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Ivan De Witte, président de La Gantoise: « Toujours partisan d’une BeNeLeague, mais pas dans sa forme actuelle »

Jacques Sys
Jacques Sys Jacques Sys, rédacteur en chef de Sport/Foot Magazine.

Le président de La Gantoise, Ivan De Witte, veut tirer les leçons des problèmes rencontrés en 2020-2021 et se veut optimiste pour cette saison-ci.

Lorsqu’on arrive de l’autoroute, la Ghelamco Arena se dégage à l’horizon. La vue reste impressionnante. Le stade fait désormais partie du paysage et le président Ivan De Witte y puise son énergie pour commencer ses journées, depuis sa loge d’où il jouit d’un panorama fantastique sur la pelouse.

Pendant que le chef Danny Horseele nous sert un succulent repas, le président de La Gantoise se projette vers l’avenir, après une saison qui restera malgré tout décevante pour son club. L’impact de la pandémie reste difficile à déterminer. « Je pense que le Covid nous a coûté vingt millions d’euros », estime De Witte. « Notre club est sain, mais il dépend à 100% de son exploitation. Les supporters, l’horeca, la publicité, les transferts, le football européen et les droits télé: c’est ce qui nous permet de vivre. Pour les clubs qui n’ont pas de financement extérieur ou d’investisseurs étrangers, comme Genk et nous, la pandémie se fait encore davantage sentir. Hein Vanhaezebrouck est un homme exigeant, mais il ne demande rien qui soit impossible. Il a fixé une place dans le top 4 comme objectif principal et je suis d’accord avec lui. Mais je préfère me concentrer sur l’organisation à l’intérieur du club. »

Mon inspiration, c’est Joe Biden. Il n’a pas 74 ans comme moi, mais 78. » Ivan De Witte

Vous avez engagé deux anciens joueurs, Nicolas Lombaerts et Danijel Milicevic.

DE WITTE: Du sang neuf apporté par des gens qui ont représenté quelque chose: Nicolas Lombaerts se chargera du secteur défensif et Danijel Milicevic du secteur offensif. L’arrivée d’Emilio Ferrera, qui prendra les Espoirs en charge, est aussi significative. Il a quand même fait monter Seraing en D1A. Nous avons été agréablement surpris qu’il ait accepté notre proposition. Le fait que l’an prochain, les quatre premiers du championnat U23 pourront accéder à la D1B, a joué dans la décision. Je suis également convaincu qu’investir dans les jeunes talents deviendra une nécessité pour l’avenir.

C’est nouveau pour Gand.

DE WITTE: C’est nouveau, oui, mais je parlerais plutôt d’une évolution que d’un changement de mentalité. Au début, le premier objectif était de survivre. Puis, nous nous sommes occupés de la construction du stade. Dans une troisième phase, nous avons rencontré le succès plus rapidement que prévu. Ensuite, il a fallu se maintenir à ce niveau. On ne peut pas tout faire en même temps.

« Se séparer de Thorup après deux matches était une erreur »

La saison dernière a-t-elle été la plus compliquée depuis que vous êtes devenu président en 1999?

DE WITTE: L’année la plus compliquée, ce fut quand même la première, lorsque j’ai été confronté à cette dette énorme. Lorsque je suis arrivé en juin 1999, la dette a été estimée à 450 millions de francs belges ( 11,15 millions d’euros, ndlr), mais lorsque j’ai demandé un audit à un cabinet d’expertise comptable, celui-ci l’a évaluée à 900 millions. Le double. J’admets que j’ai sursauté. La saison dernière, Michel Louwagie et moi avons commis certaines erreurs, je le reconnais. Mais j’ai peu apprécié certains commentaires sur les réseaux sociaux.

Quelles erreurs avez-vous commises?

DE WITTE: Se séparer de Jess Thorup après deux matches en était une, le choix en faveur de László Bölöni en était une autre. Ce n’est pas un mauvais entraîneur, mais il ne convenait pas à un club comme le nôtre dans les circonstances qui étaient les nôtres. Heureusement, nous avons su plus ou moins rectifier le tir, avec l’apport de Hein.

Qu’est-ce qui a conduit à ces erreurs?

DE WITTE: Avec Thorup, nous jouions un football fantastique et nous aurions même pu nous qualifier en Europa League contre l’AS Rome. Mais défensivement, nous prenions beaucoup de risques. Nous nous sommes dit que si nous pouvions encore améliorer le secteur défensif, nous deviendrions très forts. Bölöni avait démontré ses compétences en la matière à l’Antwerp. Mais avec les joueurs que nous avions à notre disposition, ce n’était pas une bonne idée.

Avez-vous été déçu par les joueurs qui n’ont pas presté à la hauteur de leur talent?

DE WITTE: Le plus facile, lorsque ça tourne mal, c’est de chercher des coupables. Un capitaine de navire doit oser prendre ses responsabilités. Les décisions, c’est au sommet qu’elles se prennent. Ce qui s’ensuit, ce sont les conséquences.

« En signant au club, ils rejoignent une communauté »

Pensez-vous que le Covid aura un impact à long terme sur le football?

DE WITTE: S’il n’y a pas de quatrième vague et si les clubs restent prudents, la situation reviendra à la normale d’ici deux ans. J’espère que le Covid forcera les dirigeants à rester raisonnables. L’aspect financier du football, en Belgique et encore davantage au niveau international, c’est devenu Jeu sans frontières. En matière de transferts, de salaires et dans d’autres domaines, on a perdu tout contrôle. Les joueurs qui, il y a cinq ans, avaient un salaire de 250.000 euros, en gagnent aujourd’hui 800.000. Je crains que les fédérations nationales, l’UEFA et la FIFA ne contrôlent plus la situation. La seule chose qui peut aider, c’est l’intervention d’un législateur, au niveau régional, national ou européen.

Si même le Club Bruges, qui n’a pas de soucis au niveau financier, vend 20% de ses parts à un fonds américain, n’allez-vous pas être obligé de suivre?

DE WITTE: Ce n’est pas à l’ordre du jour actuellement. Nous voulons garder nous-même le contrôle le plus longtemps possible. C’est aussi dans ce contexte qu’il faut comprendre la vente de Niklas Dorsch. Ce n’était pas une nécessité, mais nous l’avons fait parce que nous pouvions obtenir une belle somme. Dans cette zone, nous ne sommes pas dépourvus de joueurs de qualité. Parmi lesquels Julien de Sart, qui est arrivé gratuitement de Courtrai. Le coach a estimé que nous avions assez de possibilités dans ce secteur.

Est-il important de bien commencer le championnat?

DE WITTE: Très important. Un bon départ apporte de l’enthousiasme et de la confiance. Ça permet aussi de faire une provision de points, dont on pourrait avoir besoin si l’on traverse une période plus difficile.

Un bon départ, cela dépend-il uniquement de vous ou le hasard joue-t-il un grand rôle?

DE WITTE: Ce qui rend le football attractif, c’est son côté imprévisible. Le club essaie de réduire la part de hasard au maximum. À 25%. Je crois qu’avec sa bonne gestion, le Club Bruges est parvenu à réduire très fort ce facteur d’imprévisibilité. Avant, Anderlecht y était également parvenu. Nous nous sommes améliorés dans ce domaine et nous avons recruté quelques bons joueurs comme Julien de Sart, un vrai renfort dans l’entrejeu, et Gianni Bruno, qui a une VO2max énorme et est capable de marquer.

L’apport des nouveaux joueurs est-il compliqué à prévoir? Il y a un an, personne n’avait imaginé qu’Alessio Castro Montes deviendrait l’un des hommes forts de Gand.

DE WITTE: C’est très difficile à prévoir. Les joueurs restent des êtres humains, on a tendance à l’oublier. On les considère trop souvent comme de simples pions sur l’échiquier.

Vous vous adressez toujours aux joueurs avant la saison?

DE WITTE: Oui. Je leur explique qu’en signant au club, ils rejoignent une communauté, et qu’ils doivent en être conscients.

Cela produit-il de l’effet?

DE WITTE: Plus qu’on ne le pense. Lorsque nous sommes allés jouer un match amical à Lille, Jonathan David est venu spontanément s’asseoir à nos côtés. Il vient du Canada, a débarqué chez nous, est reparti après un an, mais n’a pas oublié ce que représente La Gantoise.

Ces dernières années, le Club Bruges a choisi de s’appuyer sur des joueurs qui incarnent la culture du club, comme Vanaken, Vormer et Mignolet.

DE WITTE: Ça a permis à Bruges d’acquérir une certaine stabilité. Pour obtenir cette stabilité, il nous reste encore un palier à franchir. Grâce à sa participation régulière à la Ligue des Champions, Bruges est devenu moins dépendant des transferts lucratifs, qui restent très importants pour nous.

Conclusion: vous devez participer plus régulièrement à la Ligue des Champions.

DE WITTE: Avec l’évolution du football européen, ça deviendra difficile. Nous devrons donc conserver notre modèle actuel.

« Le monde a changé »

Qu’est-ce qui vous donne encore la force de continuer, à votre âge?

DE WITTE: Lors de la conférence de presse d’avant-saison, un journaliste a demandé si les problèmes rencontrés la saison dernière m’avaient inspiré pour reprendre le collier plein d’énergie. J’ai voulu répondre une chose, mais je ne l’ai finalement pas fait: mon inspiration, c’est Joe Biden. Il n’a pas 74 ans comme moi, mais 78 ans. J’ai longtemps travaillé dans un environnement américain, à New York. Là-bas, je n’ai jamais eu l’impression que l’âge jouait un rôle. La seule chose qui compte, c’est ce que l’on apporte. Ici, j’ai l’impression que lorsqu’on atteint un certain âge, on est dépassé. Or, les années d’expérience peuvent apporter une plus-value. Il n’empêche qu’en même temps, il faut songer à sa succession.

Vous aimeriez encore remporter un trophée avant de vous retirer?

DE WITTE: Je l’ai déclaré un jour, mais bon… Notre titre de champion et notre participation à la Ligue des Champions restent inoubliables. Bien sûr que j’aimerais revivre ça. Mais, entre-temps, le monde a changé, et il faut rester réaliste. Nous avons vécu ces moments formidables au meilleur moment. Aujourd’hui, c’est devenu plus compliqué et l’accession aux poules de la Ligue des Champions est difficile pour un club comme La Gantoise. Elle le serait encore davantage si la Super League devait finalement voir le jour. En Belgique aussi, tout a bien changé. Il y a cinq ans, combien de clubs professionnels étaient-ils aux mains d’investisseurs étrangers?

Deux: le Lierse et Eupen.

DE WITTE: Aujourd’hui, il faudrait presque compter les clubs qui ne sont pas aux mains d’investisseurs étrangers. J’ai vu arriver beaucoup de clubs et d’entreprises, mais j’en ai aussi vu disparaître.

Mais vous faites encore toujours ce boulot avec plaisir?

DE WITTE: Oui, je ne viens jamais avec des pieds de plomb.

Lorsque vous avez repris le club, aviez-vous imaginé que vous seriez un jour à la tête du club qui a le deuxième plus gros budget de Belgique?

DE WITTE: Pas du tout. Lorsque j’ai commencé, en juin 1999, je me demandais surtout: « Comment puis-je résoudre cette situation, avec cette dette qui était le double de celle estimée? » Je suis toujours heureux d’avoir demandé, très tôt, un audit à ce cabinet d’expertise comptable. C’est l’une des meilleurs décisions que j’ai prises.

Que se serait-il passé si vous ne l’aviez pas fait?

DE WITTE: On aurait navigué à l’aveugle, et dans ce cas, on finit toujours par heurter un obstacle. Vous savez, lorsque je suis devenu président, ma première idée était de le rester pendant deux ans.

Aujourd’hui, il faut ajouter un zéro derrière le deux…

DE WITTE: Oui, j’avais commis une petite erreur de calcul, à l’époque.

Ivan De Witte:
Ivan De Witte: « Aujourd’hui, il faudrait presque compter les clubs qui ne sont pas aux mains d’investisseurs étrangers. »© KOEN BAUTERS

« Dans sa forme actuelle, les chances de succès d’une BeNe League sont relativement minces »

Il y a un an, vous aviez déclaré que la création d’une BeNeLeague était une nécessité pour le football belge. Comment voyez-vous les choses aujourd’hui?

DE WITTE: Je ressens qu’aux Pays-Bas, on n’est pas très chaud pour ce projet. Même si, récemment, l’Ajax s’est montré un peu plus enthousiaste. Je suis toujours partisan d’une BeNeLeague, mais pour un mariage, il faut deux partenaires. Dans sa forme actuelle, j’estime que les chances de réussite sont très minces.

Quelle est l’alternative, pour le football belge, si l’un des partenaires de ce projet de BeNeLeague n’est plus intéressé?

DE WITTE: ( Il réfléchit) Je suis partisan d’une compétition avec un nombre de participants réduit. Pas 18, comme actuellement. Quatorze, ce serait bien pour un pays de onze millions d’habitants. Mais ici, en Belgique, tous les partenaires qui prennent part aux discussions ne sont pas mandatés pour prendre des décisions. Avec tout mon respect: OHL dépend de la Thaïlande et Courtrai de la Malaisie.

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