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L’Iran: un autre regard sur la Coupe du Monde

David Scoubeau
David Scoubeau Journaliste

Vendredi soir, trente-deux nations avaient les yeux rivés sur leurs télévisions pour le tirage au sort de la Coupe du Monde. Ou plutôt trente-et-une. En Iran, la télévision officielle a censuré l’évènement. En cause, la tenue de Fernanda Lima, la présentatrice brésilienne.

Reza Klein est Iranien. Exilé en Belgique depuis des années, il assiste aux évènements sportifs sur les télévisions belges. Et la différence est flagrante. « On ne verra jamais une poitrine, ou une femme un peu dénudée sur les chaines iraniennes. »

En Europe Occidentale, les spots publicitaires de la Coupe du Monde au Brésil montreront surement les plages de Copa Cabana, et les « beach-volleyeuses » aux bikinis bariolés. En Iran, la télévision officielle n’offrira certainement pas les mêmes images. Dernièrement, elle a flouté une accolade chaleureuse entre Jonh Kerry et Catherine Asthon. Les plages, les maillots et les clichés brésiliens, très peu pour elle! « On en rêve de voir ce genre d’images à la télévision iranienne, mais c’est impossible« , explique Reza Klein, un père de famille.

Mohammed Seyed, Iranien de souche vit en Belgique, mais retourne souvent en Iran. Il confirme que les spots seront complètement différents en Iran. « Sur la télévision officielle, s’ils veulent parler du Brésil ils montreront des gens dans la rue, de dos, en hiver habillés. Ils montreront des monuments. Mais jamais des plages ou des shorts« , sourit le jeune homme.

Pas question pour autant de supprimer les retransmissions d’évènements sportifs. L’engouement pour le sport est bien trop important en Iran que pour faire l’impasse. Pour répondre à la demande du peuple, tous les évènements sont diffusés, à l’exception de certaines disciplines. « C’est vrai que lors de JO, nous ne verrons jamais la natation, un 100m féminin, ou le concours de saut à la perche« , confirme Reza Klein. « Cela n’empêche pas le sport d’être très populaire chez nous. Les femmes le pratiquent d’ailleurs, mais dans des tenues très strictes. En football, elles jouent en training et avec un voile par exemple. (NDLR: voir photo ci-dessus) »

Des femmes qui, malgré qu’elles soient championnes d’Asie de football, ne sont pas diffusées à la télévision. « C’est le cas dans de nombreux sports. Même si les athlètes féminines sont très fortes, elles ne sont pas retransmises« , s’étonne Mohammed Seyed.

Le direct différé

La plupart des évènements sportifs mondiaux sont retransmis par un signal unique. Les télévisions détentrices des droits de diffusions sont donc rarement autonomes sur le choix des images. Pour éviter tout dérapage, l’Iran diffuse toutes les compétitions en léger différé. En Europe, la technique du direct différé est souvent d’usage pour pouvoir pallier aux éventuels problèmes techniques. En Iran, ces quelques minutes permettent un contrôle préalable des images.

Lors de la diffusion au public, certains plans seront floutés ou censurés. « Un comité qui dépend du pouvoir est chargé de veiller à ce qu’aucun contenu qui heurte la morale islamique ne soit diffusé sur la télévision iranienne« , commente Firouzeh Nahavandy, sociologue à l’ULB et spécialiste de l’Iran. C’est ce même comité qui a décidé de l’interruption de la diffusion de la cérémonie de tirage. « La télévision avait commencé à diffuser la cérémonie. Il n’y avait pas de soucis à priori, puis le comité de censure a été surpris par la tenue de la présentatrice et a stoppé la diffusion « , poursuit Firouzeh Nahavandy.

Pour la plupart des Iraniens, c’est incompréhensible. « 70% de la population à moins de 35 ans en Iran. Pour tous ces jeunes, comme moi, cette censure est aberrante. Dès qu’il y a un plan de tribune, ou de ce qu’il se passe ailleurs, nous ne le voyons pas. La télévision iranienne nous repasse une action du match à la place. Cela créée d’énormes coupures. C’est énervant de voir 25 fois le même but en un match« , confie Mohammed Seyed.

Les nouvelles technologies comme regard sur le monde

Les images autorisées par le régime islamique sont extrêmement contrôlées. « Ce qui est diffusé à la télévision iranienne est austère« , constate Firouzeh Nahavandi. Un avis que rejoint Reza Klein. « Suivant la température en Iran, la censure est plus ou moins sévère. Suite aux dernières élections, le président est plus modéré et la censure s’est un peu assouplie. Mais cela reste très strict. »

Pour ne pas être coupé du monde, l’Iran se tourne donc vers les autres pays. « Les Iraniens ont des paraboles, et ils regardent la télévision turque, ou les télévisions occidentales. Même si elles sont souvent confisquées, ou interdites, les paraboles sont très rependues en Iran« , développe Firouzeh Nahavandi. Internet permet également de suivre les grands rendez-vous. « Les Iraniens sont fous de sports. Ce qu’ils n’ont pas à la télévision, ils vont le chercher sur internet. Les nouvelles technologies sont extrêmement utilisées en Iran« .

Ces nouveaux outils permettent aux Iraniens, surtout aux jeunes, d’avoir un autre point de vue. « Il y a des sites internet et des pages Facebook qui traduisent des reportages venus d’autres pays. En Iran, les gens ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas voir à la télévision ce qu’ils peuvent de toute façon voir sur internet ou grâce à la parabole. »

En juin prochain, les Iraniens assisteront à deux Coupes du Monde. L’une austère sur la télévision officielle. L’autre remplie de strass et de paillettes sur les télévisions étrangères et sur internet.


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