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Les dessous du mystère Bakkali

Il y a un an, Zakaria Bakkali était la nouvelle perle belge. Il moisit aujourd’hui sur le banc en Espoirs du PSV. Reconstruction.

Le PSV le reconnaît : il a trop protégé Zakaria Bakkali, qui se croit désormais tout permis. Sa famille, à commencer par ses trois frères, qui ne cessent de déconner, a vite compris l’avantage qu’elle pouvait retirer du talent du gamin. Elle use et abuse, le PSV ne bronche pas.

Marcel Brands, le manager du club, confie : « Zakaria est influençable. Le père n’est pas mauvais mais il n’a pas assez de poids dans sa famille pour prendre certaines décisions. Ses formateurs ont discuté avec lui. Parfois, ils pensaient qu’il avait compris, il se reprenait d’ailleurs un moment puis il rechutait. Il arrivait en retard, ne se donnait pas à fond. Un moment donné, nous avons contacté l’Union Belge pour savoir comment il se comportait lors des rendez-vous internationaux. Nous avions exactement les mêmes problèmes. »

Le Belge a été soumis à un suivi individuel rapproché. Le PSV a obtenu de gros succès de la sorte avec Memphis Depay, un autre talent à problèmes. Depay s’est calmé grâce au coach Joost Lenders. « Bakkali n’a jamais échangé un mot avec lui », poursuit Brands. « Or, je ne peux pas imposer un tel suivi puisqu’il est basé sur la confiance. » Peu avant ses 16 ans, Bakkali est élu meilleur joueur de la Nike Premier Cup, le plus prestigieux tournoi de sa catégorie. A partir de ce 9 août 2011, l’élite européenne est à ses pieds. Des dizaines d’agents contactent sa famille, sans gagner sa confiance. Marcel Veerman y parvient. Cet ancien joueur vit en Belgique et se lie avec Abdelkader, le père, via le mini foot. Il lui fait part de l’intérêt de Manchester City et en parle au gamin, qui n’a pas encore de contrat au PSV. Le club d’Eindhoven a vent de cet intérêt et parvient à conserver Bakkali, auquel il offre un contrat de trois ans, dont la signature est prévue en mai 2012. La veille, Bakkali est avec Veerman et ses frères dans le stade de City. « C’était un hasard », affirme Veerman. « Zakaria a été enchanté et a décidé de jouer pour City. » Le PSV obtient quand même sa signature, par des concessions que Veerman se refuse à énumérer. « Six mois plus tard, Zakaria m’a demandé s’il pouvait toujours rejoindre City. Il était déçu que le PSV ne tienne pas ses promesses. Il voulait partir mais c’était devenu impossible. »

Une erreur du PSV le prive du Brésil, vraiment ?

Le PSV ayant offert un salaire plantureux au gamin et une Mercedes au père, il doit avoir respecté ses promesses matérielles. Rini de Groot, un responsable des jeunes : « En fait, nous avons été bien trop bons avec lui. » Cela se comprend car en décembre 2011, le club a perdu Andreas Pereira, raflé par Manchester United. Il voit ses plus grands talents partir les uns après les autres et veut mettre fin à cet exode. De Groot : « Je pense que Veerman parle du volet sportif. Bakkali avait parfois des passages à vide et ne le supportait pas. Il était alors particulièrement influençable, comme sa famille. Le pire, c’est qu’ils ne disaient jamais ce qu’ils avaient en tête : ils suivaient leur chemin. » Bakkali poursuit néanmoins sa progression. Fred Rutten, l’entraîneur du PSV de juillet 2009 à mars 2012, lui permet même de s’entraîner avec la Première de temps en temps. Son successeur, Dick Advocaat, l’emmène en stage à Bangkok en janvier 2013 et le fait débuter en équipe fanion. Sept mois plus tard, le talent conquiert les Pays-Bas grâce à quelques matches brillants. Bakkali a 17 ans, il est international belge depuis des années chez les jeunes mais il doit choisir. Le Maroc, le pays natal de son père et de sa mère, décédée, est à l’affût. Entre-temps, le PSV lui annonce qu’il bénéficiera d’un nouveau contrat en janvier 2014. Dès qu’il aura 18 ans, les Brabançons veulent se l’attacher jusqu’en 2017, voire 2018. Les clubs étrangers dépêchent également leurs agents. « A peine l’agitation suscitée par son premier contrat était-elle estompée qu’elle reprenait », précise Brands. Bakkali, perturbé, se blesse aux abdominaux.

Le staff technique ne peut que constater à quel point il manque de maturité. « Il était jouette à tous points de vue », poursuit Brands. « Qu’il s’agisse de ses tâches sur le terrain, de son comportement en dehors ou du style de vie qui s’impose à un professionnel, il avait des problèmes. Il ne supportait toujours pas la moindre déception. Il suffisait qu’il ne soit pas repris une fois pour qu’il lève le pied à l’entraînement. »

Guéri, Bakkali opte pour la Belgique. Il rejoue régulièrement en équipe A. Mais il a perdu de son panache. Certes, il continue à virevolter mais on dirait que tous ses adversaires ont compris son style de jeu. Fin décembre, il dispute son quinzième match pour l’équipe Première, ce qui implique qu’il ne peut plus se produire en Espoirs cette saison-là. « Nous avons commis une erreur », reconnaît Brands. « Nous aurions dû attendre. » Veerman affirme que la famille a très mal pris cette erreur. « Zakaria était en bonne voie pour être repris pour le Mondial mais il a perdu sa chance à cause du PSV. L’exemple de Memphis Depay aux Pays-Bas et de Divock Origi montre les conséquences. Tous les deux sont entrés au jeu et ont fait sensation. Origi a signé un super contrat à Liverpool, Depay au PSV. »

Tante Hakima ? Virée !

Bakkali marque le coup mais le PSV souhaite s’assurer les services du plus grand talent qu’il ait déniché depuis des années. Toutes les parties se tracassent à propos de son développement mais son talent est réel. Brands discute avec la famille. Comme deux ans plus tôt, la tante du jeune est son interlocutrice. Hakima Bakkali-Cherkaoui est bien vue par la direction du PSV : elle est calme et réaliste dans une famille capricieuse. Dès janvier, elle annonce au club que la prolongation du contrat, qui court jusqu’en 2015, est la seule option, mais la signature se fait attendre. Elle demande un moment de répit car les Bakkali travaillent sans agent. La première fissure apparaît à la fin de la saison passée, quand Bakkali ne joue plus. Il exprime tout haut ses doutes quant aux projets sportifs du PSV. « Je ne veux plus jouer en Espoirs mais en Première », annonce-t-il.

Brands reçoit alors un coup de fil surprenant. Bakkali a engagé un vrai manager, Didier Frenay. Tante Hakima disparaît de la circulation. Il est ingérable. Un jour, il déclare qu’il va sans doute passer chez Jorge Mendes, l’agent FIFA le plus influent du monde. Le manager de Cristiano Ronaldo lui a téléphoné et il est séduit. L’affaire ne se fait pas. Il continue à bouder l’offre du PSV. En été, le club lui annonce qu’il sera donc renvoyé en Espoirs et il retire officiellement son offre. En interne, le PSV convient qu’il vaut mieux le vendre.

Le 7 août, veille du match, Sankt Pölten – PSV en tour préliminaire de l’Europa League, Marcel Veerman débarque à l’hôtel du PSV. « Benfica m’avait demandé de transmettre une offre pour Georginio Wijnaldum. Brands m’a demandé de parler à Bakkali, expliquant qu’il s’était passé tellement de choses qu’une vente était possible. J’ai demandé un prix de référence. » Veerman prend contact avec un club belge. « Je ne trahirai pas son identité mais il était prêt à verser trois millions. » Le matin suivant, il se rend à Herdgang pour y discuter de l’offre avec Bakkali. Pendant qu’il fait route d’Anvers à Eindhoven, il tente en vain de joindre Brands, qui ne le rappelle pas. Ce que Veerman ignore alors, c’est que Brands a jadis conseillé au jeune Belge de s’assurer les services d’un agent FIFA renommé. Le manager du PSV a cité les noms de Mino Raiola, Rodger Linse et Kees Ploegsma. Le PSV les considère comme des partenaires fiables. A la surprise générale, la famille Bakkali, qui ignore qu’une vente est imminente, vient de franchir le pas. Le jour où Brands communique un prix à Veerman, les Bakkali sollicitent Ploegsma. Le message est clair : le footballeur veut quand même rester au PSV et juge que Ploegsma est en mesure de reprendre les négociations. Ploegsma prévient Brands du rebondissement. « Surpris, il est resté réservé », raconte Ploegsma. « J’étais le énième à être impliqué et Bakkali avait souvent changé d’avis. » L’agent demande s’il y a une chance pour que le PSV revienne à la table des négociations. Il apprend que le club n’en a plus très envie. « Mais comme Ploegsma est de ces agents qui soutiennent les jeunes, j’en ai parlé au staff », précise Brands. « Si Ploegsma suivait Bakkali, ça pouvait encore aller. »

Trois folles semaines entre Madrid, Francfort, Lille,…

C’est le début de trois folles semaines. Ploegsma considère Bakkali comme un défi et prend rendez-vous avec lui. Les parties concernées n’étant pas sûres de l’issue, elles lancent diverses pistes. Le PSV a reçu une offre de l’Atletico Madrid. Bakkali le sait et il discute tous les jours via WhatsApp avec Andrea Berta, le directeur du club ibérique, qui lui dit que le lendemain, un jet privé sera à sa disposition. Il n’a plus qu’à y monter. Le joueur l’annonce à Ploegsma tout en lui confiant n’avoir aucune envie de jouer en Espagne. Frenay, son ancien manager, l’a conduit à Francfort, depuis. L’Eintracht lui a proposé un formidable contrat mais le père a trouvé que Francfort était trop éloigné de Liège. Les Bakkali jugent Lille intéressant et le font savoir. On y parle français et ce n’est qu’à deux heures de route de Liège. Ploegsma demande au bureau de Pascal Renier de prendre contact. Lille est réservé. Le tamtam indien lui a appris les frasques de Bakkali. Le club français demande une déclaration signée de représentation et veut discuter avec le joueur en personne avant de décider d’entamer ou non des négociations. Il communique trois dates possibles à Ploegsma. Celui-ci attend toujours la réponse du joueur. Contre toute attente, Brands obtient le feu vert du staff et du directeur Toon Gerbrands. Phillip Cocu et Ernest Faber ne sont pas très chauds mais Darije Kalezic, l’entraîneur des Espoirs, a une bonne influence sur Bakkali et est prêt à en user. Ploegsma va embaucher un coach de performance, confier le joueur à un diététicien et lui imposer des entraînements physiques supplémentaires. Il reçoit une offre assez similaire à celle qui a été retirée. Le contrat sera prolongé jusqu’en juin 2017, avec une option d’un an. Mais il est assorti d’une clause de prestation. Ploegsma le comprend bien. Le salaire peut augmenter fortement si Bakkali est performant. Brands : « Ploegsma l’a compris, c’était un super contrat. »

Le cousin Youssef

Brands prend rendez-vous le 25 août. Bakkali signera le contrat en présence de son père et de Ploegsma. Le footballeur ne se présente pas. Il envoie un cousin, Youssef. Celui-ci stupéfie le club et l’agent en demandant le contrat de représentation signé par Bakkali. « D’après Zakaria et son père, il contenait des éléments qui n’avaient pas été convenus », explique Marcel Veerman, qui est également en rapport avec Youssef. « Bakkali pensait avoir signé un mandat pour la conclusion d’un contrat d’un an au PSV mais son cousin a découvert qu’il était lié à Ploegsma jusqu’au 9 septembre 2015. Donc jusqu’au terme de la période de transferts de l’année suivante. » Ploegsma estime n’avoir pas commis de faute mais est prêt à déchirer le contrat. Les Bakkali refusent une seconde proposition de Ploegsma. Veerman : « La famille s’est sentie déshonorée par le PSV pour la deuxième fois. Certaines promesses de 2012 n’avaient pas été tenues et le club lui avait conseillé un agent qui, selon elle, tenait plus avec lui qu’avec le joueur. Bakkali ne voulait pas signer pour plus d’un an. Il ne voulait pas se lier à cause de ce qui s’était passé après la signature de son premier contrat avec le PSV. »

Les autres parties démentent formellement cette lecture. « Jamais le PSV n’a parlé d’une prolongation d’un an car nous nous serions retrouvés dans la même situation douze mois plus tard », selon Ploegsma. Après cette bizarre réunion du 25 août, Marcel Brands ne prend plus contact avec le joueur. Kees Ploegsma bien. Il lui fait savoir par WhatsApp qu’il recevra le lendemain un acte de rupture de son contrat de représentation. Le jour du deadline, Ploegsma tente de joindre Bakkali à quatre reprises. En vain. Après avoir passé trois semaines à tenter de convaincre le PSV de lui offrir une nouvelle chance, l’agent comprend qu’il a perdu les quelque trente heures investies. Le 1er septembre, Bakkali reçoit un recommandé de Brands, qui y retire l’offre et précise que le Belge apprendra les conséquences sportives de son comportement lors d’un entretien personnel. Ploegsma annonce au téléphone à Brands qu’il ne soutient pas le choix de Bakkali et qu’il ne travaillera plus pour lui. Le footballeur fait preuve de compréhension. Il le remercie pour ses efforts.

Depuis, il est sur une voie de garage. Ceux qui connaissent le marché pensent que Bakkali a un accord avec un club qui a prévu une enveloppe globale. Une telle construction n’est pas inhabituelle de nos jours. Tous les frais, y compris une éventuelle indemnité de transfert, sont compris. Donc, plus le joueur est bon marché, plus il gagne. Cet été, le PSV demandait trois millions pour son transfert. Ce sera moins cet hiver. Le 1er juillet 2015, il sera libre. Mais le club qui conclut ce genre de marché doit être vraiment convaincu des qualités de celui qui a été international belge à une seule reprise.

Feuilleton, pas de happy end

Entre-temps, Bakkali n’a plus guère joué depuis huit mois et sa situation ne changera pas dans les quatre mois à venir. Il est actuellement blessé et s’entraîne séparément au complexe des jeunes du PSV. Dans le vestiaire, il ne dit pas un mot du feuilleton dont il est l’acteur principal. Il se tait ou il rit. Quand il croise un de ses anciens entraîneurs de jeunes, il lui adresse un clin d’oeil. « Ce n’est pas un mauvais garçon et son père n’est pas méchant non plus mais un moment donné, trop, c’est trop », conclut Brands. « Je ne sais pas comment ça va se terminer », affirme Veerman. Et Ploegsma : « Il voulait rester, il pouvait signer mais il ne l’a finalement pas fait. Qu’on ne se fiche pas de moi. » De Groot partage cet avis : « Tout le monde a commis des erreurs. Nous, Bakkali, ses conseillers. J’espère que nous allons tous en tirer des leçons. Nous ne voulions pas qu’un grand espoir termine ainsi chez nous. »

PAR THIJS SLEGERS

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