j’ai gueulé sur Neymar quand il restait au sol, réclamé la carte rouge pour AchrafHakimi, pointé du doigt là où les joueurs de mon équipe devaient donner le ballon et pensé que je pouvais mieux faire que KonradDeLaFuente sur le centre de DimitriPayet. Puis vu que le naturel revient très vite, j’ai analysé la mi-temps et la fin de match avec un ami, disant que l’on était trop timides, pointant telle ou telle zone comme une faiblesse de l’OM, avant de rentrer chez moi. En fait, je vous parlais de double casquette, mais je n’en ai qu’une: celle d’un type qui aime le ballon plus que beaucoup, beaucoup de choses. D’ailleurs, je vous mens: je ne vous parle de rien, car je n’ai plus de voix.

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