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Red dingue

Il rit, danse et serre les poings. Jürgen Klopp met toute son âme dans le combat de Liverpool, qui dispute ce soir la finale d’Europa League contre Séville, à Bâle. Portrait d’un homme sensible et enthousiaste.

Adam Lallana a raconté comment le nouvel entraîneur s’était adressé au groupe, la première fois, avant un match. Le médian avait senti l’adrénaline gicler dans ses veines et ne pensait plus qu’à une chose : monter sur le terrain, jouer, courir. Quitte à enfoncer le mur du vestiaire. C’est là que réside la magie de Jürgen Klopp (48 ans). Il séduit et hypnotise par ses paroles. On dit qu’il est passé maître dans l’art de s’adresser aux joueurs. C’est moins simple qu’il n’y paraît.

L’entraîneur possède un enthousiasme contagieux. Il ne joue pas, il vit le jeu. C’est un énorme bain émotionnel dans lequel il attire son entourage. Un entraîneur peut exiger que ses joueurs soient affûtés, il peut crier un peu mais la passion et le dévouement rapportent plus que quelques claquements de mains fanatiques.

Les Allemands ont un beau mot pour les gens comme Klopp. Il est un Menschenfänger, ce qu’on pourrait comparer à l’homme qui murmure à l’oreille des chevaux. Le manager de Liverpool captive les footballeurs. Il se glisse sous leur peau, les incite à dépasser leurs limites et leur rappelle pourquoi, un jour, ils ont commencé à courir derrière un ballon.

Durant sa première semaine à Liverpool, Klopp s’est fait interviewer par un gamin de neuf ans. La séquence, diffusée sur la chaîne du club, était très people mais le rôle qu’a endossé l’Allemand était marquant. Il s’est mué en séducteur. Il a écouté et a raconté, par une périphrase, qu’il protégeait toujours ses joueurs. Que nul n’était parfait, que chacun commettait des erreurs mais qu’il ne transigeait pas sur l’engagement ni les intentions. Il a ajouté au profit du gamin qu’il n’avait jamais raté un jour d’école.

SÉDUCTION ET FANATISME

Au Borussia Dortmund, Klopp a su transmettre son fanatisme au terrain. Il y a quelques années, Joe Hart a croisé le fer avec des joueurs en jaune et noir. A l’issue de la joute, il a déclaré avoir eu l’impression d’affronter un nid de guêpes avec Manchester City. Il a à nouveau éprouvé ce sentiment en novembre, quand Liverpool, un mois après l’embauche de Klopp, s’est rendu à l’Etihad Stadium. A la demi-heure, le score était déjà de 0-3. Un mix de tactique et d’engagement. Les cinq joueurs les plus avancés de Liverpool avaient pour consigne de faire douter les deux défenseurs centraux en exerçant une pression intense dès qu’ils étaient en possession du ballon. Comme des chiens de chasse lancés à l’assaut.

Liverpool rêve du titre. Les habitants de la plus mélancolique ville d’Angleterre aspirent depuis 25 ans à un sacre libérateur. Liverpool a gagné une Ligue des Champions et deux Coupes d’Angleterre, c’est bien mais ce n’est qu’un intermède dans la quête du Graal. C’est l’ultime défi de Klopp. Tôt ou tard, il sera jugé sur la concrétisation de cet objectif. Dans la Ruhr, il a reconstruit un club modèle sur les ruines de ses prédécesseurs. Lentement mais sûrement, le volume a augmenté au Westfalenstadion.

Plus les footballeurs couraient, plus les tribunes produisaient de décibels. Le football ultra rapide prôné par Klopp a permis à Dortmund de conquérir l’Allemagne et, presque, l’Europe. La Ligue des Champions s’est décidée sur un slalom d’Arjen Robben, qui a offert la victoire 1-2 au Bayern. Pourtant, gagner des trophées n’a jamais constitué un objectif en soi. C’est plutôt paralysant.

Durant ses premières semaines en Angleterre, Klopp n’a pas parlé de prix. Il voulait voir une autre mentalité car à ses yeux, c’est ce qu’il y a de plus facile à changer.  » Je ne dirai pas que nous allons conquérir le monde. Ce n’est pas mon genre « , a déclaré Klopp.  » Nous voulons conquérir le ballon, sans arrêt. Nous devons développer un style de jeu reconnaissable. Même si nos joueurs enfilaient un maillot d’une autre couleur, on devrait pouvoir les identifier à leur style de jeu.  » Sur ce, il a introduit un nouveau terme, littéralement traduit du Vollgasfussball avec lequel le Borussia Dortmund avait rejoint l’élite. Les supporters de Liverpool allaient découvrir le full-throttle football.

HEAVY METAL PLUTÔT QUE SYMPHONIE

En Allemagne, Klopp voulait que ses footballeurs abattent au moins 120 kilomètres par match. S’ils y parvenaient, ils avaient une journée de congé. L’entraîneur est convaincu que celui qui court plus gagnera automatiquement plus de duels. Les statistiques démontrent que Klopp n’a pas abandonné sa doctrine. Depuis octobre, les joueurs ont abattu plus de kilomètres, ils ont effectué plus de tacles et commis davantage de fautes. Ils mettent la pression, s’engagent dans les duels, courent. Ce sont les bases du football de Jürgen Klopp.

Il y a quelques années déjà, il avait sollicité un poste en Angleterre, indirectement. dans un entretien accordé au Guardian, il avait dit respecter le travail d’Arsène Wenger mais préférer le travail anglais classique d’usure et de labeur.  » Arsenal aime avoir le ballon et veut toujours jouer « , avait-il expliqué.  » C’est souvent comme un orchestre, une chanson paisible, une symphonie mais je préfère le heavy metal. Le football de combat, sous la pluie, sur un terrain détrempé, avec des joueurs qui se salissent et un score final de 5-4.  » Des paroles prophétiques : fin janvier, Lallana a marqué le 4-5 dans les arrêts de jeu à Norwich City. C’était du hard rock comme l’Allemand l’aime. Sans parler de la victoire 4-3 contre le Borussia Dortmund.

Klopp est issu d’une génération qui croit en une forte identité footballistique. Le club doit être un miroir, les joueurs sont les éléments d’un ensemble, d’une philosophie, d’un mode de pensée global. Sa force réside dans le charisme qui lui permet de convaincre les joueurs de mettre de côté leur ego au profit de l’équipe. L’homme est authentique. Klopp est authentique. Ses textes viennent du coeur, il n’imite personne. Ça nous vaut des entretiens étranges mais passionnants.

Il y a eu cet incident : peu avant la retransmission de l’émission Das aktuelle Sportstudio, il a giflé le présentateur, qui avait eu le malheur de lui demander ce qu’il ferait s’il était un de ses joueurs et devait travailler tous les jours. Klopp s’est fâché. Il a éclaté. Ce n’est pas orthodoxe mais ce n’est qu’une des nombreuses anecdotes qui courent sur lui. Klopp est très physique.

Il fait des câlins et frappe comme un jeune chien, avec un peu trop d’enthousiasme, certes, mais sans qu’on puisse vraiment lui en vouloir. C’est un homme d’émotions, de sentiments, ce qu’on ne retrouve pas toujours dans les statistiques mais qui est apprécié dans une communauté dont le ballon est le coeur battant. En Westphalie comme sur les rives de la Mersey.

L’AMOUR VÉRITABLE

Le Borussia Dortmund était en ruines quand Klopp l’a rejoint. Il n’avait plus un sou, il jouait mal, dans un style indéfinissable. Les liens entre joueurs et supporters s’étaient effilochés. Klopp a toutefois signé parce qu’il voyait en Dortmund un club qui dépassait le seul football. Il voulait travailler dans un endroit amusant au quotidien. Il a progressivement communiqué sa passion au reste de l’organisation. Le travail est devenu passion. Un amour véritable.

Énergie. C’est le mot-clef de Klopp. Dans ses meilleures années, Dortmund tirait de toutes parts pendant 90 minutes. En avant, en arrière, sur le ballon, toujours en groupe, avec une intensité phénoménale. Ses concurrents trouvaient rarement une parade à ce football compact. Pep Guardiola pas plus que les autres, la première fois qu’il a affronté le Borussia à la tête du Bayern.

Il a dû enfreindre sa propre philosophie et demander à ses hommes de procéder par longs ballons pour échapper à la pression. C’était un compliment à l’égard de Klopp. L’année dernière, quand celui-ci végétait en bas de tableau avec le Borussia Dortmund, il a reçu un SMS de Sir Alex Ferguson. Un soutien, un encouragement : il avait changé le football et surtout, il devait continuer à suivre la voie qu’il avait tracée.

Le jaune et noir s’est mué en rouge, l’amour du club n’a pas changé. On y sent l’espoir apporté par Klopp. Parfois, on décèle le chemin qu’il veut emprunter, il met l’adversaire KO mais les prestations restent encore trop imprévisibles. Une chose est sûre : Klopp fait remonter le son. Il le sait : plus il sera fort, plus il viendra du coeur, plus le fameux You’ll Never Walk Alone sera impressionnant. Les spectateurs de Bâle ont intérêt à acheter des protège-oreilles.

CLUB-LIVERPOOL

Liverpool a disputé deux finales européennes contre le Club Bruges. Elles auraient dû être au nombre de trois car en 1977, le Club a trébuché en quarts de finale contre le Borussia Mönchengladbach, le futur finaliste perdant. Georges Leekens, qui a joué deux finales sous le maillot du Club, s’en souvient très bien :  » Nous contrôlions parfaitement le match retour quand j’ai voulu remettre un ballon de la tête. Notre gardien, Birger Jensen, est brusquement sorti trop loin et au lieu de toucher le ballon, il m’a heurté à la tête. Je vois toujours ce ballon rouler lentement au-delà de la ligne de but…  »

Pourtant, le Club avait fait de sa campagne 1976-1977 un objectif majeur, rappelle Leekens :  » L’année précédente, nous avions perdu de justesse contre Liverpool, par aller-retour. Nous nous étions juré de nous requalifier pour la finale suivante.  » Finalement, le Club a eu sa finale, dans l’épreuve la plus prestigieuse même, mais il l’a perdue à Wembley en 1978 sur le score de 1-0. Il reste le seul club belge à avoir joué une finale de Ligue des Champions. Leekens :  » En 1978, Liverpool était meilleur. Nous étions sur les rotules. Nous étions privés de Raoul Lambert, qui s’est blessé en demi-finales contre la Juventus, comme moi, mais j’ai pu jouer, sur une jambe. Je voulais à tout prix participer à ce match.  »

Deux ans plus tôt, le Club avait joué contre ce même Liverpool ses deux meilleures joutes européennes de tous les temps.  » Nous avions joué franchement et tenté notre chance. Après un quart d’heure, c’était 0-2. C’était un petit miracle face à une équipe du niveau de Liverpool, surtout en Angleterre. Avant le match, Ernst Happel s’est dirigé vers le kop de Liverpool pour bien montrer qu’il n’avait pas peur. Nous l’avons imité. La principale qualité d’Happel, c’était son assurance. Il avait un coeur en or mais il montrait un visage différent en public. Sur le terrain, il nous accordait une grande latitude. Nous devions trouver nous-mêmes des solutions. Nous en étions capables car l’équipe recelait beaucoup de qualités. De facto, j’en étais le seul véritable défenseur. Ceux qui m’entouraient montaient constamment mais nous récupérions le ballon très haut.

En 1976, à Liverpool, nous avons commis une erreur : nous n’avons pas réussi le 0-3. Nous avons heurté la latte et nous avons encaissé un but contesté sur coup franc, ce qui a permis à Liverpool de faire 3-2. Au match aller, nous avions rapidement obtenu un penalty. Happel avait demandé, dans ce cas, de le botter en deux temps, à la Coppens ou Cruijff, mais Raoul Lambert l’a botté directement, comme d’habitude. Liverpool a égalisé 1-1. La différence entre les deux équipes était minime. Nous nous valions mais les Reds ont fait la différence aux moments décisifs.  »

Liverpool représentait l’élite absolue en Europe mais le Club alignait des joueurs de classe mondiale, trouve Leekens :  » Birger Jensen était déjà un gardien de ce niveau. Raoul Lambert est le footballeur le plus efficace avec lequel j’ai joué. Mais le meilleur de l’époque, c’était Ulrich Le Fevre, doté d’un fameux bagage technique. « 

PAROLES DE KLOPP

 » Quand il y a trente personnes dans une salle, je peux écouter pendant des heures ce que disent les 29 autres. Ça me plaît. Mais quand je suis le seul à parler, je me moque bien qu’ils soient 29 ou un million à m’écouter. C’est un talent inné. Ce n’est pas un mérite : ça relève du hasard.  »

Sur son talent à motiver les gens.

 » Ils font comme les Chinois. Ils observent les autres et les copient, mais avec plus d’argent.  »

Interrogé sur les progrès du Bayern Munich sous les ordres de Pep Guardiola.

 » On peut parler d’esprit d’équipe mais l’essentiel est de le respirer. J’ai emmené l’équipe au bord d’un lac en Suède. Il n’y avait pas d’électricité et nous n’avons pas mangé pendant cinq jours.  »

Sur le teambuilding.

 » Je montre souvent Barcelone à mon équipe. Pas pour son style de jeu mais pour la manière dont l’équipe fête ses buts. Il y a quelques semaines, après le numéro 5.768, les joueurs ont jubilé comme s’ils n’avaient encore jamais trouvé le chemin des filets. C’est beau. Ça devrait toujours être comme ça.  »

Sur la concurrence avec le top mondial.

 » C’est vrai, j’ai subi une transplantation capillaire et je trouve le résultat cool. Pas vous ?  »

Klopp et l’autodérision.

 » Mats Hummels est blessé pour longtemps, en effet, mais nous allons l’attendre comme une épouse fidèle qui attend la sortie de prison de son mari. « 

Sur la fidélité des joueurs.

 » C’est comme disputer un championnat du monde d’échecs après avoir passé 72 heures sans dormir.  »

Sur le programme chargé durant les fêtes.

Par Süleyman Öztürk

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