Entre amertume et fierté : adieu aux Diables rouges

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A 19h54, à Doha, l’arbitre anglais Anthony Taylor sifflait la fin de la récréation pour la génération dorée de la Belgique, où plutôt celle de bronze. Rencontre avec les supporters belges présents à Al Rayyan pour cette triste dernière.

Par Sam Kunti, envoyé spécial au Qatar

Il est 19h54, le coup de sifflet final retentit au stade Ahmed Bin Ali. Les supporters croates célèbrent la qualification et Luka Modric, toujours aussi performant à 37 ans, lève les bras au ciel. Un point a suffi aux vice-champions du monde. En huitième de finale, les Croates affronteront le vainqueur du groupe E. Les Diables, eux, rentrent à la maison dès vendredi soir.

Le sélectionneur national, Roberto Martínez, regarde droit devant lui pendant un moment, les yeux perdus dans le vide. Romelu Lukaku sanglote. Sur le banc de touche, Thierry Henry prépare des mots de réconfort. En tribune les supporters belges sont stupéfaits, certains même en larmes. C’est ainsi que s’achève l’ère de notre génération dorée : dans un stade anodin de la banlieue de Doha.

Il y a dix ans, la Belgique était moins bien classée au classement mondial de la FIFA que l’Arménie, le Gabon, la Libye et la Zambie. Il y a quatre ans, les Diables rouges ont décroché une troisième place en Russie, mais au Qatar, ils n’ont jamais pu charmer. La Coupe du monde 2022 est devenue la Coupe du monde de l’effondrement, du déchirement pendant ces trois matches de groupe. Les Belges ont été dépassés par le Canada, humiliés par le Maroc et finalement éliminés par la Croatie et Luka Modric, symbole d’une génération croate vieillissante. Le parcours belge n’aurait pas pu être plus embarrassant.

Le stress puis l’espoir vont faire place à l’inquiétude puis à la tristesse. (Photo by Pablo Morano/BSR Agency/Getty Images)

Du pain et des jeux

C’est en fait la « génération de bronze », dit Kris Beyen, un supporter qui suit les Diables depuis sept ans. Il espérait encore un retournement de situation de dernière minute contre la Croatie. Lors de la Coupe du monde 1986, la Belgique a perdu son match d’ouverture contre le Mexique, pays hôte, puis a battu l’Irak 2-1 et n’a finalement obtenu qu’un point crucial contre le Paraguay, et donc un billet pour les huitièmes, lors du troisième match. Le président fédéral de l’époque, Louis Wouters, avait forcé le coach, Guy Thys, à changer d’orientation lors de la dernière rencontre.

L’interview de Kevin De Bruyne dans le Guardian et l’agitation médiatique qui a suivi ont également mis en émoi les supporters dans la capitale qatarie. « En théorie, la déclaration de Kevin était correcte », juge Inez Bouhmidi, une Belgo-marocaine d’Alost. « On est trop vieux et on ne gagnera jamais la Coupe du monde, mais c’est une conversation qui aurait dû être gardée pour le vestiaire. C’est comme ça qu’on sape un groupe : on ne critique pas publiquement ses coéquipiers. »

« Après, le foot est un divertissement : du pain et des jeux », ajoute Beyen. « Les joueurs et l’entraîneur doivent se rendre compte que la presse et toutes les histoires font précisément partie de ce divertissement et qu’ils gagnent aussi beaucoup grâce à cette attention médiatique. Il ne faut pas se laisser abattre par ça ».

Bouhmidi a visité l’hôtel des Diables rouges, le luxueux Hilton Salwa Beach Resort, à une heure et demie de Doha, et y a rencontré Jan Vertonghen. L’expression sur le visage du défenseur en disait long, selon elle.

Atmosphère négative

Le sélectionneur national, Roberto Martinez, n’est pas non plus épargné. Les résultats et le niveau de jeu des Diables ont été dramatiques lors de cette Coupe du Monde. L’atmosphère autour du groupe est très négative et l’Espagnol s’en tient trop à ses vétérans.

« Martínez est une figure dont on parle beaucoup », estime Bouhmidi. « Le football qu’il développe ne correspond pas à notre génération dorée : trop peu d’attaque, de jeu offensif. Dans certains matches, c’était tout simplement trop court, il suffit de penser à la France. Il a échoué. Il aurait dû rajeunir l’équipe, mais nos joueurs jouent dans de grands clubs et il s’appuie donc sur leur expérience. Il doit changer de cap. »

C’est pourtant ce qu’a fait Martínez avec sa composition du jour : Leandro Trossard, Dries Mertens, Yannick Carrasco et Leander Dendoncker sont alignés d’emblée. À cet instant, la presse déclare toutefois déjà les Diables rouges morts et enterrés. Le consultant néerlandais de la NOS, Pierre van Hooijdonk, n’y va pas par quatre chemins : « Je crains que ce soit une rencontre où le sélectionneur s’en tient aux vieux noms. L’année dernière, on a découvert Jérémy Doku. Il était génial et il n’a plus de temps de jeu. Maintenant, Leandro Trossard doit sauver les meubles. Je n’y crois pas. »

Romelu Lukaku, l’anti-héros de ce Croatie-Belgique. (Photo by Visionhaus/Getty Images)

Lukaku, l’anti-héros

Sur le terrain, les Diables rouges chantent l’hymne national, mais Kevin De Bruyne garde les lèvres serrées. Les Belges commencent particulièrement mal le match, échappant à un penalty lorsque le VAR annule une faute de Carrasco pour hors-jeu. Dans une première mi-temps laborieuse, les Belges n’approchent jamais leur meilleur niveau, typique de l’ensemble de leur tournoi.

En seconde période, Romelu Lukaku entre au jeu à la place de Dries Mertens. Thibaut Courtois est le seul Belge à s’illustrer. Il empêche Modric, Marcelo Brozovic et Mateo Kovacic de marquer grâce à de superbes arrêts. Lukaku envoie inexplicablement un ballon sur le poteau. À ce moment-là, le rêve d’un pays s’envole, le rêve de la génération dorée. L’attaquant fait figure d’anti-héros et manque encore trois autres occasions.

La Belgique quitte donc le tournoi et signe sa pire Coupe du monde depuis 1998, malgré la volonté et l’engagement de Lukaku. Seul Youri Tielemans s’est avancé vers un inconsolable Big Rom.

Une fin amère pour la génération dorée ?  « Oui et non », estime Bouhmidi. « Si on regarde les précédents championnats d’Europe et Coupes du monde, en tant que petit pays, on peut être très fier de ce qu’ils ont fait. »

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