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Belgique – Costa Rica : les Diables boivent la pression

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Analyse de la victoire des Diables rouges face aux Ticos, pour leur dernier test avant le Mondial.

L’heure du décollage approche. Chacun a sa technique pour préparer ses valises. Avant de s’envoler pour le Brésil, la Belgique de Marc Wilmots avait lancé ses vêtements sans trop réfléchir à leur agencement. En piochant des fringues à la va-vite, au moment de s’habiller, les Diables parviendraient bien à former un ensemble élégant. Une collection de beaux vêtements ne donne-t-elle pas forcément une belle tenue ?

Roberto Martinez n’est pas d’accord. Sa valise est compartimentée, et chaque pièce se trouve précisément rangée. Au milieu, cependant, il y en a une qui prend beaucoup plus de place que les autres. Impossible de la plier pour restreindre son espace vital, sous peine de la froisser, et de la rendre moins étincelante au moment de sortir de la valise. Pour séduire la plus belle des Coupes, le Catalan ne peut pas atterrir sur le sol russe sans son impeccable Eden Hazard.

La zone d’influence du numéro 10 est de plus en plus grande. Tous semblent asservis à ses chevauchées ballon au pied, lancées par un coup de rein et conclues par un coup de génie. Chaque occasion créée face au Costa Rica transitait forcément, presque obligatoirement, par ses pieds. Le système belge gravite désormais autour de ses qualités. Les joueurs de couloir collent la ligne pour lui offrir des espaces, ou se rapprochent de l’axe quand Eden a plutôt besoin d’associés. Devant, Lukaku sert de point d’appui alors que quelques mètres plus bas, Kevin De Bruyne joue les rampes de lancement. Même Dries Mertens, longtemps engagé comme sosie officiel du capitaine des Diables, a accepté de changer progressivement son registre pour se faire une place dans le crew national.

EDEN VERS LE BUT

Le Costa Rica subit le même sort que les autres. L’action la plus symbolique se déroule sans doute au retour des vestiaires, quand les Belges donnent le coup d’envoi d’une seconde période moins époustouflante que la première. À côté de Romelu Lukaku, Eden prend le ballon, et n’a même pas le temps de sortir du rond central avant d’être arrêté fautivement. Comme si les équipiers de Keylor Navas n’avaient pas le choix. Quelques minutes plus tôt, déjà, Giancarlo Gonzalez avait vu jaune pour avoir entravé une course folle d’Hazard.

Depuis qu’il a croisé la route de José Mourinho à Chelsea, le garçon sage et joueur des années lilloises a, peu à peu, changé de dimension. Ses prises de balle vont désormais vers le but. Comme si chaque contrôle devait être un coup de poignard dans la défense adverse. Une fois arrivé au rectangle, Eden cherche à nouveau ses partenaires. Parfois trop. Mais entre la prise de balle et la fenêtre de tir, les jambes adverses ressemblent seulement à des haies, franchies avec l’aisance d’un hurdler lancé sur la piste d’un record du monde.

Roberto Martinez, lui, se contente d’ouvrir les portes du couloir axial à son numéro 10, pour l’emmener du rond central au rectangle adverse. Le système est parfaitement articulé, et le plan choisi par l’équipe qui se pose en face d’Eden a finalement peu d’importance. Parce que le capitaine va trop vite pour les autres, et que la Belgique est désormais assez flexible pour s’adapter à tous les schémas dressés devant ses pieds.

LE CAMP DE KEVIN

Devenu plus ambitieux depuis son quart de finale brésilien, le Costa Rica n’attend pas la Belgique. L’idée de la bande à Keylor Navas est d’empêcher le ballon d’arriver jusqu’aux pieds offensifs belges, et donc d’installer un pressing très haut. Le plan gêne rapidement Thomas Meunier, et offre un premier corner aux Ticos après deux minutes, l’occasion pour Duarte d’envoyer de premiers frissons dans les tribunes bruxelloises.

C’est alors qu’apparaît Kevin De Bruyne. Discret depuis le début de la préparation, le cerveau du City de Pep Guardiola applique la première phase des plans de son coach citizen. Quand il avait débarqué à Munich, Pep avait divisé ses offensives en deux parties : la relance méthodique du football espagnol jusqu’au rond central, puis la verticalité allemande dans le camp adverse. Chez Martinez, De Bruyne s’occupe d’orchestrer la première phase. Le rouquin récolte les ballons venus des pieds de sa défense, joue avec son corps et ses méninges pour sortir du pressing, et amène la sphère jusqu’à Hazard, chargé de faire la différence. Pour égaliser, Eden perce un mur de sept Costaricains en une frappe croisée, transformée en passe décisive pour Mertens au bout d’une action qui ressemble à un but de futsal.

À la manoeuvre des deux buts suivants, les deux joyaux de la couronne belge se partagent les rôles de l’ombre avec des actions lumineuses. De Bruyne met Mertens sur orbite pour permettre à Lukaku de mettre les Diables devant, puis se place au bout d’une chevauchée d’Eden avant d’envoyer un ballon digne d’un cours de géométrie dans la course de Chadli, passeur décisif pour un Romelu toujours boulimique de buts. Les deux solistes jouent enfin une symphonie, qui prend des airs de samba dans ces maillots jaunes qui ne cessent de dribbler et de se croiser, avec ces changements de positions qui désorientent complètement l’adversaire.

RETOUR À TROIS

Si on ajoute la dernière merveille d’Hazard, un contrôle au superlatif qui lance Lukaku et Batshuayi vers le 4-1, on oublierait presque que ce sont les filets de Courtois qui ont tremblé en premier. Martinez, qui avait placé Dedryck Boyata au pied de son onze de gala, avait décidé de regarder plus ambitieusement vers l’avant, privilégiant le pressing en nombre au repli à cinq derrière, qui concédait trop facilement du terrain à ses adversaires. La vitesse et la présence au duel de Boyata devenaient alors de plus précieux atouts que les pieds de Laurent Ciman, pour épauler Toby Alderweireld et Jan Vertonghen.

Mis en difficulté dans son couloir, le gaucher des Spurs préfère souvent laisser le flanc à l’adversaire et les critiques à Carrasco, protégeant plus sa prestation que celle de son équipe. Hors-position, puis mal inspiré sur un dégagement aérien, l’homme aux 102 matches chez les Diables offre l’ouverture du score au pied gauche soyeux de Bryan Ruiz, mais se rattrape quelques instants plus tard : un but injustement annulé d’abord, avant d’initier le 2-1 d’un dégagement parti de son propre coin défensif, témoin d’une Belgique qui apprend enfin à contrer en équipe.

Plus ambitieuse sur le terrain, la Belgique a concédé des espaces sur ses flancs défensifs, mais a surtout multiplié sa présence autour du rectangle adverse. Pour une occasion concédée, les Diables s’en créent au moins trois. Le rapport de forces incite forcément Roberto Martinez à pointer un doigt conquérant vers le but adverse plutôt qu’un regard soucieux vers les gants de Thibaut Courtois, plus souvent premier relanceur que dernier rempart face aux Costaricains. Les premiers mouvements de la chorégraphie belge sont ceux d’un jeu à l’espagnole, tandis que les derniers rappellent que les dribbles ont transformé ce petit carrefour continental en Brésil d’Europe. Un mélange de conduite planifiée et de raccourcis improvisés qui pourrait s’avérer utile pour sortir la tête haute des légendaires embouteillages moscovites.

Par Guillaume Gautier

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