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Découvrez la vie de Merveille Bokadi, le roc du Standard

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Découvrez la vie et l’oeuvre du roc congolais des Rouches, décortiquées par son coach national. « Le gars, avec ses blessures, je le trouvais magnifique… »

« S’il ne s’était pas fait deux fois les croisés, le Standard aurait gagné autant d’argent avec lui qu’avec Christian Luyindama. » Pour rappel, Luyindama avait débarqué à Liège pour le prix de trois bonbons. Et il a été vendu à Galatasaray, deux grosses années plus tard, pour cinq briques. Le gars dont on parle, c’est Merveille Bokadi. Le type qui parle, c’est Christian N’Sengi. Sélectionneur du Congo, directeur technique de la fédé aussi.

Les Congolais le surnomment Zidane? Moi, je le compare plutôt à Laurent Blanc. » Christian N’Sengi, sélectionneur de la RDC

Aucun Rouche de champ n’a autant de temps de jeu, depuis l’été 2020, que Bokadi. Le grand gaillard a un compteur perso qui explose complètement: près de 3.500 minutes sur le terrain cette saison, c’est une fois et demie plus que sur les quatre saisons précédentes. Zinho Vanheusden ne doit pas se précipiter pour son retour, la défense s’est trouvé un nouveau boss. Analyse en haut lieu d’un colosse en pleine bourre.

« Avec lui dès le départ, on serait plus proches de la CAN »

« Ce qu’il fait depuis quelques mois ne me surprend pas », continue le patron sportif de la RDC. « Souviens-toi qu’avant sa première rupture des ligaments croisés, en 2017, il enchaînait déjà les matches et était très bon. Ricardo Sá Pinto en avait fait un vrai titulaire dans le milieu du jeu. » Jusqu’à ce crash sur la pelouse d’Anderlecht. Un choc en apparence anodin avec Henry Onyekuru. Et une blessure synonyme de seize mois sans match officiel, 490 journées de galère. Puis un retour. Ensuite une nouvelle blessure grave, à nouveau les croisés, sept mois plus tard. Encore un séjour XXL chez les kinés.

Le sélectionneur analyse: « Après des couacs pareils, tu ne reviens pas au plus haut niveau si tu n’as pas un mental exceptionnel, une hygiène de vie parfaite, une énorme force de travail. Aujourd’hui, on peut dire que ses blessures l’ont simplement coupé dans son élan. Il est là où il mérite d’être, vu son talent. Je vois un joueur mature, plus qu’avant ses ennuis physiques. Et il connaît de mieux en mieux le championnat de Belgique, c’est frappant quand on décortique son jeu. Il va encore monter en puissance, c’est sûr. »

Récompense de tout cela, Merveille Bokadi a réintégré une équipe nationale où il avait fait ses débuts en 2016, mais plus été appelé depuis l’été 2019, quand Christian N’Sengi n’était pas encore sélectionneur des A, mais dirigeait les U23. Il a fait son retour tout récemment, en novembre de l’année passée, pour deux matches éliminatoires de la CAN, contre l’Angola. Les Congolais vont disputer leurs deux dernières rencontres qualificatives ce jeudi (au Gabon) et lundi (contre la Gambie). Les deux concurrents directs. Les hommes de N’Sengi restent en course pour aller à la Coupe d’Afrique. « Il nous faut quatre points. » Et quand il évoque le parcours jusqu’à présent, il a un regret: ne pas avoir repêché Bokadi plus tôt. « On a joué un match-clé en Gambie, on menait 1-2 à quelques secondes de la fin. Mais ils ont égalisé parce qu’il y a eu un manque de rigueur dans notre équipe. Je me dis maintenant qu’avec un gars comme Merveille Bokadi, on n’aurait pas pris ce but. Et on serait en tête de notre groupe avant les deux dernières journées. »

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Tout le sépare de Luyindama

Chez nous, on a découvert ce joueur dans un rôle de médian défensif. Cette saison, vu l’absence de Vanheusden, c’est dans l’axe de la défense qu’il brille. Mais dès qu’il retourne au pays, c’est dans le milieu qu’on compte sur lui. « J’ai trois cracks pour ma défense centrale », poursuit le sélectionneur. « J’ai Christian Luyindama, Chancel Mbemba et Marcel Tisserand. Je suis gâté. C’est une concurrence terrible pour Bokadi. Mais il peut être fort utile un peu plus haut. On a de la rigueur derrière, on encaisse très peu. Mais dès qu’on arrive dans l’entrejeu, puis devant, c’est moins organisé. Il peut être l’homme de la situation, celui qui corrige ces petits défauts. »

Difficile d’évoquer Bokadi sans revenir sur l’aventure de Christian Luyindama. Un monstre dont on a rigolé chez nous dans un premier temps, à cause de ses grosses lacunes techniques. Mais au final, il était devenu un taulier du Standard, un guide de l’équipe, l’amuseur de service, la grande gueule de Sclessin. Christian N’Sengi fait une comparaison intéressante. « Ce sont deux profils complètement différents, presque à l’opposé. Sur le terrain et dans la vie. Luyindama est un défenseur central, point à la ligne. C’est figé. Il est fait pour ça et il ne fait que ça. Bokadi a plus de football dans les pieds, il sait à la fois casser des actions, récupérer, mais aussi construire. Tu peux le mettre en défense centrale ou dans un rôle de médian défensif, il fera le boulot. Et en dehors du terrain, il est beaucoup plus posé que Luyindama. Avant de l’appeler pour les matches contre l’Angola, je l’avais repris pour un stage au Maroc, c’est là que j’ai vraiment découvert sa personnalité. »

« Il est immortel au pays »

Merveille Bokadi affirme qu’au Congo, tout le monde (ou presque) le surnomme Zidane. Il était complètement dingue du Français quand il était gamin, mais ce n’est pas ça l’explication. La raison, c’est sa facilité technique et le fait qu’il ait débuté comme numéro 10. Jusqu’à son passage au Tout-Puissant Mazembe. Lui, originaire de Kinshasa, a vraiment explosé avec le géant de Lubumbashi. « Je ne suis pas au courant qu’on le surnomme Zidane, par contre je sais qu’il a une grosse cote dans tout le Congo », dit l’entraîneur national. « C’est presque automatique dès que tu as joué au Tout-Puissant. Avec ce club, il a gagné la Ligue des Champions africaine et il a joué la Coupe du monde des clubs. Tu deviens quasi immortel au pays quand tu réussis des exploits pareils, et pas seulement chez les supporters du Tout-Puissant. »

Découvrez la vie de Merveille Bokadi, le roc du Standard

Des aptitudes techniques développées, au départ, dans la rue. « Ça vient de là, ça saute aux yeux », lâche Christian N’Sengi. « Vu son poste, en défense, son niveau technique n’est pas frappant. Mais parfois, il entreprend des raids vers l’avant et il montre alors qu’il en a dans les pieds. C’est caractéristique chez lui cette saison. Il ose, en choisissant ses moments. Sur ces phases-là, tu vois encore mieux qu’il est maintenant en pleine confiance. Tu vois que c’est réfléchi, qu’il ne prend pas des initiatives offensives sur un coup de tête, sans penser aux conséquences possibles. Il passe devant quand il remarque qu’il peut créer le surnombre et apporter quelque chose de dangereux. Il ne veut pas être dans le moule du défenseur central qui reste dans sa zone de confort. C’est comme ça qu’il est aujourd’hui un des meilleurs buteurs du Standard. » Et, au niveau européen, il est un des défenseurs centraux les plus prolifiques depuis l’été dernier.

Foot de rue

« Au Congo, tu découvres le foot dans la rue, sur la plage, dans les parcs, tu fais partie d’un cercle ou d’une entente, comme on dit là-bas. Le cas de Bokadi n’est évidemment pas isolé. Si c’était mieux organisé, on verrait encore plus de joueurs congolais dans les meilleurs championnats. Parce que le vivier est monstrueux. J’y travaille, dans ma fonction de directeur technique. On est par exemple occupés à restructurer la détection. On peut faire des grosses équipes en foot, en futsal, en beach soccer. »

Et on termine sur l’ affaire Zidane… « Si je dois le comparer à un grand joueur du passé, je pense plutôt à Laurent Blanc. Bokadi est un gars discret, mais il va se faire écouter et respecter. Il ne fera jamais de sa gueule, c’est fait dans la sobriété. C’est sa façon d’être un leader. Je ne sais pas ce qu’il fait une fois que les joueurs sont dans leur chambre à l’hôtel, je ne sais pas comment il est en guindaille, quand il se retrouve avec ses amis, mais ça m’étonnerait fort qu’il dérape. Il m’avait marqué lors d’une des premières conversations que j’avais eues avec lui. Il était en pleine rééducation et je lui avais dit que je comptais sur lui, qu’il pouvait redevenir international. Je l’avais senti fort touché. Ce gars-là, avec ses blessures, je le trouvais magnifique… »

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