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Suarez qui mord un adversaire : « C’est la bête en lui qui s’exprime »

Caroline Lallemand
Caroline Lallemand Journaliste

Trois questions à Philippe Godin, professeur en psychologie du sport à l’UCL, sur le comportement agressif du joueur Suarez lors du match de Coupe du monde contre l’Italie.

Comment peut-on expliquer que Suarez ait mordu son adversaire en plein match?

« Suarez a déjà mordu précédemment, c’est un récidiviste, il est réputé pour son caractère compulsif, c’est plus fort que lui, il a de grosses difficultés à gérer sa colère et ses frustrations. Lorsqu’il sent qu’il va perdre le match ou que l’action ne se passe pas comme il veut, son curseur est maintenu en zone maximale de frustration. Suarez s’est sans doute retrouvé, à ce moment du match, dans un état de transe, toutes ses inhibitions se sont envolées, il a retrouvé son cerveau instinctif, c’est la bête en lui qui s’est exprimée. On voit se manifester à ce moment chez le joueur une forte hausse de l’adrénaline et de la testostérone due à l’intense activation, sa fréquence cardiaque et son tonus musculaire augmentent, tous ces mécanismes physiques couplés à des pensées en phase avec l’action du match – perte de balle ou projection d’une défaite – lui a fait perdre son contrôle et fait monter en lui une colère extrême, juste avant de mordre. La tension générale augmente également à cause de l’enjeu qu’il a entre ses mains, et de l’image qu’il a de lui-même. De nombreux joueurs ont souvent un égo surdimensionné, ils doivent atteindre un sommet, et quand ils n’y arrivent pas, la frustration leur fait perdre, quelques secondes, le sens des réalités. Un athlète doit apprendre à garder son sang froid. Tous les joueurs ne sont pas aussi extravertis, on peut aussi remarquer que les joueurs du sud sont réputés pour avoir un caractère plus exacerbé. »

Pourquoi cet acte est-il si impressionnant?

« La morsure de Suarez sur son adversaire italien est la manifestation d’une impulsion bestiale car il est impossible de mordre involontairement. Il s’agit d’un cas extrême de dérapage. Il y a en effet lors de matchs de football de multiples formes d’agression, moins impressionnantes, comme par exemple, donner un coup dans les tibias. Cette action atypique est assez détestable, elle réveille chez le spectateur des mécanismes ancestraux, comme la peur primitive de se faire dévorer. D’ordinaire, l’être humain active des mécanismes de défense efficaces pour contrôler ses émotions. Ce comportement agressif peut aussi se manifester lors d’une séparation lorsqu’une personne donne un coup de couteau à son compagnon. »

Peut-on comparer cette morsure au coup de boule de Zidane en 2006 ?

« Il s’agit en effet du même genre de situation où le joueur est dans l’incapacité à contrôler ses émotions et sa colère, même si dans ce cas-ci, Zinedine Zidane a réagi à une provocation. Il n’arrive pas à mettre la balle où il veut, il se dit « on va se faire éliminer » , « on n’est pas à la hauteur », et sa frustration individuelle monte jusqu’à ce que la bouilloire explose. »

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