Amadou Onana: « Ce n’est pas mon problème si les gens en Belgique ne croient plus en nous. Moi, je crois en notre équipe »

Au pessimisme ambiant à l’approche du Mondial, Amadou Onana répond par des grands écarts et des sourires Colgate. De la fraîcheur, de l’innocence et une bonne dose de souplesse, donc. Logique pour un homme passé en moins de six mois d’invité surprise à titulaire potentiel avec les Diables. De remplaçant en Ligue 1 à indispensable en Premier League, la vie d’Amadou Onana a connu un sérieux coup d’accélérateur. Mieux vaut Qatar que jamais.

Amadou Onana est un homme occupé. Préoccupé aussi. Quoique, d’autres s’en chargent pour lui depuis peu. Trois jours après avoir quitté la pelouse de Goodison Park fin octobre en boitant légèrement à la suite d’un coup reçu à la cheville, le nouvel homme fort d’Everton reçoit chez lui et s’amuse d’encore faire la Une des sites d’info en recherche de clics. On le dit blessé, mais lui s’entraîne normalement. Tout juste surpris de voir l’excitation suscitée par le moindre petit coup reçu ça et là. Ça s’appelle la frénésie. Celle qui précède une grande compétition connaît peu d’équivalent. C’est d’autant plus vrai en préambule d’une Coupe du monde. La génération dorée connaissait, Amadou Onana découvre. Le décalage est total pour celui qui se vendait encore sur vidéo il y a quatre ans, mais dont les highlights font aujourd’hui le tour du monde sans qu’il doive lever le petit doigt. Désormais, il sort chaque semaine ses deux grands compas pour saucissonner la Premier League et déposer sa carte de visite. Ce sont les mêmes cannes qu’il y a cinq ans, quand il jouait les utilités dans le noyau B des U17 de Zulte Waregem, mais celles-ci valent maintenant de l’or. Ce qui a tout à la fois le goût de la revanche et la savoureuse odeur du succès. Rencontre dans la banlieue chic de Manchester avec l’une des raisons de croire au prolongement d’un interminable été indien.

Parfois, en voiture, je pense au fait que je viens de passer une heure à discuter football avec Frank Lampard.» AMADOU ONANA

On est début novembre et tu as déjà quasiment atteint le même nombre de minutes jouées en Premier League que ton total de l’année dernière en Ligue 1. Comment tu gères cette absence de transition douce?

AMADOU ONANA: Sans compter l’intensité qui n’est pas franchement la même non plus! Bien sûr que passer de douzième homme à titulaire indiscutable, ce n’est plus le même statut. Ce ne sont pas les mêmes attentes non plus. Mais ce serait faux de dire pour autant que je n’ai pas connu de période d’adaptation. J’ai cravaché en début de saison pour trouver le rythme et me faire ma place. Celle-ci ne m’attendait pas au chaud et j’ai dû, comme toujours, jouer des coudes pour m’imposer. Prouver ce dont j’étais capable aussi. Et ça a été tout sauf facile. Ce n’est pas gagné à l’heure où on se parle non plus d’ailleurs. Mais je mets petit à petit les choses en place pour que ce que je réalise aujourd’hui soit les bases de quelque chose de plus grand encore dans les semaines et les mois à venir.

© belga

C’est-à-dire, concrètement?

ONANA: Il y a plein de choses que tu peux faire pour pérenniser ce qui peut paraître comme acquis. Continuer de travailler comme un fou d’abord. Précisément sur ce qui peut apparaître encore comme des points faibles dans mon jeu. Je pense en priorité à ma finition devant le but, par exemple. Ce pour quoi, chaque jour après l’entraînement, je demande à un gardien, soit Asmir (Begovic, ndlr), soit Eldin (Jakupovic, ndlr), de rester un peu avec moi pour que je puisse faire des frappes au but. Ce qui est bien, c’est que le coach prend souvent le temps de rester lui aussi avec moi. C’est un ancien milieu de terrain qui avait la spécificité de marquer énormément. C’est ce qui le rendait spécial. Si j’arrive à travailler suffisamment pour obtenir sa qualité de frappe, je ne serai pas trop mal (il rit). En vrai, encore aujourd’hui, il a gardé une sacrée frappe, c’est assez impressionnant.

Outre le football, la musique est l'autre grande passion d'Amadou Onana.
Outre le football, la musique est l’autre grande passion d’Amadou Onana.

«Je n’étais jamais qu’un gamin qui essayait de jouer au foot»

Comment est ta relation avec Frank Lampard?

ONANA: Elle est très bonne. Mais c’est surtout lié à l’homme qu’il est. Honnêtement, j’adore le coach et je pourrais vous en raconter des tonnes à son sujet, mais c’est l’homme qui m’a convaincu de poursuivre l’aventure ici. Jamais je ne serais venu à Everton parce que l’ancienne star Franck Lampard y entraînait. Il a été un joueur exceptionnel, mais je ne signe pas dans un club pour le nom de son coach. Pour ses idées bien, par contre. C’est là qu’il m’a séduit. En discutant avec lui, je me suis rendu compte que c’était un homme passionnant. J’ai aimé le feeling qu’on a eu. J’ai aimé la manière dont il me parlait, dont il parlait de football. C’est un entraîneur qui veut énormément jouer au ballon, comme beaucoup, mais lui s’en donne réellement les moyens. C’est-à-dire qu’il autorise le droit à l’erreur. Il nous pousse presque à en faire. Il veut qu’on casse des lignes et il nous donne la liberté suffisante pour y arriver. C’est la différence entre la théorie et la pratique. Et c’est ce que j’aime chez lui. J’ai toujours eu besoin qu’on me laisse cette liberté de me projeter vers l’avant, de gagner des mètres. Dans l’absolu, on passe beaucoup de temps tous les deux à analyser mes matches, mon positionnement avec et sans ballon. Mais honnêtement, surtout avec. Parce que c’est un coach qui s’intéresse surtout à ce qu’on fait du ballon. Et en l’occurrence, il trouve que je n’en fais pas encore assez. Il veut que je sois beaucoup plus décisif au vu de mes qualités. Donc on analyse dans le détail ce que je pourrais faire de mieux dans telle ou telle situation. Techniquement, il considère que je dois encore franchir un palier. Il n’a pas tort, je le sais. Parfois, j’y pense en voiture sur le trajet du retour de l’entraînement entre Everton et Manchester. Et je me dis que je viens de passer une heure à discuter football avec Frank Lampard. C’est important aussi de s’en rendre compte. Surtout quand on sait d’où je viens.

Ce n’est pas mon problème si les gens en Belgique ne croient plus en nous. Moi, je crois en notre équipe.» AMADOU ONANA

Thierry Siquet, le premier à t’avoir repris en équipe nationale U17, a dit que c’est d’abord par ton caractère qu’il t’avait remarqué. D’impressionnantes qualités de leadership qui ont permis à l’époque de palier certaines de tes carences balle au pied. Ton charisme, c’est ce qui t’a sauvé?

ONANA: Il faut bien avoir quelques qualités (il rit). Sans blague, j’ai toujours aimé diriger, aider les autres aussi. Coacher en fait. J’adore ce sentiment de faire partie d’un ensemble. De tirer à la même corde. Je viens d’une famille assez modeste où il n’était pas trop question de pouvoir se plaindre. J’ai pris ça comme une force. Je prends sur moi et j’aide les autres à avancer. Ce n’est pas seulement lié à mon enfance à Dakar, c’est aussi le résultat des différents rejets que j’ai pu connaître par la suite. À Anderlecht, à Zulte, à Hoffenheim aussi. Et pourtant, je me suis accroché. Comme un mort de faim. Si tu n’as pas confiance en toi, jamais tu ne continues d’y croire quand tout le monde te dit que tu n’y arriveras pas. Que tu n’es pas assez bon. Heureusement pour moi, j’avais confiance en mes qualités. Souvent, je repense à ces moments-là et je me dis que certains ont dû ouvrir de grands yeux en regardant la Ligue des Champions l’année dernière (il rit). Je ne dis pas que je suis Ronaldo, hein. Et il y avait sans doute plein de bonnes raisons de me critiquer à l’époque. Mais quand tu es responsable d’un pôle formation, j’estime qu’il y a des mots que tu ne dois pas avoir. On n’est jamais que des gosses. Et moi, je n’étais jamais qu’un gamin qui essayait de jouer au foot. Et vu le joueur que je suis devenu, il y avait visiblement moyen de me trouver des points de travail plutôt que de me dire que je n’étais pas assez bon.

Amadou Onana fait étalage de sa puissance lors d'un duel aérien avec Lisandro Martínez (Manchester United).
Amadou Onana fait étalage de sa puissance lors d’un duel aérien avec Lisandro Martínez (Manchester United).

Tu penses qu’il y a encore beaucoup de gamins qui passent entre les mailles du filet?

ONANA: Oui, je pense qu’il y en a des millions. J’ai joué avec énormément de joueurs plus talentueux que moi, mais qui, pour de multiples raisons, ont abandonné en cours de route. C’est parfois une question de mentalité, de manque de rage de vaincre, c’est aussi parfois la faute de certains formateurs qui travaillent au coup d’œil. Et qui ne prennent pas en compte la complexité globale de ce que c’est d’être un gamin de quinze ans en test à des centaines de kilomètres de chez lui. Moi, si je n’avais pas été grand et fort, jamais je n’aurais eu cette chance de partir une semaine en stage avec les U17 en Biélorussie en janvier 2018. C’était ma dernière chance et je ne l’ai pas laissée passer. Mais beaucoup ne la reçoivent jamais.

«Si j’arrive à être aussi souvent décisif que Marouane avec les Diables, je serai content»

On te compare beaucoup à Marouane Fellaini. Pour l’aspect purement musculeux de ton jeu. Ce qu’on oublie peut-être parfois, c’est que la plus grande qualité de Fellaini était de ne jamais disparaître dans les grands matches. Il était de ceux sur qui la pression semblait glisser. Tu penses être fait du même bois?

ONANA: Je crois bien que oui. Je me mets de la pression par rapport à moi parce que j’ai beaucoup d’attentes me concernant, mais céder sous la pression, ce n’est pas mon style. La pression, elle est sur les épaules du gars qui est actuellement en train de faire la guerre en Ukraine, elle est sur le mec qui se lève le matin sans savoir ce qu’il mangera le soir, mais elle n’est pas sur un joueur de foot. Le reste, que ce soit ma vie ou un match de foot, je vois ça comme un cadeau. Quand je suis sur le terrain, j’essaie de m’amuser. Mais ce n’est pas facile pour autant de relativiser comme je le fais. Ça se travaille à travers certains exercices. Je suis aussi les conseils d’un coach mental (le Français Anthony Lespade, ndlr), par exemple. Je ne vais pas tout dévoiler ici, mais il y a des choses qui m’aident à faire le reset dans un match. Un exemple parmi d’autres, ça peut être de fixer un point précis dans un stade. Ou une bouteille d’eau que je vais placer à un endroit spécifique et qui me servira de point de repère par la suite. Ça permet de faire le point en cas de trou d’air. Ça parait bête, mais ça m’aide.

Amadou Onana partage un café avec Melissa, sa sœur et conseillère.
Amadou Onana partage un café avec Melissa, sa sœur et conseillère.

Pour revenir à la comparaison avec Marouane. Comment votre génération vit-elle le fait d’être sans cesse comparée à la précédente?

ONANA: Moi, personnellement, ça m’amuse. Je préfère ça que d’arriver dans une équipe qui ne tourne pas. Ici, on arrive à un moment charnière. On sait qu’il va falloir être à la hauteur, mais on bénéficie aussi de tout le professionnalisme apporté par cette génération de fou. Honnêtement, si j’arrive à être aussi souvent décisif que Marouane avec les Diables, je serai content. Mais je ne veux pas non plus devenir un Marouane bis. Je veux faire mon truc. Comme tout le monde.

Jamais, ou presque, dans ses six années passées à la tête de l’équipe nationale, Roberto Martínez n’avait accordé si vite sa confiance à un joueur. C’est comment d’être le nouveau chouchou du sélectionneur?

ONANA: Je ne vois pas les choses comme ça (il rit). Roberto Martínez est très précis dans ce qu’il veut. Très pointilleux. Et visiblement, il retrouve chez moi des qualités qui lui sont nécessaires à l’instant T. Tant mieux pour moi évidemment, mais je ne fais jamais que mettre mes qualités au service de l’équipe.

«On ne doit craindre personne»

Ta réussite, ton statut actuel avec les Diables de Roberto Martínez et en Premier League, ça sonne un peu comme la revanche des sans-grades, non? Encore un peu plus si on te compare à un joueur comme Albert Sambi Lokonga, de deux ans ton aîné, qu’on considère comme un super talent depuis des années, mais qui n’a jamais bénéficié d’une telle cote en équipe nationale…

ONANA: Je ne veux pas me comparer à d’autres joueurs. Ce qui est sûr, c’est qu’Albert et moi, on n’a pas eu le même parcours. Il y a des gars qui passent par les meilleurs centres de formation du pays et d’autres qui prennent des chemins de traverse. Moi, je n’ai pas eu d’autres choix que de prendre l’itinéraire bis. Ce n’est pas une force, c’est un constat. Et tant mieux si aujourd’hui les cartes sont rebattues. Ce qui est sûr, c’est que s’il y a bien un mec sur lequel personne n’aurait misé une pièce, c’est bien moi (il rit). Ceci dit, je ne connais pas Albert personnellement, mais en tant que joueur, il a beaucoup de qualités. Le chemin de chacun est tracé différemment, mais je suis sûr que son heure viendra à lui aussi.

Des gars comme Courtois, Vertonghen, Alderweireld, De Bruyne, Lukaku ou Hazard, ce sont de vraies machines. Et je ne veux pas entendre parler d’âge. Ils sont irréprochables.» AMADOU ONANA

Ils ne sont pas beaucoup plus nombreux à oser aujourd’hui miser une pièce sur les chances de la Belgique à la Coupe du monde. Qu’est-ce que tu dis aux pessimistes?

ONANA: Que j’ai les crocs! Que je n’ai jamais eu aussi faim. Je vais être honnête avec vous: si je vais au Qatar, ce sera avec une détermination incroyable. J’irai là-bas pour devenir champion du monde. En tout cas, au minimum pour faire aussi bien qu’en 2018. Sans quoi, je serais déçu. Et ce n’est pas mon problème si les gens en Belgique ne croient plus en nous. Moi, je crois en notre équipe. Objectivement, elle est magnifique. Sur papier, on a l’un des meilleurs onze du monde. Je le sais parce que j’ai eu la chance de les côtoyer et je peux vous dire que des gars comme Thibaut Courtois, Jan Vertonghen, Toby Alderweireld, Kevin De Bruyne, Romelu Lukaku ou Eden Hazard, ce sont de vraies machines. Je ne veux pas entendre parler d’âge. Je vous parle de mentalité là. Les gars sont irréprochables. Et sur trois semaines, ils peuvent faire des miracles. Du coup, j’ai un peu de mal à comprendre ce qui semble être une atmosphère défaitiste en Belgique. Alors qu’en vrai, on est au croisement de deux super générations. C’est un Mondial qu’on va devoir prendre très au sérieux, une poule où on va devoir se méfier de tout le monde, mais on est la Belgique. On ne doit craindre personne.

Amadou Onana repousse Steven Bergwijn lors du match face aux Pays-Bas grâce à sa musculature puissante.
Amadou Onana repousse Steven Bergwijn lors du match face aux Pays-Bas grâce à sa musculature puissante.

On a quand même l’impression que le vrai rendez-vous pour ta génération, il arrive au lendemain de ce Mondial. Et il passera par une qualification pour l’EURO 2024. Tu te sens prêt à reprendre les rênes de cette équipe?

ONANA: Ce sera compliqué de faire aussi bien, mais on va tout donner. Que les gens profitent à fond de voir les joueurs cités précédemment évoluer avec le maillot de la Belgique et on verra pour la suite. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il y a des talents exceptionnels qui vont émerger. Je pense qu’on va avoir en Youri (Tielemans, ndlr) le chef de file idéal. Derrière, il y a Albert (Sambi Lokonga, ndlr), mais aussi Loïs (Openda, ndlr), Arthur (Theate, ndlr), Yari (Verschaeren, ndlr), Mike (Trésor, ndlr), Largie (Ramazani, ndlr), Orel (Mangala, ndlr) et j’en passe. Ce ne sera pas le désert, loin de là. Vous pouvez me croire.

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