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Entretien avec Mehdi Bayat: « Ma double casquette m’a plus souvent pénalisé qu’autre chose »

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

L’homme derrière le succès carolo est aussi le président de la Fédération, mais refuse l’étiquette d’homme fort du football belge. Parce qu’il paraît que le paradoxe des gens puissants, c’est qu’ils n’en ont jamais assez. Rencontre avec Mehdi Bayat, le quadra le plus ambitieux de sa génération.

L’homme à la double casquette ne porte pas de masque. Et reçoit chez lui. Enfin, dans ses bureaux, qui jouxtent le stade du Pays de Charleroi. De là, Mehdi Bayat n’a pas une vue impériale. Pas plus de coupe-papier en ivoire, de presse-papier marbré, de stylo Montblanc ou de table de bureau en acajou. Tout juste une table basse signée par un créateur japonais en vogue. On a connu le puîné de la famille Bayat plus tape-à-l’oeil. Rarement plus bavard. Co-leader du championnat de Belgique avec ses Zèbres, Mehdi Bayat est un actionnaire rassuré, un administrateur délégué heureux, un président de Fédération qui souffre de peu de remise en question et un petit frère solidaire. Vous avez dit tentaculaire?

Est-ce qu’on est déjà un grand club? Non. Est-ce qu’on va le devenir un jour? Je l’espère et on travaille pour. » Mehdi Bayat

Mehdi, on dit toujours que Charleroi vend un titulaire par mercato. Cet été, vous en avez vendu deux avec Núrio et Busi. Mais est-ce qu’avoir vendu deux latéraux pour plus de dix millions d’euros dans la conjoncture actuelle, ce n’est pas à la limite, ce dont vous êtes le plus fier?

MEHDI BAYAT: Je dis souvent que la recette du succès du recrutement de Charleroi, c’est qu’on essaie de très bien profiler en fonction des besoins. Et d’anticiper. Pourtant, les gens sont encore parfois surpris. Quand j’ai été chercher un joueur comme Flanagan, on m’a dit: « Mais pourquoi tu fais Flanagan, alors que tu as Van Cleemput qui a déjà mis tout le monde d’accord? » Justement, c’est parce que Van Cleemput a mis la barre haut qu’on veut que sa doublure soit du même niveau. Stergos Marinos était arrivé au bout de son aventure chez nous et on ne voulait pas le frustrer plus longtemps.

Justement, comment parvient-on à se convaincre de l’opportunité de conclure un deal comme celui de Jon Flanagan? Un joueur qui était sur une voie de garage aux Rangers et dont personne n’a voulu cet été dans les cinq grands championnats?

BAYAT: C’est à partir du moment où je discute avec eux. Il n’y a pas de secret, et tout le monde sait comment ça fonctionne à Charleroi. Le passage obligé ici, quand on veut venir en tant que joueur, c’est la conversation dans mon bureau. C’est cette discussion, avant tout basée sur l’humain, qui est à la base de tout. Si le feeling ne passe pas, le deal ne se fait pas. Jon, lui, m’a convaincu. Il sait d’où il vient, il sait ce qu’il a vécu et il veut se relancer. Et je peux vous dire qu’il avait des offres. Ses agents m’ont montré très clairement celles qu’il avait eues de clubs de Championship. Parce que ça reste un nom connu en Angleterre et un profil de bagarreur qui plaît là-bas. Mais il avait cette envie de venir se battre, de se mettre en danger dans un championnat qu’il ne connaît pas. Tout à fait le genre de discours qui me plaît.

« Avec Belhocine, on est parti sur un cycle de trois ans et on ira au bout »

C’est difficile parfois, dans un moment comme le départ de Marinos, de ne pas tomber dans l’émotion et de rester dans le rationnel?

BAYAT:Bien sûr. Encore plus qu’avec Stergos, ça a été très dur de me séparer d’un gars comme Javi Martos, avec qui j’avais tout connu à Charleroi. De la descente en D2 aux PO1. Mais je crois que ça n’a pas de sens de garder des joueurs sur lesquels on ne compte plus. Quel que soit le lien qui nous unit. Pour moi, le facteur émotionnel, c’est un outil qu’il faut utiliser, mais le rationnel, c’est une obligation. Je dois prendre en considération le premier, mais agir avec le second. Sans cela, je ne pourrais pas affirmer que ma plus grande fierté à Charleroi depuis 2012, c’est d’avoir fait passer le club de fonds propres négatifs à hauteur de moins trois millions et demi d’euros à des fonds propres positifs de près de quinze millions. Et que cette création de richesses ne s’est faite qu’au prix du travail et de cette balance entre l’aspect sportif et financier. J’ai d’ailleurs lu récemment, et j’en ai été extrêmement fier, qu’en termes de nombre de joueurs utilisés et de leur ancienneté dans le club, on était le troisième club le plus stable au monde (selon une enquête de l’Observatoire du football CIES publiée en octobre 2020, ndlr). De toute façon, on peut tourner le truc dans tous les sens. Un club de football n’a que quatre sources de revenus: tu as tes droits télés, ton sponsoring, ton ticketing et ta vente de joueurs. Et nous, à terme, le nouveau stade doit nous permettre de ne plus être dépendant de devoir vendre un joueur pour grandir.

Mehdi Bayat:
Mehdi Bayat: « Président de l’UEFA? Ça fait partie des choses que j’ai pu entendre. Parfois les réussites te poussent à aller quelque part »© PHOTONEWS-VINCENT DUTERNE

Aujourd’hui, Charleroi est assez fort financièrement pour affirmer au mois de novembre que le groupe ne sera pas déforcé en janvier?

BAYAT: Clairement. Parce que l’objectif maintenant qu’on est là, c’est d’aller le plus loin possible et que sur le bilan 2020-2021, il va y avoir la vente de Max (Maxime Busi, ndlr) et les bénéfices du pourcentage à la revente d’Osimhen de Lille à Naples. Donc, on sait déjà qu’on va être bénéficiaire cette année, malgré le Covid qui nous fait terriblement souffrir. Ce qui signifie que non seulement ces ventes-là vont nous permettre de combler une grosse partie des pertes, mais aussi de nous positionner sur le marché de janvier avec quelques ambitions. Et la certitude qu’aucun de nos cadres ne nous quittera pour nous permettre d’aller au bout… Sauf offres absolument dingues, comme toujours. Ce qui confirme que mon ambition est de rendre la plus compliquée possible la tâche du coach. Je ne veux pas qu’il ait du mal à faire son onze, mais à coucher ses 18 sur la feuille.

Le coach, parlons-en. Karim Belhocine, cela ne pourrait pas justement être lui, l’élément le plus bankable du noyau de Charleroi dans les prochains mois?

BAYAT:Je commence à y être habitué. Quand j’ai été chercher Felice Mazzù à l’époque, tout le monde a d’abord rigolé. Et puis, au fur et à mesure des années, il est devenu celui qu’on allait finir par venir voler au Sporting de Charleroi. Mais il a quand même fait six ans chez nous. Rebelote quand on a été chercher Karim Belhocine. Il a d’abord été présenté comme le dixième choix. Mais finalement, en 18 mois, il est passé de ce statut-là à celui d’entraîneur extrêmement convoité. On est vacciné contre ça. Ce que je peux vous dire, c’est qu’on est parti sur un cycle de trois ans avec Karim Belhocine et qu’on ira au bout de ce cycle.

« Je n’ai jamais fait passer en force quelque chose qui aurait pu m’être profitable »

L’un des paradoxes actuels, c’est qu’au moment où le Sporting semble armé pour « aller au bout » comme vous dites cette saison, avec un noyau assez complet, vous devez aussi faire avec un centre de formation qui n’a jamais été aussi prolifique. Ce sera le défi des prochaines années, de réussir à jouer les premiers rôles tout en incorporant des jeunes çà et là?

BAYAT: C’est une obligation qui incombe à un grand club. Est-ce qu’on est déjà un grand club? Non. Est-ce qu’on va le devenir un jour? Je l’espère et on travaille pour. Mais pour ça, on doit avoir une école des jeunes digne de ce nom. Avec une responsabilité de devoir fournir des joueurs à notre noyau professionnel, mais aussi une responsabilité régionale que je n’oublie pas. Je crois qu’on a aussi cette responsabilité de pouvoir offrir aux bons jeunes de la région la possibilité d’aller renforcer les effectifs de la RAAL, des Francs Borains… Pour ça, il n’y a pas de secret, encore une fois, c’est l’argent. Quand j’ai repris le club, le budget de fonctionnement de l’école des jeunes tournait autour de 3 ou 400.000 euros par an, là où aujourd’hui, le budget de fonctionnement récurrent annuel est de l’ordre de deux millions d’euros. C’est énorme et c’est un investissement très frustrant, parce qu’il n’y a pas de retour direct. C’est comme une plante que tu dois arroser, bichonner, lui donner des engrais pour la voir pousser tout doucement. Tout en faisant en sorte de ne pas surpeupler ton noyau pour offrir à ces jeunes-là, au moment opportun, la possibilité de s’y faire une place. Comme un Ken Nkuba aujourd’hui…

La Nations League n’est pas le bon endroit pour jouer au petit chimiste. C’est pour ça qu’il nous fallait des amicaux. » Mehdi Bayat

Il y a deux ans, le 27 novembre 2018, Mogi Bayat était libéré après 48 jours de détention dans le cadre de l’enquête du Footgate. Depuis le temps, il est redevenu cet agent incontournable du football belge, mais il est aussi présent systématiquement à chacune des rencontres du Sporting. Vous comprenez que ça puisse surprendre?

BAYAT: C’est un agent qui est supporter de Charleroi, ce n’est pas interdit. Et je pense même que tous les agents de Belgique sont supporters d’un club. Mais dans le cas de Mogi, il a travaillé pendant dix ans à Charleroi, ça s’explique. Et qui plus est, aujourd’hui, c’est le club dont son frère est le patron. Ses enfants sont supporters du Sporting de Charleroi, mes filles le sont aussi. Mogi assiste à beaucoup de matches en Belgique avec son statut d’agent. Mais à Charleroi, il est avant tout mon frère. Et quand mon père est en Belgique, il m’accompagne aussi au match. Je dirais que c’est plus une relation de frère à frère. Cela fait 18 ans que nous sommes en Belgique. Cela fait 41 ans que c’est mon frère, ça ne changera pas .

Mehdi Bayat:
Mehdi Bayat: « Mogi est un agent qui est supporter de Charleroi, ce n’est pas interdit. »© PHOTONEWS-VINCENT DUTERNE

Ali Gholizadeh nous disait en septembre que toi et Mogi étiez quasiment aussi célèbres que lui et Kaveh Rezaei en Iran. Que beaucoup de gens là-bas se demandaient comment deux Franco-Iraniens avaient fait pour mettre la main sur le football belge. Vous vous le demandez encore parfois aussi?

BAYAT: Quand tu vis au quotidien une certaine forme de popularité, tu ne t’en rends pas compte. C’est le regard des autres qui a changé. C’est ce regard qui me renvoie à ce que je suis devenu. Je crois être respecté par les dirigeants les plus anciens du football belge. Parce qu’ils m’ont vu grandir. Je suis arrivé en Belgique, j’avais 22 ou 23 ans, j’étais un enfant dans un pays que je ne connaissais pas. J’ai travaillé en commençant au plus bas de l’échelle pour me retrouver président de la fédération belge. Parce que je crois avoir accumulé du crédit. Réalisé des missions importantes, travaillé sur des réformes. Toutes ces années, j’ai été sous la loupe comme peu d’autres en Belgique. On a salué mon travail, certains l’ont critiqué. Mais j’ai l’impression qu’on me critique le plus souvent sur des faits qui ne m’incombent pas, mais qui sont liés à moi.

La fameuse double casquette…

BAYAT: Oui, on en parle tout le temps, mais jamais personne n’est venu vers moi pour me reprocher d’en avoir profité. J’irais même plus loin. Ma double casquette m’a plus souvent pénalisé qu’autre chose, à titre personnel. Ça, c’est une certitude. Au final, je n’ai presque plus rien le droit de dire. Un exemple, c’est quand Lucien D’Onofrio m’attaque à l’époque en disant que j’ai arrêté le championnat, alors que ce n’était absolument pas ma volonté. Et les gens qui étaient là autour de la table savaient tous très bien que Mehdi Bayat ne voulait pas arrêter le championnat. Je l’ai même écrit et envoyé à tout le monde. Mais à un moment donné, je respecte la démocratie. Quand 17 clubs sur 24 te disent que tu dois arrêter, tu dis: « OK, on arrête. » Ces principes démocratiques là sont importants pour moi. J’ai toujours été élu là où je suis. Et toutes les décisions que j’ai poussées ou fait passer ont toujours été validées par un Conseil d’Administration ou une Assemblée Générale. Je n’ai jamais fait passer en force quelque chose qui aurait pu m’être profitable.

Votre profil intrigue jusqu’à l’échelle européenne. Parce que généralement, on ne devient pas président de fédération si jeune. C’est dire que votre ascension n’est pas terminée?

BAYAT: Peut-être bien qu’elle n’est pas terminée. On m’en parle souvent. Mais je vous vois arriver avec la question suivante. « Est-ce qu’à un moment donné, il y aura un objectif au niveau de l’UEFA et tout ça? » On verra. J’ai déjà beaucoup de travail aujourd’hui et ce n’est pas une fin en soi pour moi. Mais parfois, les réussites te poussent à aller quelque part. Aujourd’hui, on parle pour moi de la possibilité d’être candidat au comité exécutif de l’UEFA. Ce sera pour l’année prochaine. On verra alors comment les choses peuvent se dérouler. Ce serait en tout cas une première étape qui permettrait d’entrer à l’UEFA. Et de potentiellement imaginer y faire mes preuves. Avant de pouvoir envisager d’être président de l’UEFA, par exemple. Cela fait partie des choses que j’ai pu entendre. Mais ce n’est pas aussi simple que ça, il y a 55 pays…

Entretien avec Mehdi Bayat:
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« Roberto est capable d’écorcher sa propre image pour défendre l’institution »

Quel est l’état de votre relation avec Roberto Martinez? Comment cohabite l’administrateur délégué du Sporting de Charleroi avec le coach national?

MEHDI BAYAT: Très bien, mais nous n’avons pas de rapport particulier en dehors des fenêtres internationales. Tout juste m’envoie-t-il sa sélection peu avant de la dévoiler au grand public. Et puis nous discutons de temps en temps de ces profils de jeunes belges qui sont perdus un peu en Europe. De ces joueurs sortis des radars parce qu’ils ont quitté la Belgique à quatorze ou quinze ans. Mais si ce n’est ceux-là, on ne parle que des joueurs sélectionnés. Mon rôle, ce n’est pas d’être sélectionneur ou de demander à Roberto Martinez pourquoi il ne vient pas chercher Dorian Dessoleil s’il lui manque un défenseur. Ce n’est pas ma responsabilité. Moi, je parle avec lui de la stratégie, du travail préparatoire. Encore que maintenant, tout ça roule assez bien. J’ai eu beaucoup de travail au début à la commission technique parce qu’il y avait tout à créer. Ici, j’ai plus un rôle de contrôle. Parce que la structure fonctionne.

Roberto Martinez irrite parfois dans sa communication. Toujours souriant, rarement transparent, le sélectionneur pratique l’esquive comme personne. C’est une force d’avoir un RP à la tête des Diables?

BAYAT: Il faut savoir une chose, c’est que Roberto est quelqu’un qui va toujours coûte que coûte défendre l’institution et ses joueurs. Quitte à se mettre à mal lui-même.

Au mépris du bon sens, parfois?

BAYAT: Tout le monde sait que c’est un excellent communicant. Il n’y a pas de doute là-dessus. Mais à certains moments, et c’est tout à son honneur, il sera capable d’écorcher sa propre image et de donner ce sentiment que certains peuvent avoir. Mais s’il le fait, ce sera toujours pour protéger l’institution et ses joueurs. Et ça, je dis respect.

Sur le fond, on a critiqué le maintien à tout prix des rencontres amicales contre la Côte d’Ivoire et la Suisse. Pourquoi s’y être accroché?

BAYAT: Ce n’est pas pour l’argent, parce que ça ne rapporte rien. Par contre, sportivement, il y avait une volonté du Roberto directeur technique de poursuivre son travail de détection. Il ne prépare pas que l’EURO de cet été, il prépare le Mondial 2022 et plus loin. Et ce sont uniquement ces matches-là qui permettent de préparer l’avenir. Contre la Côte d’Ivoire, on a vu sept joueurs issus du championnat belge sur le terrain. C’est merveilleux de donner la possibilité à ces joueurs-là de faire leurs preuves. Et la Nations League n’est pas le bon endroit pour jouer au petit chimiste. Parce qu’on veut tous gagner des trophées. C’est pour ça qu’il nous fallait des amicaux.

Un EURO en public au mois de juin 2021, vous y croyez encore?

BAYAT: Oui, je veux y croire. On sait qu’il y a des évolutions favorables par rapport, premièrement au traitement, et deuxièmement, au vaccin dont on nous dit qu’il arriverait pour le printemps. Si c’est le cas, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas jouer avec du public dans des stades au mois de juin.

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