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Dury – Zulte Waregem : Je t’aime moi non plus

Entre Francky Dury et Zulte Waregem, ça fait 17 ans que c’est l’amour avec un grand A. Du moins, c’est ce qu’on croit, car ça fait un bout de temps que la passion n’y est plus. Comment en est-on arrivé là ? La séparation, impensable il y a peu, est-elle désormais inévitable ?

11 octobre 1996, Francky Dury fête son 39e anniversaire. Fête est un bien grand mot car il vient d’être limogé de Zultse VV, qui évolue alors en D3 – son dernier C4 jusqu’ici. Les joueurs lui ont offert un panier de sandwiches qu’Eddy Cordier lui apporte et qu’ils mangent ensemble. Cordier reprend le poste pour un match avant de jeter l’éponge.

Leur collaboration reprendra au départ de la campagne 1998-99 à Zultse VV, sous la direction du même Cordier. Dury restera ensuite à la barre, y compris lorsque, en 2001, le club fusionnera avec le SV Waregem..

Dix-sept ans plus tard, le Flandrien est toujours la figure de proue du Essevee. Mais le coeur n’y est plus.  » Je suis toujours aussi passionné, j’aime ce club qui m’a tant apporté « , disait Dury avant le derby contre Courtrai. Mais ça sonnait faut. Il aime sans doute le club mais depuis un an et demi, avec la direction, ça coince sur des points importants.

Le premier signe de rupture remonte à mars/avril 2017, après la victoire en Coupe de Belgique. Dury, toujours ambitieux, affirme que son club doit désormais être capable de payer un million d’euros pour un joueur.

 » Hors de question « , réplique Hendrik Deruyck, le nouvel administrateur délégué, désigné par l’actionnaire principal, Tony Beeuwsaert, pour sortir le club d’une situation financière très compliquée.  » Nous écoutons Francky mais il n’est pas manager à l’anglaise.  »

Furieux, Dury demande au Conseil d’administration que Deruyck ne s’occupe plus du volet sportif et celui-ci exauce son voeu. En décembre 2017, Deruyck quitte son poste d’administrateur délégué pour un poste de simple administrateur. Eddy Cordier devient alors CEO.

Lors des premières discussions, fin avril/début mai 2017, certains journaux avaient annoncé que Dury était candidat à la succession de Michel Preud’homme au Club Bruges mais il n’y a jamais eu de véritables négociations.  » Parce que Francky n’est pas capable de diriger un noyau de 25 à 30 joueurs « , disait-on à Bruges. Dury, lui, parlait de bruits de couloirs  » auxquels il ne voulait pas réagir.  »

Des piques à la direction

Le 28 avril, Tony Beeuwsaert publie un communiqué pour mettre fin aux spéculations. Plus tard, il ne se laisse pas non plus convaincre par un chèque de 3,3 millions d’euros émis par Saint-Étienne pour racheter le contrat de son entraîneur. Après de longues discussions avec Beeuwsaert, Dury confirme qu’il restait fidèle à Zulte Waregem :  » Je ne veux pas mettre ces gens dans l’embarras (…) Croyez-moi : il n’y a pas un jour où j’ai été malheureux ici.  »

Au cours du mercato suivant, pourtant, Dury ne manque aucune occasion d’envoyer des piques à sa direction : le budget était trop peu élevé, il y a trop de joueurs en location… Cordier temporise :  » Nous ne pouvons pas à la fois investir dans le stade et dans les joueurs.  »

Après un bon début de championnat, Dury change de ton :  » C’est notre meilleur noyau depuis 2012/2013.  » Mais lorsque, avec l’accumulation des matches, Zulte Waregem signe un 4/39, il repart à l’assaut :  » Nous manquons de qualité, nous n’avons pas suffisamment investi.  »

Pourtant, la plupart des 15 joueurs engagés l’ont été sur son insistance – en tenant compte d’un budget limité mais de plus de 7 millions tout de même -. Et souvent contre l’avis des scouts. Dury refuse toute communication avec la cellule scouting, pourtant très appréciée au sein du club. Il ne lui adresse que des reproches, y compris dans la presse.

Il n’épargne pas la direction non plus.  » Lorsque nous avons terminé deuxièmes et quatrièmes (en 2012/13 et 2013/14, ndlr), nous avions des millions d’euros de dettes « , disait-il début décembre 2017 dans ce magazine.  » Maintenant, nous sommes mal classés mais, financièrement, tout va très bien. On récolte ce qu’on sème…  »

Image de club radin

Fin décembre passé, dans Het Laatste Nieuws, il enchérit :  » Zulte Waregem est un un club avec lequel il est difficile de négocier. Cette image de club radin me dérange. Je veux en faire un grand club, le faire sortir de sa zone de confort. On va voir si la direction a la même ambition mais je n’accepterai pas de faire un pas en arrière. Partir ? On verra.  »

Étonnant dans la mesure où Beeuwsaert et Cordier lui ont promis que, malgré le 4/39, ils allaient continuer à investir. Dès le 2 janvier, avant le départ en stage en Espagne, ils annoncent les arrivées de Hamdi Harbaoui (450.000 euros) et Damien Marcq (1 million d’euros, record du club, bien qu’on ne soit pas sûr qu’il soit prêt physiquement).

À sa plus grande joie :  » La direction m’a entendu et nous nous sommes rapprochés. Je n’oublierai jamais ce que Monsieur Beeuwsaert a fait pour ce club.  »

Mais Dury a la mémoire courte. Dès le stage, il s’en prend à la cellule de scouting, il râle parce qu’il n’a pas encore obtenu le défenseur central  » qu’il observe depuis quatre mois  » mais dont le dossier n’est arrivé sur la table que fin décembre, car Zulte Waregem est  » dur en affaires.  »

Fin janvier, le club transfère le défenseur Johan Bjørdal et loue les services de Théo Bongonda mais ça ne lui plaît pas :  » Nous aurions mieux fait de faire ça en juin !  » Ça commence à énerver quelques proches de Beeuwsaert.  » Même Cordier « , dit un administrateur.  » En décembre, après le 4 sur 39, il s’est mouillé pour lui auprès des supporters. Ils se connaissent depuis des années et voilà comment il le remercie.  »

Pas question de dépendre d’un seul homme

Le président Carl Ballière en a marre aussi d’entendre son entraîneur dire que le club manque d’ambitions et de moyens comparativement à Charleroi. Pour un administrateur, les spéculations d’un départ pour Bruges sont montées à la tête de Dury.  » Il voit Leko élu Entraîneur de l’Année et se dit que ça aurait pu être lui.  »

Début mars, le pouvoir de Dury en matière de transferts est réduit et la tension monte encore d’un cran. Une commission sportive dans laquelle on retrouve le T1, Cordier, Beeuwsaert et l’ex-président Willy Naessens est instaurée. Dury conserve un droit de veto sur les transferts mais n’est plus autorisé à en réaliser lui-même via des amis managers et contre l’avis de la cellule de scouting.

Dury monte sur ses ergots mais Beeuwsaert le remet à sa place : Zulte Waregem ne dépendra jamais d’un seul homme et il va devoir se plier à la nouvelle structure. Plus tard, Dury s’excuse en disant qu’il était stressé à cause des résultats et qu’il accepte de collaborer.

Mais comme la direction s’y attendait, la paix est de courte durée. Après l’été, Dury, de plus en plus nerveux, écarte le psychologue Steven op’t Roodt, en place depuis dix ans. Et il s’en prend rapidement à Stan van den Buijs, qui vient de rejoindre la cellule scouting.

Les ponts avec Joric Vandendriessche, coordinateur sportif et responsable de l’École des Jeunes, sont rompus depuis longtemps. Celui-ci est revenu à Waregem à la demande de Cordier en mai 2017, après avoir travaillé pour l’Union belge. Docteur en sciences du sport, ses compétences sont appréciées de tous mais pas de Dury qui, dès 2017, l’a fait quitter le bureau qu’il occupait au centre d’entraînement parce qu’il l’estimait trop grand. Et depuis que Vandendriessche a déclaré que les espoirs n’apprenaient pas grand-chose avec Ronny Verriest, un ami de Dury, les relations sont rompues.

La question est désormais inévitable : se dirige-t-on vers une séparation ?

Des commentaires négatifs incessants

L’attitude négative de Dury vis-à-vis de collaborateurs appréciés et son refus de collaborer ou de discuter énervent de plus en plus de monde. Surtout lorsqu’il déclare :  » J’en ai marre qu’on pense toujours que je vais trouver la solution : nous devons travailler tous ensemble, ce n’est pas l’affaire d’un seul homme.  »

Autre sujet qui fâche : ses commentaires négatifs incessants sur la politique de transferts :  » J’aurais aimé conservé Onur Kaya « , disait-il l’été dernier, alors qu’il avait dit lui-même que le joueur pouvait partir en cas d’offre intéressante (Malines a payé 500.000 euros).  » Je suis certain que nous allons encore transférer un médian offensif et un attaquant de pointe. Je me charge de ces dossiers car nous ne pouvons pas prendre de risque. Je pense que la direction va me suivre.  »

Alors qu’en mai, il avait dit que Timothy Derijck pouvait partir, il reproche à la direction de l’avoir transféré très tard pour 600.000 euros à Gand.  » Dommage qu’il n’ait pas encore été remplacé (il aurait voulu Olivier Deschacht, ndlr). Mais je dois parfois suivre la direction. Le football, c’est du business, on ne peut pas aller dans le rouge.  »

Dury affirme qu’il n’était pas d’accord de laisser partir Julien de Sart. Mais dans Het Nieuwsblad, Cordier explique.  » Courtrai l’a eu gratuitement en fin de mercato. Pour nous, c’était 750.000 euros. Comment ça se fait ? Je ne sais, ce n’est pas moi qui ai négocié.  » En janvier, Dury avait écarté de Sart. Et il n’était allé le rechercher qu’en play-off 2 pour substituer Marcq, victime de mononucléose. Selon Dury, le joueur ne voulait pas rester.

Francky Dury avec Mamadou Sylla. Le bilan de Zulte Waregem est catastrophique : 6 défaites d'affilée en championnat.
Francky Dury avec Mamadou Sylla. Le bilan de Zulte Waregem est catastrophique : 6 défaites d’affilée en championnat.© Belgaimage

Nervosité ambiante

En septembre, alors que les défaites s’accumulent, la pression monte. Dury le confirme au micro de Radio 1 après la défaite (5-1) à l’Antwerp.  » Tout le monde est nerveux mais pas de problème : on n’a pas besoin d’être amis.  » Avant le derby contre Courtrai, lorsqu’un journaliste du Nieuwsblad lui demande s’il y a de l’eau dans le gaz entre lui et le duo Beeuwsaert/Cordier, il réplique :  » Vous avez répondu à la question.  » Ou quand on lui demande s’il a moins à dire :  » Si vous le dites… Écrivez-le.  » Puis il ajoute.  » Je me sens bien ici et j’ai confiance en la direction. Mais je ne sais pas si l’inverse est toujours vrai.  »

L’interview est soumise à Dury qui, étonnamment, l’approuve. Mais la veille, Beeuwsaert a déclaré dans Sport/Foot Magazine :  » Tant que je suis ici, Dury et Cordier resteront.  » Il a aussi remis l’entraîneur sa place :  » Désormais, chacun a son domaine de compétence.  » Et quand on lui a demandé si Kaya et Derijck étaient partis contre l’avis de l’entraîneur, il répond :  » Je sais parfaitement ce qui se dit dans chaque dossier et qui le dit.  » Cordier a ajouté qu’aucun transfert entrant et sortant ne se faisait sans l’approbation de Dury et de de la cellule de scouting.

Étonnamment, après le match contre Courtrai, Dury, si soucieux de son image, admet être responsable de la crise sportive. Mais il ajoute aussitôt :  » Tout le monde au sein du club savait ce que je voulais (en termes de joueurs, ndlr). Avant le derby, Cordier a toutefois rappelé que Zulte Waregem a suspendu les investissements dans le stade et a dépensé plus de quatre millions d’euros en transferts. À la mi-août, après les arrivées de Bedia et Sylla, Dury a parlé en interne de play-offs 1.  »

Un patron de trop

Deux semaines plus tard, c’est à nouveau la guerre. Dury a dit a un administrateur :  » Zulte Waregem a deux patrons (Cordier et lui, ndlr) et c’est un de trop.  » Après avoir évité la faillite de justesse, Cordier veille en bon père de famille sur les finances du club tandis que son coach veut prendre davantage de risques en matière de transferts et exige le top en matière d’infrastructures. L’été dernier, il a obtenu qu’on rénove les vestiaires.

Jusqu’il y a peu, personne ne remettait en doute ses qualités de coach mais au cours des dernières semaines, beaucoup ont froncé les sourcils, surtout après sa tactique suicidaire face au Club Bruges (2-5) ou après ses changements d’attitude vis-à-vis de certains joueurs comme Johan Bjørdal et Michael Heylen. Il semble aussi démotivé.  » Avant, après un 4-0, il aurait tout cassé mais ce n’est plus le cas. « 

Eddy Cordier, le directeur général de Zulte Waregem.
Eddy Cordier, le directeur général de Zulte Waregem.© Belgaimage

Limogeage ?

La question est désormais inévitable : se dirige-t-on vers une séparation ? Probablement pas tout de suite mais si les choses devaient à nouveau mal se passer contre Anderlecht, Charleroi et Mouscron, si Francky Dury continue à cracher son venin et s’il admet qu’il n’est  » pas un magicien  » ou qu’il  » ne voit pas de point positif « , même Tony Beeuwsaert, pourtant toujours très calme, pourrait perdre patience.

Dury, pourtant intouchable par le passé – et il le sait – a déjà perdu du crédit auprès d’une partie des supporters tandis que des sponsors influents auprès de la direction (dont le président Carl Ballière, qui ne parle plus à Dury) supportent de moins en moins le comportement de l’entraîneur.

Au cours des dernières semaines, Willy Naessens et Eddy Cordier ont tenté de déminer une situation  » qui devient tout doucement intenable  » (pour reprendre les propos d’un administrateur), mais en vain.

Un obstacle important se dresse cependant sur la route d’une séparation : en 2013, lorsque Naessens était CEO, Dury a signé un contrat qui ne prendra fin qu’en juin 2023. Une rupture coûterait plusieurs millions d’euros et, pour le moment, Tony Beeuwsaert ne veut pas l’assumer.

La solution pourrait venir d’une démission de Dury, avec accord à l’amiable. Ou de l’intérêt concret d’un grand club. Cette fois, Beeuwsaert et Dury accepteraient de négocier. Et il y aurait peu de chances que Dury jure à nouveau fidélité à Zulte Waregem. En attendant, les deux parties sont liées par un mariage de raison qui ne fait plus le bonheur de personne.

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