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Justine Vanhaevermaet (Red Flames) VS les inégalités: « Le football féminin, c’est le futur »

Aurelie Herman
Aurelie Herman Journaliste pour Sport/Foot Magazine

Depuis 2019, Justine Vanhaevermaet est devenue l’un des pions incontournables des Red Flames. Alors que la campagne de qualif’ pour le Mondial 2023 se poursuit ces jeudi 25 et mardi 30 novembre, la milieu de terrain passe à table avant des rencontres capitales contre l’Arménie et la Pologne.

Quand il s’agit de l’ouvrir pour dénoncer les inégalités de traitement qui subsistent entre foots masculin et féminin, c’est généralement Tessa Wullaert ou Kassandra Missipo qui s’y collent. Dans le sillage de ses équipières en sélection, Justine Vanhaevermaet (29 ans) n’hésite pas elle non plus à s’exprimer sur l’avenir d’une discipline en plein boom depuis plusieurs années, mais au sein de laquelle les inégalités flagrantes et petites vexations quotidiennes restent la norme. Entretien avec le sourire vissé aux lèvres, mais les convictions chevillées au corps.

Tu es arrivée en août à Reading, qui évolue en Women Super League, la première division anglaise. Une compétition où la plupart des grands clubs masculins sont également représentés. On voit que l’Angleterre est très avancée à ce niveau?

JUSTINE VANHAEVERMAET: Oui et c’est super important de voir des clubs comme Arsenal, Chelsea, ou encore Manchester City investir, car on a besoin de grands noms. Ça donne une dimension supplémentaire à ces équipes. Ils voient que le foot féminin, c’est le futur, que ça grandit de façon massive et qu’ils ont tout intérêt à prendre le train en marche. Côté public aussi, c’est différent de ce que j’ai connu en Belgique et même en Norvège. En général, on a un bon millier de supporters qui viennent nous voir.

Depuis cette année, la BBC et Sky Sports investissent quelque 9,5 millions d’euros par saison sur la compétition anglaise. Les audiences sont d’ailleurs très satisfaisantes. Encore une preuve que ça avance bien outre-Manche.

VANHAEVERMAET: Il faut que les gens voient du foot féminin. En Angleterre, la télé branchée sur Sky 24h/24, ça fait partie du foyer des gens. Des gens qui vont voir que les matches féminins sont agréables à regarder et ça ne va faire qu’augmenter l’intérêt.  » If you can see it, you can be it« . C’est une citation à laquelle je crois beaucoup. Si de jeunes filles voient nos matches, elles vont peut-être vouloir commencer le foot. En plus, des études ont montré que si on mise sur le sport féminin, il y a un intérêt suffisant pour obtenir un retour sur investissement. C’est juste la réalité. C’est un cercle vertueux, en fait: il faut donner les mêmes infrastructures, les mêmes staffs, les mêmes possibilités de s’entraîner aux jeunes filles que ce qu’on offre aux jeunes garçons. Pour qu’elles deviennent encore meilleures. Si tout ça se met en place, le niveau va augmenter, donc encore plus de gens vont s’y intéresser, ça sera diffusé encore plus massivement et ça amènera plus d’argent. Mais pour l’instant, les jeunes joueuses manquent encore de perspectives, notamment au niveau financier. Et ça, ça doit changer.

Certaines joueuses sont peut-être trop vite contentes de ce qu’elles ont et ne s’imaginent pas sortir de leur zone de confort. »

Justine Vanhaevermaet

Le souci aussi, n’est-ce pas aussi que le foot féminin est écrasé par le foot masculin, qui est diffusé à flux continu?

VANHAEVERMAET: Oui, c’est vraiment une question d’offre et de demande. Beaucoup de gens regardent les hommes, donc ça génère énormément d’argent qui revient aux joueurs. Et on en revient à ce cercle vertueux entre formation, niveau, intérêt et donc argent. Le fait que les matches de Ligue des Champions soient dispos gratuitement sur DAZN et en soirée, et plus en plein milieu de l’après-midi quand les gens travaillent, c’est comme ça que ça doit se faire. Et en plus, ce n’est pas un match avec une seule caméra et sans commentaire, comme ça se fait encore en Belgique.

« Les gens ne SONT PAS TOUJOURS au courant de ce qu’on vit en tant que joueuses »

Là, on a parlé de l’Angleterre, on en est encore loin en Belgique où il n’y a qu’une poignée de joueuses qui sont pros. Et seulement 41.000 filles ou femmes qui jouent au foot contre 160.000 aux Pays-Bas, par exemple.

VANHAEVERMAET: C’est pour ça qu’il est important que la Fédération investisse dans les Love Football Cups ( une initiative de l’Union belge destinée aux jeunes filles de sept à onze ans, ndlr), pour élargir la base de la pyramide et attirer les filles vers le foot. Des études montrent qu’elles ont plus tendance à arrêter la pratique du sport, encore quelque chose qui doit changer.

Le fait de voir les Red Flames plus présentes dans les médias, ça fait de vous des role-models, c’est aussi une façon d’élargir la base de la pyramide?

VANHAEVERMAET: Je suis très fière d’endosser ce rôle, car je n’ai jamais eu de modèle féminin quand j’étais jeune. Moi, je regardais Zinédine Zidane et Kaká. Ces derniers mois, voire années, on a plus de poids. Les gens parlent plus de cela, et c’est important de mettre tout ça en lumière, comme de montrer quelle est la réalité du foot féminin. Tessa Wullaert le fait très bien. Et on doit le faire, car si on n’en parle pas, les gens ne réaliseront pas toutes ces différences qui subsistent. Je ne pense pas qu’ils soient toujours au courant de ce qu’on vit. Ils s’attendent à nous voir gagner contre des pays comme la Norvège alors qu’on n’est pas au même niveau en termes de professionnalisme.

Comment expliques-tu qu’il y ait beaucoup plus d’engouement en Flandre qu’en Wallonie autour de vous?

VANHAEVERMAET: Sans doute parce que le noyau est essentiellement composé de Flamandes. Pourquoi? Je suppose que c’est parce qu’il y a plus d’équipes du top qu’en Wallonie, où il y a juste le Standard et depuis peu Charleroi. Anderlecht est un peu entre les deux. Forcément, si on a plus d’équipes près de chez soi, c’est plus facile d’avoir la formation qui va avec.

Tu te considères comme une féministe?

VANHAEVERMAET: ( Elle hésite) Pas vraiment… Bonne question ( Elle rit). Féministe, c’est parfois mal connoté. Je me vois juste comme quelqu’un qui lutte pour la société qu’elle pense être la plus juste par les actes qu’elle pose ou les décisions qu’elle prend tous les jours. On peut voir ça comme étant féministe, mais ce n’est pas moi qui vais descendre dans la rue pour faire des coups d’éclat. Je dis ce que je perçois.Ça ne plaît pas toujours, mais il faut parfois regarder les choses en face. C’est ça avoir la mentalité de haut niveau.

Justine Vanhaevermaet:
Justine Vanhaevermaet: « Au niveau des clubs, les écarts sont toujours très grands. Les Anderlechtoises s’entraînent toujours à 20 heures. Mais enfin, pourquoi? »© STIJN AUDOOREN

Tu as dit que tu étais confiante dans le fait que dans les prochaines années, le foot belge pourrait rejoindre le foot norvégien en termes d’infrastructures. Tu y crois toujours?

VANHAEVERMAET: Oui, car la Fédération accomplit beaucoup de boulot en ce sens. Après, sur le terrain, ça va être dur, car on vient de beaucoup plus loin que ce pays au niveau de la formation etc. Les Norvégiennes grandissent dans une vraie culture foot depuis des années. Nous pas. Mais je pense qu’aujourd’hui, la formation en Belgique est même meilleure que celle qui prévaut en Norvège, donc on les rattrape. mais elles sont vraiment devant nous au niveau de l’équipe A, car elles ont beaucoup de joueuses qui évoluent dans de grands championnats. Avant le match ( défaite 4-0 à Oslo le 26 octobre dernier, ndlr), j’ai dit qu’on avait nos chances, mais à l’heure actuelle, on doit toujours espérer un jour sans de leur part tout en étant nous-mêmes à 100% pour gratter quelque chose.

Qu’est-ce qui pourrait être amélioré au niveau des infrastructures en Belgique?

VANHAEVERMAET: Au niveau de l’équipe nationale, on est logées à la même enseigne que les hommes. Mais au niveau des clubs, les écarts sont toujours très grands. Les Anderlechtoises s’entraînent toujours à 20 heures. Mais enfin, pourquoi? Simplement parce que les jeunes garçons doivent terminer leurs propres entraînements. OK, elles ont toutes un boulot à côté et ne pourraient pas venir en journée, mais alors pourquoi ne pas démarrer la session à 18 heures? À 20 heures, tu rentres chez toi à 23 heures, sans pouvoir dormir directement. Et tu dois te réveiller le lendemain à 7h30 pour aller bosser. Ce n’est pas du tout un rythme pour une équipe qui veut se professionnaliser.

« Faire évoluer le football belge, ça doit aussi venir des joueuses »

Le football belge n’avance-t-il pas à deux vitesses? Avec d’une part la sélection et puis les clubs qui sont toujours loin d’être pros.

VANHAEVERMAET: Oui, je pense. Surtout que la moitié de l’équipe est issue de la Super League belge. C’est déjà bien qu’ils aient instauré des entraînements le mercredi pour les internationales qui jouent en Belgique. La Fédé est consciente de ce qu’il faut changer. Mais c’est un tout, je ne sais pas trop comment les clubs travaillent, mais ça doit aussi venir des joueuses. Je ne dis pas qu’elles doivent toutes aller à l’étranger, mais on ne peut pas se contenter des trois entraînements hebdomadaires qu’on a en Belgique. Elles doivent en faire plus.

As-tu l’impression que la nouvelle génération est plus ambitieuse qu’avant, mieux suivie, avec des diététiciens, etc.?

VANHAEVERMAET: Oui, même si certaines restent quand même prudentes. Il y a des filles comme Amber Tysiak qui n’hésitent pas à parler de leurs ambitions d’aller à l’étranger, ce qui me plaît beaucoup. Une grande partie d’entre elles sont issues des TopSport Schools, où la formation est plus poussée. Ce sont des choses dont les joueuses de ma génération n’ont pas bénéficié.

Cette envie d’aller toujours plus haut, est-ce aussi quelque chose qui fait défaut en général à l’équipe belge?

VANHAEVERMAET: Oui, certaines sont peut-être trop vite contentes de ce qu’elles ont, ne s’imaginent pas sortir de leur zone de confort. Après, c’est vraiment leur choix, comment leur en vouloir? Chacun fait ce qu’il veut. Mais si on veut amener le foot belge un cran plus haut, on doit toutes franchir des paliers, on ne peut pas en rester là où on est actuellement. Si on nous revoit il y a cinq ans, la situation est bien meilleure. Mais les autres pays progressent eux aussi! On doit donc en vouloir plus! Si on fait toujours la même chose, on aura toujours le même résultat. Or, il nous reste trois ans pour atteindre le top 8 européen ( la Belgique est actuellement onzième, ndlr).

La Belgique n’a-t-elle pas atteint un plafond? Avec moins de dix joueuses pros, peut-elle faire mieux?

VANHAEVERMAET: Dans l’état actuel des choses, hélas, ça va être difficile. Il faut plus de joueuses qui vivent de leur sport et peuvent se concentrer à 100% là-dessus. Parce qu’être à 100% durant l’ensemble du match, c’est à la fois physique, mais aussi dans la tête que ça se passe. Ça s’apprend en évoluant au plus haut niveau semaine après semaine. Ce n’est pas qu’une question d’entraînement, en fait. Il faut des matches pour ça. On peut courir tant qu’on veut, c’est en compétition qu’on acquiert le rythme et l’intensité des matches.

En attendant, il y a l’EURO qui se jouera l’été prochain, ton premier grand tournoi (Justine était blessée en 2017). En décembre 2020, tu affirmais qu’on ne pouvait plus se contenter des poules. Un an plus tard, quelle est ton opinion?

VANHAEVERMAET: Je suis toujours dans le même mood, on est très contentes d’être qualifiées, mais on ne s’en satisfera pas. On veut vraiment laisser une trace. Après, on est versées avec la France, l’Italie, une équipe qui a beaucoup progressé, et l’Islande. Tout peut arriver sur un tournoi de ce genre, mais ça dépend de beaucoup de facteurs. Peut-être qu’on arrivera à venger les Diables ( Elle rit)!

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