« Homo » une insulte, « Juif » un surnom : quand les surnoms dans le football ne sont pas aussi innocents

Le ballon roule à nouveau sur les terrains de football belges et, comme toujours, il y a aussi des chants dans le stade. Et l’un est légèrement plus innocent que l’autre. Dans une annonce officielle, le club anglais Tottenham Hotspur a déjà demandé à ses supporters de ne plus utiliser le mot « Yid ». Le surnom de « Juifs » est également utilisé dans le football belge depuis des décennies. Cela peut-il encore se justifier en 2022 ?

Par Jef Putseys & Louis Descamps (Stamp Media)

Dans une annonce officielle de grande envergure faite à la mi-février, Tottenham Hotspur a reconnu que « Yid » était effectivement un nom connu du club depuis de nombreuses années. Mais en 2022, année au cours de laquelle de nombreuses initiatives ont été prises contre l’homophobie et le racisme dans le football, il serait peut-être temps de bannir également l’antisémitisme des stades de football, selon les Spurs. En Belgique aussi, les surnoms des clubs de football font souvent partie des chants des supporters. Pendant les rencontres d’Anderlecht et de l’Antwerp, par exemple, les paroles « Juifs, Juifs » ou « Celui qui ne saute pas est un Juif » sont souvent entendus dans les tribunes. Les supporters adverses chantent parfois en réponse: « Tous les Juifs sont des gays ».

Qu’en est-il des clubs belges qui prétendent valoriser le respect et la diversité ? Ces chants suscitent la controverse depuis de nombreuses années. Le délégué de match, un officiel qui surveille le comportement des supporters pendant les rencontres, doit mentionner les chants inappropriés dans un rapport. Dans le passé, ils ont donné lieu à diverses procédures devant le Tribunal arbitral du sport (TAS), la plus haute autorité dans notre pays en matière de litiges sportifs.

Par le passé, la Cour Belge d’Arbitrage pour le Sport (CBAS) a fermement condamné le refrain « Tous les Juifs sont des gays ». « Il est stigmatisant pour la communauté LGBT et est donc délibérément utilisé comme un gros mot », était-il notamment écrit dans le verdict d’une affaire contre le FC Bruges en 2019. Le champion de Belgique s’en était tiré à bon compte, avec seulement une amende de 1 000 euros, assortie d’un sursis d’un an.

Mais, fait étonnant, le même organisme, la CBAS, ne voit aucun problème avec les paroles « Celui qui ne saute pas est un Juif ». Le Club de Bruges et le Beerschot, entre autres, n’ont pas été sanctionnés pour ces chants. La CBAS considère la liberté d’expression (des supporters) comme un bien suprême et ne voit aucune raison de restreindre cette liberté dans la chanson.

Selon la commission d’arbitrage, il n’est pas question de « propos discriminatoires ou insultants fondés sur la religion », car le terme « Juifs » est utilisé dans le chant pour désigner les supporters de l’Antwerp ou d’Anderlecht.

Les supporters du FC Bruges considèrent qu’Anderlecht est un club riche et hautain. Et quand on dit hautain et riche, on est prompt à dire juif.

Elisha Benkoski, supporter juif d’Anderlecht

Les surnoms de l’Antwerp et d’Anderlecht

Depuis des décennies, les partisans du Great Old s’appellent les « Juifs », en partie en référence à l’importante communauté juive d’Anvers. Un vrai surnom, donc. C’est une autre histoire avec les supporters d’Anderlecht. Les Bruxellois ont reçu ce surnom en raison de leur forte relation avec le club néerlandais de l’Ajax, qui est considéré comme un club juif. Le grand club d’Amsterdam a connu plusieurs présidents et joueurs juifs au fil des années et la ville compte aussi une importante communauté juive. Les supporters se sont donc attribué le surnom de « Juifs », qui s’est étendu aux supporters du RSCA.

Elisha Benkoski, un supporter juif fanatique des Mauve et Blanc, a du mal à accepter ce surnom. « Je n’ai jamais compris pourquoi Anderlecht était surnommé ainsi. Contrairement à une équipe comme l’Antwerp, ce n’est pas que nos supporters revendiquent le surnom de « Juifs ». Ce sont surtout les supporters d’extrême droite du Club de Bruges, par exemple, qui pensent qu’Anderlecht est une équipe riche et hautaine de la capitale. Et quand on dit riche et hautain, on dit vite juif. Les stéréotypes bien connus avec lesquels la communauté juive se bat depuis des siècles », pense notre intervenant.

Mais qu’est-ce qui est acceptable et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Dans quelle mesure les supporters sont-ils libres d’entonner des chansons sur leur adversaire, ou sur eux-mêmes ?

Les jeunes supporters, en particulier, sont bien conscients de la nature potentiellement blessante du surnom « Juifs », mais ils considèrent aussi la question dans le contexte du football et de la rivalité qui existe entre les différentes équipes. « Il m’arrive d’entonner des chants dans lesquelles on traite l’adversaire de juif, mais à aucun moment je ne fais le lien avec le judaïsme », affirme Timo Vandeput (20 ans), supporter de Beerschot. « Il existe une différence importante entre les chants dans lesquelles il est clair que les Juifs sont utilisés uniquement comme un surnom et ceux qui font référence à la Gestapo ou au Hamas, par exemple. Ces derniers sont carrément antisémites et ne peuvent jamais être tolérées », ajoute Jan D’haene (22 ans), un autre supporter des Rats.

A Deurne, nous entendons le même son de cloche. « Je pense que les juifs en tant que surnom est acceptable », déclare Jelle Lenaerts (19 ans), partisan de l’Antwerp. « Mais s’il s’avère qu’il peut blesser certains groupes ou certaines personnes. Dans ce cas, je suis certainement prêt à arrêter de l’employer. »

« Je pense que les juifs en tant que surnom est acceptable » ,estime Jelle Lenaerts (19 ans).© iStock

Sylvie Neefs, âgée de 57 ans, est une autre supportrice de l’Antwerp. Un peu plus âgée et encore plus fanatique, elle pense que toute cette agitation autour de ce surnom est exagérée : « Les chants racistes n’ont pas leur place dans un stade de football, mais nous, les supporters anversois, sommes traités de ‘juifs’ par nos adversaires depuis des années. Je n’ai aucun problème avec cela et je suis particulièrement agacée par cette société actuelle qui entend tout protéger. On ne peut plus rien dire sous peine que quelqu’un se sente attaqué », estime-t-elle.

Même son de cloche pour Astrid Vandermarliere , pourtant nettement plus jeune (24 ans). Cette du « Spionkop » du FC Bruges depuis plusieurs années trouve que ces chants font partie intégrante de la rivalité footballistique. « On peut comparer cela au fait que les autres supporters nous appellent « agriculteurs » (Boeren). Traiter l’équipe adverse de « juifs » n’est ni discriminatoire ni insultant pour les juifs. La seule chose qui irait trop loin serait d’interpeller les joueurs personnellement en raison de leur couleur de peau, nationalité ou confession religieuse », pense-t-elle.

Aucune compréhension au sein de la communauté juive

Quoi qu’il en soit, ces chants sont une question (très) sensible au sein de la communauté juive. Le Forum des organisations juives est intervenu dans la procédure d’arbitrage intentée contre le Club Brugeois parce que les supporters de ce dernier avaient scandé « Tous les Juifs sont gays » à l’encontre des supporters d’Anderlecht.

Selon Michael Freilich, ancien rédacteur en chef du mensuel Joods Actueel et actuellement membre du parlement pour la N-VA, l’utilisation du slogan « Juifs » dégénère rapidement en un antisémitisme flagrant. Si un parti se dit « juif », l’autre parti utilisera très rapidement des slogans tels que « Tous les Juifs doivent être gazés », affirme-t-il.

Joseph Steimetz, membre de la communauté juive d’Anvers, n’a pas que de bons souvenirs avec de tels discours. « Je ne sais pas si les supporters se rendent compte des dégâts qu’ils causent », commence-t-il. « J’ai déjà été témoin d’un tel chant et cela m’a rappellé les années 1930 et 1940, même si les supporters n’ont pas les mêmes intentions évidemment », tente-t-il d’expliquer.

Steimetz comprend qu’il s’agit d’un surnom, mais il estime que cela donne une connotation négative au mot « juif ». « Nous avons très peur d’une répétition du passé car nous constatons que l’antisémitisme est malheureusement à nouveau en hausse ces dernières années », justifie-t-il pour expliquer ses craintes quant à une minimisation de la portée de ces chants.

J’ai connu une fois une telle chanson de Geuzen de très près et cela me rappelle rapidement des souvenirs des années 30 et 40′.

Joseph Steimetz, membre de la communauté juive d’Anvers

Le KSC Maccabi-Antwerp estime que l’antisémitisme reste encore très présent dans le football belge. Le club juif a même évolué en troisième division au début des années 1970. Aujourd’hui, il mais se trouve aujourd’hui en 4e provinciale. « Il y a quarante ans, nous devions supporter de tels chants toutes les semaines », se rémémore Marcel Van Hees, directeur du club basé à Hoboken. « Si vous aviez fait un reportage sur le sujet à l’époque, il aurait été un peu plus intense. Mais même au niveau où nous jouons maintenant, il n’est pas rare d’encore entendre « sale juif » , raconte notre interlocuteur.

L’attitude douce des clubs

Les clubs de football se montrent plus docile. Devant la CBAS, ils font invariablement appel à des avocats de haut rang et utilisent toutes les nuances possibles (comme la liberté d’expression des supporters) pour justifier le comportement de leurs propres supporters. Même en dehors du tribunal, la plupart des réactions officielles des formations impliquées ne vont pas au-delà de mots comme « regretter » et « prendre ses distances ».

On se souvient de l’incident qui avait émaillé la célébration du titre du FC Bruges en mai 2021. L’enfant terrible néerlandais Noa Lang, accompagné de quelques supporters, avait entonné un autre classique des chants de supporters: « Nog liever dood dan Sporting Jood » (Plutôt mort que le Sporting juif). Le Club n’a pas vu l’utilité de condamner fermement le dérapage. « Chaque équipe a un surnom et il n’y a rien d’antisémite là-dedans », a été la réaction officielle des Blauw en Zwart.

De son côté, la Pro League a réagi immédiatement. Depuis cette saison, l’association des clubs professionnels belges collabore étroitement avec avec la caserne Dossin à Malines. C’est un mémorial, musée et centre de recherche sur l’Holocauste et les droits de l’homme.

La caserne Dossin a collaboré, par exemple, à la brochure sur les discours offensants et discriminatoires. Elle prévoit également un parcours d’apprentissage individuel et obligatoire pour les supporters et les joueurs qui enfreignent les dispositions de cette brochure. Le but de toutes ces mesures est de faire prendre conscience aux parties concernées de l’impact des discours offensants. Noa Lang fut d’ailleurs l’un des premiers à passer par le processus d’apprentissage après ses chants qui avaient créés la polémique.

Noa Lang avait dû se rendre à la Caserne Dossin pour suivre un parcours d'apprentissage, afin qu'il prenne conscience de la portée des chants offensants qu'il avait entonnés lors de la fête du titre en mai 2021.
Noa Lang avait dû se rendre à la Caserne Dossin pour suivre un parcours d’apprentissage, afin qu’il prenne conscience de la portée des chants offensants qu’il avait entonnés lors de la fête du titre en mai 2021.© iStock

Les supporters peuvent-ils s’autogérer ?

La Pro League fait donc certainement un effort, mais sans la coopération des clubs et de leurs supporters, les discours discriminatoires ne risquent pas de disparaître de nos stades de sitôt. L’initiative la plus récente est venue… du FC Bruges. Après plusieurs incidents liés à des chants racistes de la part de ses fans, la formation de Flandre- Occidentale a introduit un système de codes QR. Après avoir scanné le code avec leur smartphone, les supporters peuvent signaler de manière anonyme des cas de racisme et de discrimination de la part d’autres supporters.

Mais il reste à voir si un tel « système de clics » fonctionnera. Parce que les supporters de tous les clubs sont au moins d’accord sur une chose : faire porter la responsabilité aux supporters eux-mêmes est très naïf et impossible.

Cesar Dekeersmaeker (23 ans) est un supporter de l’Antwerp depuis son enfance. Il a vu la culture des supporters au Bosuil devenir de plus en plus extrême ces dernières années. « Il est nécessaire d’apporter de la culture dans les tribunes, mais c’est un voeu pieux que d’y parvenir par le biais de l’auto-gestion », pense-t-il. Jelle Lenaerts (19 ans) est du même avis : « Vous ne voulez pas vraiment vous battre avec des supporters qui scandent des choses offensantes. Il faut avoir beaucoup de cran pour dire quelque chose à ce sujet », craint-il.

Astrid Vandermarliere (24 ans) ne pense pas que le Spionkop du Club de Bruges utilisera ces QR codes. Elle pense cependant qu’ils peuvent susciter une certaine prise de conscience : « Le fait qu’ils soient sur tous les sièges fera peuêtre réfléchir certains supporters à ce qu’ils disent et chantent. »

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