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Quand le ballon rond côtoie le big data

Les GAFA et les plateformes 2.0 se préparent doucement à faire main basse sur le foot, via l’achat de droits de retransmission et des collaborations étroites avec les plus grands clubs du monde. État des lieux d’une conquête, organisée depuis la Silicon Valley, qui risque de révolutionner notre rapport au sport-roi.

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Un moment, tout s’arrête. Le monde entier retient son souffle. De nulle part, Cristiano Ronaldo reste suspendu dans les airs. À 238 centimètres du gazon. Le Portugais claque un retourné d’un autre temps, contre l’une des meilleures défenses du monde, face à l’un des portiers les plus légendaires de ce sport. Dans la foulée, ce moment se décortique sous tous les angles, s’observe de tous les points de vue et se décline par tous les moyens possibles. Memes, gifs, vidéos. Tout y passe.

Un moment, ou un fragment d’histoire qui, la semaine dernière, suscite les vues, les likes, les retweets. Bref, de l’or en barre. Le football se vit aussi comme ça désormais. Ils sont quatre à l’avoir compris. Quatre géants du numérique qui, depuis la Silicon Valley, se partagent une bonne majorité des données qui transitent sur internet. Ils sont les GAFA : Google, Amazon, Facebook, Apple.

Dans l’ordre, ils pèsent 380, 400, 420 et 677 milliards de dollars en bourse. En 2020, ils pourraient représenter la première puissance mondiale quand, à l’heure actuelle, ils concentrent déjà pas moins de 7 milliards de consommateurs (sur 7,5 milliards d’habitants sur la planète).

Après l’industrie musicale, les GAFA, rejoints par d’autres canaux 2.0 comme Twitter ou Netflix, veulent s’introduire durablement dans le domaine du sport. Alors que les modèles de diffusions classiques s’essoufflent, et que les opérateurs télécoms tentent de se renouveler, ils pourraient bien changer la donne et la façon de  » consommer  » les événements sportifs.

En avril 2016, ils jettent une première pierre. Twitter s’empare, pour dix millions de dollars, des droits numériques de dix matches de foot US. Un an plus tard, Amazon répond et pose 50 millions pour dix autres matches de la NFL.

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 » Quelque chose est en train de changer. Le marché change, le jeu marketing change. Ce sera très intéressant de voir ce que feront ces plateformes d’ici un ou deux ans « , assure Anouk Mertens, managing director d’Eleven Sports, en Belgique et au Luxembourg.

À l’heure où ils sont pointés du doigt pour des questions de respect de la vie privée, les GAFA et leurs semblables montrent un appétit démesuré.  » Demain, Apple pourrait tout à fait vendre de l’assurance-santé « , glisse même Thomas Buberl, patron d’AXA, dans Les Echos. En clair : ça promet.

UNE ENTRÉE TIMIDE

Les différentes plateformes se démultiplient pour proposer du sport. Twitter s’occupe du basket féminin, du hockey ou du golf ; Facebook s’offre du foot et du baseball ; Amazon, lui, achète les droits audios de la Bundesliga pour les retransmettre via une application.

Récemment, Snapchat aurait même émis une offre pour pouvoir utiliser aux États-Unis les images du prochain Mondial, à l’instar de Facebook, qui a mis 600 millions pour les droits du cricket indien. En vain. Quoi qu’il en soit, cela en dit long sur la force de frappe de ces machines du numérique.

Pour séduire les Millennials et la génération Y, elles pensent évidemment à s’installer dans le monde du ballon rond. Si Facebook serait candidat au prochain appel d’offres concernant les droits de la Ligue 1 française, les GAFA dans leur ensemble rêveraient de s’attribuer la Premier League.

Outre-Manche, BT Sports et Sky, aux prises avec Amazon et Facebook, ont réussi à remporter la majorité des lots concernant l’élite britannique. Au total, BT et Sky ont dû débourser prêt de 4,6 milliards de livres pour le créneau 2019-2022, soit 500 millions de moins que sur la dernière tranche. La diversification des canaux, favorisée par les GAFA, entraîne une baisse d’audience donc de valeurs des droits.

 » L’entrée des GAFA en Premier League était attendue « , remarque Pierre François, CEO de la Pro League, en dialogue avec ces plateformes et attentif au changement qui s’opère.  » De ce côté-là, c’est une déception. Tout le monde s’attendait à ce qu’ils mettent définitivement un pied sur le marché. Pour le moment, cette entrée est relativement timide.  »

Parce que les GAFA se font prudents. Si l’âge moyen du téléspectateur lambda recule (55 ans) et qu’aux États-Unis, Netflix vient de dépasser les chaînes câblées en termes d’abonnés, la Silicon Valley doit réfléchir encore à ses business models.

Alors les canaux plus traditionnels prennent les devants. Parfois en collaboration avec Facebook et Twitter, ils diffusent du contenu sur leurs propres réseaux sociaux. Sous nos latitudes, la RTBF propose des compétitions sur sa plateforme Auvio, quand Eleven Sports partage des capsules des différents championnats européens.

 » En Belgique, on diffuse pas mal d’highlights, alors qu’aux États-Unis, où l’audience est plus fournie, on fait plutôt des lives. On le fait gratuitement, mais ça nous permet d’ouvrir une porte à de nouveaux abonnés « , explique Anouk Mertens.

Eleven, aussi disponible aux États-Unis, en Italie ou à Singapour, est né il y a trois ans et développe sa plateforme Eleven sports prime, disponible sur Twitch. Toujours Outre-Atlantique, le player tisse des liens avec Amazon.  » Notre stratégie est simple. Amener les meilleurs événements sportifs dans les meilleures conditions et le plus souvent possible aux fans. « 

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Le principe l’est tout autant : offrir aux téléspectateurs des événements dignes de ce nom de manière non-exclusive, c’est-à-dire à portée internationale mais déjà diffusée dans d’autres pays, comme le Super Bowl.

DES DOCUS-SÉRIES

Les ligues et les clubs revoient en conséquence leur modèle économique. Pour tous, il s’agit de développer leur marque à travers le globe.  » Le sens de l’histoire, c’est que les GAFA deviennent éditeurs et/ou distributeurs de contenus sportifs premium et donc de la Ligue 1 « , commentait dernièrement Didier Quillot. Le directeur exécutif de la LFP veut faire grimper les enchères. Les GAFA sont un nouvel eldorado à conquérir. Quand le PSG recrute Neymar cet été, il le fait aussi pour ses 170 millions d’abonnés sur les réseaux. 170 millions de consommateurs potentiels qui pourraient profiter au club et à sa compétition, mais qu’il faut d’abord abreuver.

Les GAFA sont un nouvel eldorado à conquérir. Quand le PSG recrute Neymar, il le fait aussi pour ses 170 millions d’abonnés sur les réseaux.

 » L’arrivée des GAFA est certaine et inévitable à terme « , certifie dans L’ÉquipeGérard Lopez, propriétaire de Lille, qui connaît bien le sujet pour avoir, entre autres, vendu Skype à eBay en 2005.  » Un acteur comme Google doit se dire : Pourquoi ne deviendrais-je pas le portail d’entrée mondial pour le foot ?  » Après tout, Amazon a posé un pied en Bundesliga. Le reste devrait suivre. Mais Lopez le dit :  » Ils ont besoin de contenus « . Alors, pour fructifier le marché, Amazon annonce en novembre la prochaine sortie d’un docu-série sur les coulisses de Manchester City. Via Amazon Prime Video, le géant du e-commerce était déjà à la production de Grand Prix Driver, sur l’écurie F1 McLaren.

Il répond à son concurrent de Netflix, qui promet, un mois plus tôt, un docu-série du genre sur  » l’une des équipes les plus fascinantes du monde  » : la Juventus. Si le contenu de First Team : Juventus FC reste globalement aseptisé, il traduit une chose : les grands clubs sont prêts à collaborer pour monnayer leur nom. Ils suivent ainsi le modèle des GAFA, pionniers dans l’exploitation du Big data : se nourrir des données des utilisateurs pour mieux les cibler et en tirer profit. Avec ces documentaires, sortes de publicités déguisées, ils peuvent s’exporter encore davantage vers un public moins rodé au sport-roi, mais qui représente un foyer de  » suiveurs  » gigantesque, notamment en Asie et en Amérique du Nord.

Cet été, le Real démarre le bal en partageant, via une nouvelle page Facebook, Hala Madrid, un contenu similaire en collaboration avec GoPro. Avant le premier épisode, la rencontre du club merengue contre la Fiorentina, diffusée en live sur le même réseau, rassemble 4,3 millions de suiveurs. Les décideurs des GAFA sont conscients de la manne humaine et financière que représente le football.

 » Ils ont l’argent suffisant pour s’acheter les droits qu’ils veulent, mais ils doivent d’abord réfléchir à la façon de les utiliser ensuite. C’est pour cela qu’ils prennent leur temps « , explique Anouk Mertens, dont l’employeur s’était attardé, par le même schéma, sur les Red Flames.

Eleven réfléchit à d’autres insides du style.  » Mais encore faut-il trouver une histoire à portée internationale, pour pouvoir étendre la diffusion à d’autres pays.  » Inside, c’est pourtant le nom de la série  » au coeur du Standard de Liège  » réa

Mandales à la demande

Floyd Mayweather vs Conor McGregor
Floyd Mayweather vs Conor McGregor© BELGAIMAGE

26 août 2017. Floyd Mayweather ferme la bouche de Conor McGregor, sur le ring. Le  » combat à un milliard  » rapporte finalement 600 millions de dollars. Il devient le deuxième événement sportif organisé sur une journée le plus rémunérateur de l’histoire. Showtime, le diffuseur officiel, enregistre alors 4,3 millions d’achats de  » séance « . Ce système de  » pay-per-view « , lancé par l’UFC, reprend tout simplement celui de service à la demande déjà connu pour les films en tous genres. Mais dans le sport, il fait clairement office de pionner, avec une offre à la carte dans plus de 200 pays différents.

Goffin TV

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Début février, l’annonce fait mouche. L’agence Octagon, qui se charge des intérêts de David Goffin, rachète les droits des matches du Liégeois pour le tournoi de Montpellier. Le but ? Les diffuser sur sa page Facebook, suivie désormais pas plus de 126.000 personnes. Lancée à l’initiative de l’un de ses sponsors (AA Drink), la démarche innove et dessine les contours d’un futur proche, cloisonné par la communication et les stratégies marketing. Même si, pour le moment, il n’est pas encore question de s’attaquer à des tournois plus prestigieux, de type Masters ou Grand Chelem.

OTT got your money

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Entre 8 et 12 dollars par mois. Toujours par souci de com soignée et d’offre rassasiée, la Formule 1 lance F1 TV, fin février dernier. Un service OTT – comprendre  » over the top  » – qui promettra à ses abonnés l’accès à l’intégralité des Grands Prix, en direct, avec commentaires dans quatre langues (français, anglais, allemand, espagnol). Pour les fans de pneus qui crissent, il sera aussi possible de se muer en réalisateur pour se retrouver dans le cockpit des pilotes, grâce aux différentes caméras embarquées, et donc, de se glisser dans la peau de Stoffel Vandoorne. Que du bonheur.

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