© Adidas

Paul Pogba: « Je pense que je peux tout faire »

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Dans sa quête du Ballon d’or, qui doit un jour le consacrer comme le meilleur joueur du monde, Paul Pogba a choisi Manchester United et José Mourinho. Un plan de carrière étudié dans les moindres détails.

Si la France est, encore aujourd’hui, la première destination touristique au monde, c’est notamment « parce qu’en 300 kilomètres, on peut totalement changer de paysage », expliquent les spécialistes du tourisme. Cette France-là, c’est celle de Paul Pogba. Un joueur qui veut « tout faire, parce que je pense que je peux tout faire. » Haut comme les sommets enneigés des Alpes, spectaculaire comme un match de foot sur la plage, rythmé comme une journée à Disneyland et placé au Louvre par son agent Mino Raiola d’un célèbre : « Je sais qu’il est comme un Monet. »

« C’est le prototype du joueur moderne », dit de lui son ancien entraîneur Antonio Conte. Un athlète tellement complet qu’il semble venu d’un futur hypothétique, quand les footballeurs seront des cyborgs programmés pour jouer à tous les postes, parce qu’ils maîtriseront tous les aspects du jeu. Au sein d’une équipe de France au vivier tellement large qu’elle peut choisir de jouer à l’anglaise (avec Olivier Giroud, Moussa Sissoko et Blaise Matuidi) ou à l’espagnole (autour de Karim Benzema, Aymeric Laporte et Antoine Griezmann), Pogba pourrait prétendre à un rôle majeur quel que soit le scénario footballistique choisi par son pays.

La palette semble infinie, parce que la Pioche joue des matches où il alterne des actions à la Patrick Vieira avec des coups de génie à la Ronaldinho. Infinie et indéfinie, parce que le Français peut briller dans tellement de domaines qu’il n’a pas encore choisi comment se limiter. « Il a le potentiel et le talent pour devenir le prochain héros tout-terrain du jeu », explique Jamie Carragher, comme pour justifier le prix exorbitant du transfert de Pogba. Un montant que Paul Scholes, légende à la retraite de Manchester United, regarde avec plus de scepticisme : « À ce prix-là, vous voulez un joueur capable de mettre 50 buts dans la saison, comme Cristiano Ronaldo ou Lionel Messi. »

BUTS EN OR

Même s’il aime évoluer au milieu du terrain, « là où on contrôle le jeu », le Français est obsédé par le but. Malgré son physique qui le place dans la lignée de Marcel Desailly et Vieira, Pogba évolue plus haut sur le terrain que ses illustres aînés. Parce qu’aucun des deux n’a jamais semblé en mesure de remporter le Ballon d’or. Et dans le plan de carrière footballistique dessiné par Paul, ce retour à Manchester semble être un transfert soigneusement étudié afin d’écrire son nom en majuscules dans l’histoire du jeu.

Dragué par les deux grands d’Espagne, Pogba a choisi une équipe de Manchester qui ne disputera même pas la Ligue des Champions cette saison. Et José Mourinho, son nouvel entraîneur, donne une piste pour expliquer ce choix : « Si tu veux être le meilleur joueur du monde, et que tu vas à Barcelone ou à Madrid, tu vas avoir des soucis parce que je ne pense pas que les deux autres vont te laisser faire. » Le milieu de terrain français a certainement vu que l’année 2015 stratosphérique des Neymar et Luis Suarez ne leur a même pas permis de contester la deuxième place du podium du Ballon d’or à Cristiano Ronaldo.

Paul Pogba:
© Belga Image

Il s’est sans doute rappelé que le titre de champion du monde n’avait pas suffi à Xavi et Andrés Iniesta pour sortir de l’ombre de Messi en 2010. Alors, il a choisi l’Angleterre. Mais pas n’importe laquelle : une Premier League présentée comme « la plus relevée de l’Histoire », dans un club qui veut retrouver les sommets et sait s’en donner les moyens, et avec le Special One sur le banc de touche.

« Gagner le Ballon d’or est l’un de mes rêves », clame Paul Pogba parmi ses premiers mots de Mancunian. Et le Français semble déjà en connaître la recette : « Je regarde Pavel Nedved et je me dis que l’année où il a eu son Ballon d’or, il n’arrêtait pas de scorer en Ligue des Champions : voilà comment un milieu de terrain devient Ballon d’or. » Pour prétendre au trophée individuel le plus prestigieux de son sport, Pogba opte donc tout naturellement pour le championnat où les milieux de terrain marquent le plus souvent.

« En Angleterre, ils veulent marquer des buts ; en Italie, ils ne veulent pas en prendre », résume la Pioche. On parle ici d’un championnat où Yaya Touré peut terminer la saison avec vingt buts au compteur pour emmener Manchester City vers le titre en 2014. L’endroit idéal pour que Pogba puisse « améliorer ses statistiques », une obsession qui le poursuit d’année en année. Le Français a été biberonné au football américanisé. Celui où on présente un joueur en jetant un coup d’oeil sur sa feuille de stats. En NBA, le CV des géants du basket s’écrit en nombre de points, de passes décisives et de rebonds.

LE DEUXIÈME MILIEU

S’ils ont uni leurs destins pour cinq saisons, c’est aussi parce que Paul Pogba et Manchester United partagent un objectif commun : celui de se (re)faire une place parmi le gratin du football mondial. « Pour la première fois en plusieurs années, un joueur de classe mondiale potentiel, qui aurait pu aller au Real ou au Barça, vient dans un club anglais », se réjouit d’ailleurs Gary Neville, l’ancien latéral droit d’Old Trafford. Et pour atteindre cet objectif, Man U a choisi le seul entraîneur capable de créer l’ADN de la gagne dans un club depuis le début du siècle.

Pogba, lui, a choisi José Mourinho parce qu’il fera de lui ce que ni Antonio Conte, ni Massimiliano Allegri ne sont parvenus à faire : concrétiser réellement son énorme potentiel. En le canalisant. Parce que le Paul de Turin n’était jamais vraiment impliqué dans le jeu de la Juve, où il apparaissait plutôt comme une valeur ajoutée que comme un rouage indispensable. Un joueur qui pouvait tout faire, mais qui ne devait rien faire. L’antithèse des idées de Mourinho, qui se présente lors de son arrivée à Old Trafford comme « un manager qui aime les spécialistes, pas les joueurs multi-fonctions. »

Avant même l’officialisation de la signature de Paul Pogba, le Portugais avait d’ailleurs présenté le rôle qu’il destinait à sa quatrième recrue, après avoir acté les arrivées d’un défenseur central (Eric Bailly), d’un milieu de terrain décisif dans le dernier tiers (Henrikh Mkhitaryan) et d’un buteur d’élite (Zlatan Ibrahimovic) : « Nous avons déjà des numéros 10, mais nous n’avons pas ce que j’ai l’habitude d’appeler le deuxième milieu. Celui qui est assez fort, assez puissant, a de l’intensité défensive, mais aussi de la créativité et des buts. Frank Lampard, Paul Scholes, Steven Gerrard : ils sont ce deuxième milieu, qui marque parfois plus de buts que le 10 mais qui défend comme un numéro 6. »

La description est parfaite pour un Pogba qui affirme lui-même avoir « le souffle et le physique pour défendre et attaquer. » Mourinho est prêt à dessiner un plan de jeu qui magnifie son football de transition, avec un rôle central pour son Français qui devrait s’installer dans le double pivot du 4-2-3-1 pour endosser le costume porté par Lampard puis Cesc Fabregas dans les deux Chelsea du Special One. Le Portugais avait exacerbé les qualités de buteur de son milieu de terrain anglais, faisant de lui un joueur capable d’enchaîner dix saisons à plus de dix buts marqués en Premier League et l’emmenant même sur la deuxième marche du podium du Ballon d’or en 2005, au terme de leur première année de collaboration.

Pogba est prêt à suivre l’exemple de Lamps. Depuis son éclosion en 2012, le Français n’a cessé d’améliorer ses chiffres dans le Calcio. Cinq buts pour sa première saison, puis sept l’année suivante. Pogboom grimpe à huit buts et trois passes décisives en 2014-2015, avant de boucler son dernier exercice bianconero avec le même nombre de buts, mais agrémentés de douze passes décisives.

MILIEU DÉF’ À L’ANGLAISE

Reste à installer ce joueur hors-normes dans l’équilibre d’une équipe de José Mourinho. La logique le place plutôt dans l’axe gauche, là où son pied droit est naturellement positionné pour rentrer dans le jeu et créer des actions décisives. Le problème, c’est que devant la défense, il faut également gérer la récupération, et que Pogba reste un joueur qui tacle beaucoup (2,2 par match) mais intercepte peu de ballons grâce à son placement (1,3 par rencontre). Un homme de show aussi, admirateur affirmé de Ronaldinho qu’il considère comme « le symbole de ce que j’appelle le spectacle efficace. » La Pioche a réussi 102 dribbles la saison dernière en Italie, mais en a également raté 64, un chiffre qui peut être rédhibitoire quand on évolue plus près de son but.

« Je prends parfois des risques qu’il ne faudrait pas que je prenne », reconnaît l’intéressé. Diego Simeone, quand il évoque le rôle de milieu de terrain, rappelle à l’envi que « ce n’est pas un hasard si le meilleur Gabi se voit à 30 ans, le meilleur Tiago à 34. Ce n’est pas un hasard non plus si Pirlo jouait en marchant à la Juve à 35 ans, ou si Xabi Alonso continue à être le meilleur. Jouer au milieu est très difficile. » Surtout quand on a 23 ans.

Mais jouer au milieu en Premier League, c’est peut-être un peu moins difficile qu’ailleurs. Surtout pour le deuxième milieu de Mourinho. L’avantage du Special One, dans cette saison sans Champions League, c’est qu’il ne sera pas confronté au grand écart permanent que constitue la création d’une équipe compétitive à la fois sur le ring anglais et sur l’échiquier continental. Et la Premier League reste un championnat où un titre peut se remporter avec un milieu de terrain « défensif » qui termine la saison avec 20 buts au compteur.

Protégé par Michael Carrick ou par son compatriote Morgan Schneiderlin, Pogba semble avoir tout en mains pour franchir à pieds joints le fossé qui le sépare encore de l’élite mondiale. Les médias anglais parleront alors du réveil de l’ogre mancunien, grâce à un milieu de terrain qui oscillera entre « nouveau Vieira », « nouveau Lampard » et « nouveau Touré. » Et la réponse qu’ils risquent d’entendre sera celle que le tout jeune Pogba offrait déjà à une presse italienne qui le comparait à Frank Rijkaard : « Je n’aime pas les comparaisons. Moi, je suis Paul. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire