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Alain Bettagno ouvre la boîte à souvenirs liégeois: « Haan avait du champagne plein son coffre »

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Il n’y a pas meilleur profil qu’Alain Bettagno pour évoquer le foot liégeois, Seraing, le FC Liège, le Standard,… En plus, le gars est plutôt du genre bavard! Et c’est parfois savoureux.

« On est dans une belle merde, c’est catastrophique. » Les premiers mots de cette longue rencontre avec Alain Bettagno sont liés au Covid. Il bosse dans un hôpital liégeois au service achats. « C’est infernal, on a trois fois plus de boulot qu’en temps normal. On reçoit des masques par lots de 50.000, il faut tout répertorier, de peur qu’il y ait des vols. C’est la folie. » Niveau foot, la pandémie l’a mis au repos complet. Il entraîne Tilleur, en Provinciale. Terminé jusqu’à l’été. Saison blanche. Ou noire?

Il a 52 balais et le profil idéal pour un dossier dédié au foot liégeois. Et pour cause, Bettagno a été formé et a fait ses débuts pros à Seraing, il a joué au Standard et au FC Liège. Il a entraîné Seraing, Liège et d’autres petits clubs de la région. Retour sur un joli parcours qui aurait été encore plus beau s’il n’y avait pas eu ces genoux en porcelaine. « Ça a toujours été mon point faible, j’ai maintenant deux prothèses totales. À cause de blessures aux genoux, j’ai raté un transfert en Italie, la Coupe du monde militaire en 1990, la finale de la Coupe de Belgique contre Charleroi en 1993 et la Coupe du monde 1994, alors que j’étais dans les 28 de Paul Van Himst et que je formais le meilleur flanc droit du championnat avec Régis Genaux dans mon dos. »

Tu es devenu professionnel dans le club qui t’avait formé. Un rêve de gosse qui se réalisait?

ALAIN BETTAGNO: Oui! En pleine saison, Léon Semmeling m’a fait monter dans le noyau A pour remplacer Laurent Stas de Richelle, qui s’était blessé. Je n’avais que 17 ans, mais aucun stress, j’ai toujours été assez insouciant. J’ai marqué mon premier goal contre Malines avec Michel Preud’homme dans le but. J’ai fait la deuxième moitié du championnat, mais Seraing est descendu en D2. Comme j’avais réussi à me faire remarquer, j’ai reçu une dizaine de propositions d’équipes de D1. Mais mon père n’a pas voulu que je parte. Seraing, c’était son club. Quand j’étais en équipes de jeunes, il a construit la buvette derrière le stade. Ma mère vendait des gaufres et des boissons au bord du terrain. Et mon frère a été capitaine des Espoirs du club. On habitait à cinq kilomètres du Pairay, j’y allais parfois à vélo. Seraing était pratiquement en faillite, la direction a décidé de faire la saison suivante avec des jeunes et mon père ne voulait pas que je les abandonne. C’était un risque, j’aurais pu me faire oublier définitivement en jouant dans une équipe de D2 sans ambitions. Mais j’ai fait une saison magnifique, j’ai mis près de vingt buts, je jouais la tête du classement des buteurs avec Marc Wilmots, qui était à Saint-Trond. À la fin du championnat, la direction m’a demandé de partir. Il fallait me vendre pour sauver Seraing de la faillite.

« Antoine Vanhove m’a remis une enveloppe avec douze millions de francs cash »

Tu es parti à Bruges, mais tu n’y es resté qu’un an. Trop jeune pour réussir là-bas?

BETTAGNO: Sur les dix-huit clubs de D1, je crois qu’il y en a seize qui se sont intéressés à moi. J’ai vu des gens de Lokeren, du Cercle, de Saint-Trond, de Liège. J’avais Yves Baré comme agent, on rencontrait des dirigeants tous les jours. Mais je n’avais pas de nouvelles du Standard. Je me disais: « Putain, je viens de faire une saison magnifique, il n’y a que le Standard qui n’a pas envie de m’avoir alors que j’habite à six kilomètres ». Finalement, j’ai tranché pour Bruges. Je leur ai donné ma parole par téléphone, et un soir, on a pris la route avec Yves Baré pour aller signer mon contrat. Après cinquante kilomètres, mon père a appelé. On avait un gros téléphone dans la voiture, les premiers portables. Il m’a dit: « Faites demi-tour, Roger Henrotay est à la maison, le Standard te veut absolument ». Je lui ai répondu: « Tu remets bien le bonjour à Roger, mais je n’ai qu’une parole. Il n’avait qu’à penser à moi plus tôt » . Henrotay a encore appelé deux fois avant qu’on arrive à Bruges.

Bettagno lors de sa période au Standard. Ses performances lui permettront d'atteindre l'équipe nationale.
Bettagno lors de sa période au Standard. Ses performances lui permettront d’atteindre l’équipe nationale.© BELGAIMAGE

Tu as été transféré pour douze millions de francs, 300.000 euros, en 1988. À l’époque, c’était beaucoup!

BETTAGNO: Oui, surtout pour un joueur de 19 ans qui n’avait encore joué qu’une demi-saison en D1. C’est cet argent qui a permis à Seraing de subsister. Mais ça a failli capoter au tout dernier moment. Je voulais une voiture. Mais Antoine Vanhove était intransigeant sur ce coup-là. J’ai appelé le président de Seraing, je lui ai dit que le transfert n’allait pas se faire à cause de la voiture. Il m’a dit: « Signe, et quand tu reviens, on s’arrange pour la voiture. Fais-moi confiance. Surtout, signe! » Je n’avais aucune garantie. J’ai signé et les dirigeants de Bruges m’ont donné l’argent dans une grosse enveloppe, je devais la ramener directement à Seraing… Là, le président m’attendait, très tard le soir. Je lui ai donné l’argent, il en a sorti 500.000 francs et m’a dit d’aller m’acheter une voiture avec ça.

« J’ai eu peur que le Standard me tape dehors à cause de mes blessures »

Pourquoi ça n’a pas marché à Bruges?

BETTAGNO: Déjà, je suis arrivé chez le champion de Belgique, avec toutes ses stars. Jan Ceulemans, Marc Degryse, Franky Van der Elst, Kenneth Brylle. Bruges m’avait acheté pour que je devienne le successeur de Ceulemans, qui avait trente ans passés. On jouait à la même place, on avait le même profil, la même taille. Ils voulaient me former petit à petit, c’est pour ça qu’ils m’avaient fait signer pour trois ans. J’ai fait quelques gros matches, j’ai par exemple marqué un but décisif en Coupe d’Europe. Mais j’ai aussi ressenti pas mal d’animosité. Pas tellement en équipe première. Là, je m’entendais bien avec tout le monde. Sauf avec Brylle. Lui, il n’arrêtait pas de me matraquer gratuitement. Un jour qu’il me tapait encore dedans, Serge Kimoni a vu que je voyais rouge, il m’a dit: « Laisse tomber, c’est un con » . Mais je n’ai pas laissé tomber. Sur un duel aérien, j’ai écarté les bras et je lui ai cassé le nez. Volontairement. Ça n’a pas été très bien accepté, mais je peux te dire que je me suis fait accepter grâce à ça! Après, on ne m’a plus jamais emmerdé. C’étaient les jeunes qui me faisaient des misères. Quand je ne jouais pas en première, je devais aller jouer avec les Espoirs. Mais on me donnait rarement le ballon, je ressentais une frustration énorme. Il y avait des moments où je me demandais ce que je faisais sur le terrain. Quand ces gars-là s’entraînaient avec le noyau pro, si je tombais dans leur équipe, c’était la même rengaine, ils ne me faisaient pas de passes.

C’est pour ça que tu es parti après une seule saison?

BETTAGNO: On est venus jouer au Standard avec l’équipe réserve, on a gagné 3-4 et j’ai mis les quatre buts. Roger Henrotay était là, et directement après le match, il m’a demandé si on pouvait se voir. Il m’a expliqué que le Standard me voulait vraiment. Je lui ai répondu que ça me tentait, mais que ça allait sûrement coincer avec Bruges. J’ai fait moi-même une première approche chez Vanhove, il m’a dit qu’il était hors de question que je parte. Il m’aimait bien et il était content de moi. Après, c’est Henrotay qui a négocié. Un moment, Vanhove a dit que je pouvais partir, mais que c’était trente millions de francs. Ça a duré quatre mois. Finalement, le Standard a sorti vingt millions. C’était un risque parce que je venais d’être opéré au genou. J’étais loin d’être en pleine forme. Après ça, j’ai carrément dû être réopéré, je n’ai joué qu’en mars. Pendant tout ce temps-là, j’ai eu peur que le Standard me tape dehors. Ils m’avaient payé vingt millions de francs et m’avaient donné trois ans de contrat. Dans les journaux, on écrivait que je ne rejouerais peut-être plus jamais, mon père était au fond du trou. Le Standard a transféré Patrick Asselman pour jouer à ma place. Ça sentait mauvais. Là, j’ai senti que j’étais vraiment au pied du mur. Mais la saison suivante, je n’ai plus eu de problèmes et j’ai fait un tout gros championnat.

« Haan nous disait qu’il était obligé de faire jouer Wilmots »

On se souvient surtout de la période avec Arie Haan.

BETTAGNO: J’ai d’abord eu Urbain Braems, mais quelques jours seulement parce qu’il a vite été remplacé. On nous a convoqués dans un château, on ne savait rien. Et là, on a vu arriver une grosse limousine noire avec chauffeur. Georg Kessler en est descendu en costard. Tous les joueurs étaient alignés, il nous a tous salués un par un. Du show. Tout le monde était impressionné. Parce que Kessler était impressionnant. Sauf que quinze jours plus tard, il ne l’était plus du tout. Si tu criais plus fort que lui, il retombait. Son autorité, ce n’était qu’une façade. Haan, ça n’avait rien à voir. Le plus beau foot que j’ai joué. Dans sa tête, il était encore joueur. On s’amusait. Au moment de commencer un petit match, il mettait une bouteille de champagne dans le rond central et il disait: « Pour ceux qui vont gagner, j’en ai plein d’autres dans mon coffre » . On a été vice-champions, on avait une équipe de dingues. Gilbert Bodart, André Cruz, Dinga, Régis Genaux, Philippe Léonard, Stéphane Demol, Patrick Vervoort, Mircea Rednic, Guy Hellers, Frans Van Rooij, Marc Wilmots, Michaël Goossens. Mais Haan n’aimait pas Wilmots. Il disait parfois: « Je n’ai pas envie de faire jouer le gros, mais André Duchêne et Jean Wauters m’obligent à le mettre dans l’équipe. Je ne sais pas où je vais le mettre, il ne convient pas à mon système » . C’était un bourrin, le gars qui mettait sa tête dans le frigo. Il était beaucoup plus fait pour le championnat d’Allemagne que pour le Standard d’Arie Haan.

Tu as passé une douzaine d’années à Seraing, sept ans au Standard, mais seulement quelques mois au FC Liège!

BETTAGNO: J’y suis arrivé parce que j’avais dû quitter La Louvière pendant la saison où le club est remonté en D1, en 2000, à cause d’une incompatibilité d’humeur avec Marc Grosjean. À Liège, c’était compliqué. Il n’y avait pas d’argent et je ne sais même plus combien d’entraîneurs ont défilé en quelques mois. Jusqu’à l’arrivée de… Marc Grosjean. Rien n’avait changé entre-temps, on n’était toujours pas faits pour s’entendre, donc je suis parti en cours de saison. J’étais capitaine, meilleur passeur et meilleur buteur, mais pas le choix. Je suis parti à Verviers, j’ai retrouvé du plaisir, ça a été ma dernière année dans une division nationale.

Alain Bettagno a également été coach du FC Liège:
Alain Bettagno a également été coach du FC Liège: « Ça a été un réel plaisir d’entraîner un club pareil. »© BELGAIMAGE

« Avoir mis les supporters de Liège dans ma poche, une grande fierté »

La carrière de joueur d’ Alain Bettagno est aussi passée par Linz, en Autriche, et Gueugnon, en Ligue 2 française. Elle s’est terminée à La Débrouille Seraing, où une nouvelle opération au genou l’a convaincu que c’en était définitivement assez. C’est là qu’il a entamé sa vie d’entraîneur, en 2e Provinciale.

« Ce club avait été créé pour s’occuper de jeunes en difficulté. J’ai ramené d’anciens coéquipiers comme Serge Kimoni, Ronald Foguenne, Hervé Houlmont, Edmilson. On est montés en Promotion. Puis La Débrouille a fait faillite, et le bourgmestre, Alain Mathot, qui était aussi le président du FC Seraing, m’a demandé de devenir entraîneur de son équipe première, en D3. Mais il n’y avait pas vraiment de projet, pas beaucoup d’argent non plus, et j’ai décidé de partir. »

Il a enchaîné à Aywaille, puis a posé sa valise au FC Liège. « Je suis tombé des nues quand j’ai reçu un coup de fil de Gaëtan Englebert. Parce qu’en tant qu’ancien Standardman, je ne me voyais pas entraîner Liège. Avec Aywaille et un budget qui n’avait rien à voir, on avait battu Liège deux fois, c’est ça qui les a menés vers moi. Ils venaient de rater le titre en Promotion trois fois de suite et ils voulaient un coach capable de les faire monter. Au début, j’ai ressenti énormément d’animosité à cause de mon étiquette de Standardman. On n’a pas trop bien commencé, une victoire, un nul et une défaite. Un jour, au moment où je suis entré à la buvette, des gars m’ont balancé des trucs sur la tronche, des tomates, des bazars comme ça… Le président m’a dit de ne pas stresser, que ça allait aller. On a aligné quatorze ou quinze victoires d’affilée, un nouveau record dans l’histoire du club, il ne sera peut-être jamais battu, et on a été champions les doigts dans le nez. Quoi de plus beau? Quelques mois après les tomates, les supporters me demandaient d’aller chanter sur le terrain. Puis, ils m’ont acclamé quand on a fêté le titre à l’Hôtel de ville. La saison suivante, ça a commencé à mal se passer avec Englebert. Il était autant inspecteur que directeur sportif, il me surveillait en continu, il venait voir ce qu’on faisait à l’entraînement. Il n’y avait plus de confiance. Et si j’avais le malheur de boire un verre à la buvette avec des joueurs après un match, on nous regardait de travers. Englebert me reprochait aussi de ne pas aligner des joueurs qu’il avait amenés. Je ne me laisse pas faire, je ne sais pas me taire, c’est parfois ça mon problème. Finalement, ils m’ont viré alors que Liège était sixième, et que l’objectif avoué de la direction en début de saison était de finir dans les six premiers. J’ai pris un coup sur la tête, ça m’a dégoûté. Mais ça a été un réel plaisir d’entraîner un club pareil, avec des supporters extraordinaires qui venaient à 500, parfois 600, à nos matches en déplacement, par tous les temps. Avoir réussi à les faire changer d’avis sur moi, le Standardman, ça reste une grande fierté. » Entre son départ de Liège et son poste actuel à Tilleur, il s’est aussi posé à Sprimont. Toujours le terroir.

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