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Romelu Lukaku, la naissance d’un géant

Grâce à son assist et son but, Romelu Lukaku a offert la victoire aux Diables Rouges contre États-Unis, en huitièmes de finale du Mondial 2014. Sport/Foot Magazine vous fait découvrir l’univers de ‘Big Rom’.

Il y a d’abord un gabarit. De ceux qui font saliver les jeunes filles en fleur, friandes d’abdominaux taillés en tablettes de chocolat. De ceux qui font fuir les hommes qui ne veulent pas de problèmes. Alors, imaginez un peu sur un terrain de football. Voir arriver Romelu Lukaku à pleine vitesse est déjà assez désarçonnant comme cela. Ce gabarit, il en prend soin. Aujourd’hui, il l’utilise et en a fait une de ses marques de fabrique. Mais ce gabarit, il l’a parfois maudit. Surtout en équipes de jeunes, où tous les parents de l’adversaire du jour n’hésitaient pas à hurler à la tricherie et aux papiers falsifiés et où les parents de ses propres coéquipiers évoquaient à demi-mot une concurrence déloyale.

« Lorsqu’il avait 13 ans, il évoluait avec les -15 », se rappelle son frère, Jordan, qui, lui aussi, a emprunté les chemins du football professionnel à Anderlecht, puis en prêt à Ostende. « Un an plus tard, il était en -17. Et un an plus tard en -19 ans. Il n’avait alors que 15 ans. Il a toujours été grand mais chaque année, il devenait de plus en plus large. Tout le monde pensait qu’on avait trafiqué ses papiers. On avait beau dire qu’il était né en Belgique, les gens n’y croyaient toujours pas. »

Même les clubs s’y mettent. Quand Lille veut l’attirer et brûler la politesse à Anderlecht, les responsables invitent la famille, lui montrent toutes les installations mais ils commettent une grossière erreur : ils font passer à Romelu le test de l’âge. « Celui-ci indiquait que Romelu avait 17 ans alors qu’il n’en avait que 14 », continue Jordan. « Mon père s’est emporté, il a dit – Eh quoi, il est né en Belgique ! Il est parti furieux et il n’a plus voulu entendre parler du LOSC. »

Aujourd’hui, son gabarit monopolise parfois jusqu’à deux défenseurs sur sa personne. Mais il peut encore générer des malentendus. Avec le corps qu’il a, tout le monde veut en faire un pivot. Grand et puissant, il a toutes les qualités pour ce poste. Pourtant, lui, ce qu’il préfère, c’est courir et partir dans l’espace. « Depuis qu’il est petit, il aime prendre la balle, partir et marquer », ajoute Jordan. Résumer de la sorte, cela paraît tellement simple. Le football, ça ne saurait pas être autrement dans la famille Lukaku puisque le virus s’est propagé à tous les membres.

« Quel plaisir trouvez-vous à jouer avec tous ces enfants ? »

Cela se passe souvent de la sorte quand on a un père footballeur professionnel qui écuma les pelouses de D1 (Boom, Seraing, Ekeren ou Ostende) dans les années 90. Romelu était alors trop petit pour voir son père jouer mais pas pour écouter les souvenirs et reconstituer le puzzle de la légende familiale. Il ne lui restait plus qu’à marcher dans les traces de son paternel. Comme si c’était… inscrit dans ses gènes. Ou plutôt dans son prénom. Romelu vient en effet des deux premières lettres de l’appellation complète de son père (ROger MEnama LUkaku).

« A l’état civil de la ville d’Anvers, où l’aîné a vu le jour, ils n’avaient évidemment jamais entendu ce prénom-là, et pour cause », expliquait le paternel dans Sport/Foot Magazine en septembre 2009. « Mais un des employés s’est montré bon prince en disant que si Romulus et Remus avaient bel et bien existé autrefois, il ne voyait pas d’inconvénient à ce que j’opte en faveur d’une variante. »

Et voilà comment dès l’état civil, son destin semblait tout tracé. « Notre père avait enregistré sur cassette tous les buts de la Coupe du Monde 1998 », se souvient Jordan. « On se les passait en boucle. Je crois qu’on les connaissait par coeur. Cette année-là, on passait des heures sur FIFA 98 parce que notre père se trouvait dans le jeu, avec la sélection congolaise. Cela nous faisait rêver et on se disait qu’un jour, on serait peut-être dedans aussi. C’est aujourd’hui le cas. »

De la théorie à la pratique, il n’y a qu’un pas que le petit Romelu franchit en s’affiliant à Rupel Boom, là où tout avait commencé en Belgique pour son père. Mais sa mère insiste pour que le petit joue plus près de la maison familiale. Il rejoint alors Wintam puis file au Lierse. Ses statistiques sont déjà impressionnantes. Ses entraîneurs arrêtent de compter les buts tellement il y en a et se rendent vite compte qu’ils ont affaire à un vrai phénomène. 54 buts la première saison avec les jeunes Pallieters, 76 la seconde. Et déjà ce sentiment de déranger, de ne pas savoir où mettre sa grande carcasse. Il fait déjà une tête de plus que les autres et pèse 20 à 30 kilos de plus que certains.

« C’était toujours le même refrain », intervient la maman. « Les gens se demandaient s’il avait réellement le même âge. En réalité, non… puisqu’il évoluait la plupart du temps dans une catégorie supérieure à la sienne, il était le plus jeune sur le terrain. C’était franchement gag et nous avons vécu avec lui quelques scènes cocasses. Comme ce jour où Romelu était allé jouer au football dans un village voisin avec quelques ados. A un moment donné, la maman de l’un d’entre eux s’était adressée à lui en ces termes : – Mais Monsieur, quel plaisir prenez-vous donc à taper dans un ballon avec tous ces enfants ? »

« Il aime que les gens lui montrent tout leur amour »

Les grands clubs commencent à s’intéresser au phénomène. Anderlecht lui fait la cour mais est recalé une première fois, ne permettant pas au joueur d’allier foot et études. Finalement, les Mauves mettent sur pied des accords avec certaines écoles et Romelu file à Anderlecht. C’est le début de trajets harassants, de journées dictées par l’enchaînement des devoirs et des entraînements. De longues journées qui n’ont aucune incidence sur ses prestations. 59 buts en 34 matches chez les U15, 26 en 17 rencontres chez les U17. Les scouts étrangers se pressent à Neerpede. Lille et Chelsea font partie des plus pressants.

« C’était tentant mais on a refusé », poursuit Roger. « Le tableau était idyllique mais Romelu est un gars qui doit pouvoir se retremper journellement dans le cocon familial. Il a besoin d’un contact régulier avec ses parents et son frère. » Entre-temps, le gamin a débuté en équipe première. Et pour son baptême du feu, il a droit au match le plus important de la saison : le test-match face au Standard qui doit décider du titre de la saison 2008-2009. En quelques minutes, le colosse est plus dangereux que les autres joueurs réunis. Le Standard est champion mais Anderlecht s’est découvert un diamant. La suite est rapide. Comme un de ses démarrages.

La saison 2009-2010 est celle de l’éclosion. Meilleur buteur de la phase classique, il déchaîne les passions médiatiques. Les journaux se l’arrachent, la VRT file dans son école. Il faut dire qu’il accumule les records : lancé à 16 ans et 11 jours (plus tôt que Paul Van Himst mais moins tôt que Nii Lamptey), titulaire quelques mois plus tard. A cela s’ajoute une personnalité rassembleuse. Si sa langue maternelle est le français, il parle parfaitement le néerlandais après avoir été à l’école dans cette langue. De quoi plaire à toute la Belgique, les médias en faisant une nouvelle icône nationale.

Pourtant, Anderlecht a retenu les leçons des années Vincent Kompany-Anthony Vanden Borre et couve son talent, refusant toute demande d’interview individuelle. « Notre père connaissait également très bien le milieu et il a su le protéger des pièges. Quant à Anderlecht, il a parfaitement géré la situation », dit Jordan. Ce tourbillon ne l’atteint pas trop. « Dans la rue, on l’arrêtait plus souvent et il devait faire attention à ce qu’il faisait en public mais il aimait que les gens lui montrent leur amour pour ce qu’il faisait. »

Malgré ses racines, il choisit très tôt d’opter pour la Belgique. « Il est exclu qu’il représente ses racines congolaises. Je suis passé par là et je sais ce que c’est : des billets d’avion et des primes non payés, sans compter les foudres qu’on subit du public en tant qu’expatrié. J’ai vécu tout ça personnellement au cours des années 90 et je ne tiens plus à le subir par mon fils interposé », explique le père Roger.

De nouveau Drogba à Big Rom

La deuxième saison, plus compliquée, apporte son lot de critiques mais dans l’ensemble, Lukaku confirme tous les espoirs placés en lui. La presse anglaise commence à s’intéresser à ce phénomène qu’elle appelle « le nouveau Drogba ». Cette épithète va lui coller tellement à la peau qu’à un certain moment, Lukaku voudra s’en défaire, demandant simplement qu’on le considère pour ce qu’il est : lui-même. Si la presse internationale le découvre, ce n’est plus le cas de la presse belge qui voit en lui une oasis dans le désert, le nouveau sauveur du football belge.

« A une époque, on ne parlait que de moi », nous expliquait Romelu en décembre dernier. « Tous les jours. C’est donc normal qu’à un moment, je me renferme. Je suis footballeur, c’est sur le terrain qu’il faut apprendre à me connaître. C’est là que je veux m’exprimer. Pas en dehors. Je ne peux pas. Mon monde est déjà assez petit, alors, laissez-moi en profiter ! Laissez-moi profiter de mes amis, de ma famille. »

Lukaku n’est plus seulement un footballeur de grand talent. Il devient une égérie publicitaire pour Kinder et Seat. Son horizon semble trop étroit pour la petite Belgique. Après deux ans dans le championnat belge, une 3e et une 2e place au Soulier d’Or, il file à l’anglaise rejoindre les Blues de Chelsea pour un montant record de 20 millions d’euros. Nous sommes en août 2011.

La réalité anglaise ne ressemble pas au rêve fantasmé. Du moins pas la première année. Au milieu des stars de Chelsea, Lukaku ouvre grands les yeux. Il doit se pincer pour réaliser que chaque jour, il côtoie ses idoles, Drogba et Frank Lampard. Pourtant, le nouvel entraîneur des Blues, le Portugais Andre Villas Boas l’a vite catalogué insuffisant. Et il est trop tard quand Roberto Di Matteo arrive : il doit sauver les meubles d’une saison qui part à vau-l’eau et mise sur les joueurs expérimentés pour décrocher finalement la Ligue des Champions.

Cette coupe aux grandes oreilles, dont il a tant rêvé quand il jouait sur PlayStation, ce n’est pas vraiment la sienne. Exigeant, Lukaku ne se satisfait pas d’être portion congrue d’un titre qu’il ne considère donc pas comme le sien, lui qui a usé ses chaussures dans les matches de Réserves. On le dit déjà fini. On entend qu’il a visé trop haut et que finalement, à part sa puissance physique, il n’a pas assez d’armes dans son jeu pour réussir au top mondial.

« Les critiques lui faisaient mal mais il n’est pas du genre à regretter ses choix et il a toujours été persuadé qu’il pouvait faire partie des meilleurs attaquants du monde », dit son frère. « Cependant, il n’avait que 18 ans et ça, les gens l’oublient vite. »

Après une saison blanche, il rebondit à West Bromwich Albion. Choix gagnant sur toute la ligne. Sous la houlette de Steve Clarke, il devient titulaire et marque des buts à la pelle. 17 exactement pour seulement 20 matches comme titulaire ! Il devient Big Rom.

Des fruits et des pâtes

Cela lui offre une nouvelle visibilité. Chelsea le rappelle mais ne sait pas trop quoi en faire. Lukaku s’en rend compte et demande un nouveau prêt. Ce sera Everton où, dans un autre style de jeu, il se montre tout aussi prolifique. A cela s’ajoute également une consécration en équipe nationale. Alors qu’il doit se satisfaire plus souvent qu’à son tour d’un rôle de remplaçant de Christian Benteke, il reçoit sa chance en Croatie et marque deux buts qui scellent la participation de la Belgique au Brésil. « Ce soir-là, des gens qui ne croyaient pas en lui ont retourné leur veste », sourit Jordan.

Sa réussite actuelle, phénoménale pour un attaquant de 20 ans, il ne la doit qu’à lui-même. Bourreau d’entraînement, il se montre pointilleux dans son travail, analysant chaque jour sur vidéo les mouvements des stars de l’attaque. Sur Luis Suarez, Drogba, Wayne Rooney, Sergio Agüero ou Cristiano Ronaldo, il sait tout. Pas que sur eux d’ailleurs.

« A Anderlecht, lorsqu’on disputait un quiz, il fallait toujours prendre Romelu dans son équipe. C’était une garantie de succès : il connaît tous les joueurs, stades, écussons », admet son frère. « Le foot, je n’en ai jamais assez », affirme d’ailleurs l’attaquant d’Everton. « J’en bouffe du matin au soir. Je suis abonné à tout ce qui est possible et imaginable ; Chelsea TV, Manchester United TV, Real Madrid TV. Je veux tout savoir sur la manière dont ces gars s’entraînent et vivent leur passion au quotidien. »

En 2011, peu avant de partir en Angleterre, il expliquait : « J’observe toujours le même schéma : trois jours avant une rencontre, je frappe 25 ballons, le lendemain 20 et la veille du match 15. J’en ai besoin pour me sentir bien. » Et après son échec londonien, alors qu’il voit qu’il ne débute pas la saison comme titulaire à WBA, il demande une double ration d’entraînement. Mais sa réussite se construit également en dehors des terrains. Il a pris un cuistot à domicile, pour respecter un régime de sportif. Il ne mange que des fruits et des pâtes.

Stéphane Vande Velde

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