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Anderlecht: les cicatrices de Josh Cullen

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Il a rêvé près de vingt ans d’une carrière à West Ham. C’est mort. Alors, il se reconstruit à Anderlecht.

« Pour ce prix-là, c’est quasi impossible d’amener un joueur ayant un tel impact. Il renforce tout le monde autour de lui, il abat un travail phénoménal. Avec sa mentalité, il ira plus loin que beaucoup le pensent. » Au confessionnal, c’est Vincent Kompany qui s’exprime. Il évoque Josh Cullen, son milieu défensif irlandais. Acheté à West Ham pour une bouchée de pain, un demi-million à peine. Il avait déjà failli débarquer à Anderlecht durant les grandes vacances 2020, quand le club essayait de se débarrasser d’ Adrien Trebel et de son contrat XXL. Le Français est resté, donc le gars des Îles a dû patienter. Il a finalement été recruté sur le buzzer, tout en fin de mercato, quand Trebel s’est à nouveau blessé. Et entre-temps, Cullen a relégué l’ancien Standardman dans l’ombre. C’est lui, par exemple, qui rend Albert Sambi Lokonga meilleur, qui corrige ses petites erreurs via un sens du placement au-dessus de la moyenne. L’engagement, la hargne, l’agressivité, pareil.

Analyse du parcours chahuté de ce gars discret, des moments-clés qu’il a vécus en Angleterre avant de se poser chez nous.

« Le souvenir d’avoir gagné ce trophée restera dans ma mémoire pour toujours »

DylanTombides. Un prénom et un nom qui ne vous disent probablement rien. Par contre, dans un quartier de Londres, le type est élevé au rang de héros. De martyr aussi. C’était un jeune footballeur australien prometteur qui avait grandi en Chine et joué en équipes d’âge à Hong-Kong avant de se retrouver à l’académie de West Ham. Dans la foulée de la Coupe du monde U17 en 2011, où il portait le maillot de l’Australie, on lui a diagnostiqué un cancer des testicules. Le traitement a été très lourd, et l’année suivante, il a fait sa seule apparition avec l’équipe première du club londonien. Puis il a encore disputé le championnat U23, ce qu’on avait à l’époque qualifié de « défi à la logique médicale. » Il est décédé à vingt ans.

Sa mort a bouleversé West Ham, qui a retiré pour toujours le numéro de maillot qu’il portait. Un seul autre joueur de l’histoire de ce club a eu cet honneur: Bobby Moore. Un trophée a été créé pour célébrer sa mémoire: le Dylan Tombides Award récompense chaque année le meilleur joueur de l’académie des Hammers. Et c’est Josh Cullen qui a reçu le premier exemplaire, au bout du championnat 2013-2014. Clairement, il était considéré comme une grande promesse du club.

« Il y a un trajet de 22 heures en car pour rentrer à la maison »

En 2015, Josh Cullen a 19 ans. L’âge de l’explosion. Il a passé une dizaine d’années à l’académie de West Ham et il est temps pour lui de faire le pas vers l’équipe A. Il est repris dans le groupe pro pour la première fois à l’occasion d’un déplacement à Arsenal. Du banc, assis près de Sam Allardyce, il observe la correction infligée par Olivier Giroud, Aaron Ramsey et Mathieu Flamini (3-0). Quelques mois plus tard, il tient son graal. Il joue enfin avec les A, trois matches de tours préliminaires de l’Europa League. Dont un déplacement chez les Andorrans de Lusitanos. Son père a fait le trajet en bus avec 500 supporters de West Ham. Une grosse vingtaine d’heures de route.

Reste à conquérir la Premier League. C’est chose faite durant l’été 2015. Ou presque. Ce jour-là, les Hammers vont s’imposer sur la pelouse d’Anfield, pour la première fois depuis 52 ans. Un 0-3 historique avec Slaven Bilic qui a pris place sur le banc de West Ham. Face à Simon Mignolet et Christian Benteke, Josh Cullen monte au jeu à la 96e minute, pour quelques secondes. Mais ce premier jour de gloire est sans lendemain. Il passe les semaines suivantes alternativement sur le banc et en tribune. Il n’est pas encore prêt pour faire le boulot avec les grands et au mercato d’hiver, il est prêté à Bradford. En League One, la troisième division. Il tempère en expliquant qu’il préfère du temps de jeu à ce niveau que des matches avec l’équipe B de West Ham, mais il prend un premier coup sur le crâne.

Après ça, il y a un autre prêt, à Bolton. Avant un retour qu’il pense définitif à West Ham. Mais ça ne dure qu’une demi-saison. Le temps de faire deux autres piges en Premier League, pour un total de six minutes seulement. Ça lui permet quand même de fouler le gazon de Stamford Bridge pendant quelques dizaines de secondes et de jouer contre Thibaut Courtois et Eden Hazard. Maigre consolation. C’est écrit, West Ham ne l’estime pas encore apte et le prête de nouveau, au Charlton de Roland Duchâtelet.

C’est là-bas que sa carrière décolle vraiment, en League One, puis en Championship. Il y fait deux saisons pleines, y devient un chouchou des supporters, qui le surnomment Super Josh. Cette fois, c’est sûr pour lui, il est prêt pour le big work avec le club de son coeur. Charlton souhaite prolonger sa location, mais il refuse.

« J’ai 24 ans maintenant, il est temps d’y arriver »

Cullen se livre dans la presse anglaise pendant l’été 2020. David Moyes a pris le costume de T1 à West Ham. C’est lui qui doit en faire un vrai joueur de PL. L’international irlandais profite d’un entretien sur la chaîne télé du club pour expliquer ses nouvelles ambitions: « J’aurais toujours pu rester à West Ham, mais j’ai préféré continuer mon développement à un niveau plus bas. C’était un bon choix. Aujourd’hui, je suis super heureux d’être rentré. Chaque fois que j’ai été prêté, j’ai dit que mon but final était une place dans l’équipe de base de West Ham. À 24 ans, il est temps d’y arriver. Je me sens prêt à imprimer ma griffe sur l’équipe et à jouer beaucoup. Je ne me suis jamais senti aussi bon. »

Encore raté. Moyes lui offre un match complet en League Cup. C’est tout. Pour les choses sérieuses, le championnat, il n’entre toujours pas dans les plans. Il n’est pas repris dans la sélection du week-end, quatre fois de suite. Le mercato allongé par le Covid se termine, il comprend qu’il doit faire définitivement une croix sur son rêve de s’imposer dans son club. C’est comme ça qu’il accepte la proposition d’Anderlecht, qui le transfère et lui fait signer un contrat de trois ans.

Il en rêvait depuis des années: prendre la place de Mark Noble sur le terrain. Un pilier de l’histoire de West Ham. Aucun joueur n’a disputé plus de matches en Premier League avec les Hammers. Son surnom, Mr West Ham, tombe sous le sens. Il est dans l’équipe depuis 2004 et a été élu Hammer of the Decade pour la période 2010-2019. Un gars difficile à remplacer, donc, mais l’été dernier, Cullen a lu la presse et écouté les commentaires. On commençait à dire que Noble, 33 ans, se faisait vieux pour continuer à ce niveau. Un média anglais a analysé la situation durant l’été 2020: « L’âge de Mark Noble est le meilleur argument pour introduire enfin Josh Cullen dans l’équipe. Ça fait plusieurs saisons qu’il est sur le déclin, ça a eu un impact direct sur le niveau de West Ham. Cullen connaît parfaitement le club et son style de jeu se rapproche fortement de celui de Noble. Bref, il peut être son remplaçant parfait. »

« Il est tout à fait logique d’être triste quand on part après quinze ans »

Mais ces premiers matches de championnat sans être dans le groupe lui ont définitivement fait comprendre qu’il devait regarder ailleurs. Il a écouté le discours d’Anderlecht, a discuté avec Vincent Kompany, puis signé. Dans la presse flamande, il a expliqué que c’était « logique d’être triste quand on quitte un club où on a passé quinze ans. Mais d’un autre côté, il y a ici un challenge qui me tente énormément. Anderlecht is a massive club. Et je sais que ce transfert va me permettre d’augmenter mes chances de jouer en équipe nationale. »

Entre-temps, le gars enchaîne les matches. Dans son style. Rien de spectaculaire, pas de statistiques affolantes, mais de l’efficacité. Il tient la baraque dans le coeur du jeu. Sa constance et sa fiabilité permettent à Albert Sambi Lokonga de se porter vers l’avant à l’occasion. Cullen, lui, reste dans la zone défensive et fait le boulot. Peter Verbeke rejoint Kompany sur le thème de son rapport qualité / prix difficile à battre. En cinq mois, sa valeur marchande a déjà triplé.

Josh Cullen sous le maillot irlandais.
Josh Cullen sous le maillot irlandais.© GETTY

« Il n’y a jamais eu de décision à prendre entre jouer pour l’Irlande ou l’Angleterre. »

Octobre 2011. Josh Cullen joue avec les U16 anglais. Une aventure sans lendemain. L’Angleterre, c’est pourtant son vrai pays, aucun doute là-dessus. Il est né et a grandi à une cinquantaine de kilomètres de Londres. Mais ses grands-parents paternels étaient Irlandais et ça va tout changer pour lui. Il vit la suite de sa vie internationale avec le maillot de l’Eire: U19, U21 (avec le brassard de capitaine) et équipe A (quatre matches joués depuis le printemps 2019).

Ce changement de nationalité a fait débat. Au moment où il a reçu sa première convocation en A, Declan Rice faisait un coup de cochon à la fédé irish. Après avoir été international irlandais U17, U19 et U21, après avoir carrément joué trois matches (amicaux, donc avec toujours la possibilité de faire marche arrière par la suite) avec les A, Rice a décidé de passer à l’ennemi, l’équipe anglaise. Cullen et Rice: deux enfants de West Ham, deux gars nés en Angleterre et ayant des grands-parents irlandais. La comparaison était trop tentante, Cullen a donc été pas mal cuisiné sur la question. On lui a forcément demandé s’il ne risquait pas de changer lui aussi de sélection. Il a directement rassuré: « Pour moi, c’est un débat stérile. J’ai un long passé en équipes d’âge avec l’Irlande et je ne changerai pas de drapeau. » Ce débat a encore duré un moment. Ses deux premiers matches étaient sans enjeu et il pouvait donc toujours se raviser. Lui était impatient de monter en rencontre officielle: « J’espère qu’une fois que j’aurai joué, les discussions sur mon choix d’équipe nationale seront définitivement derrière moi. » Et ça s’est passé en octobre de l’année passée. Il s’est produit avec l’Irlande en Ligue des Nations. Les Irlandais l’ont pour eux.  » I’m over the Moon and really proud to be here« , a lâché Super Josh.

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