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Le Red Star, dans l’ombre du PSG

Jules Rimet, le père du Mondial, avait un rêve : fonder un club où chacun serait le bienvenu, quelle que soit son origine. 120 ans plus tard, le Red Star, qui évolue en division trois, tente de respecter les principes de son fondateur, dans l’ombre du riche PSG.

« Attention aux pickpockets !  » Joseph, garçon à la Brasserie Biron, prodigue toujours le même conseil à ses clients avant qu’ils ne s’engouffrent dans l’avenue Michelet. Le marché Biron, éponyme, une des quinze entités qui forment Les Puces de Paris Saint-Ouen, se trouve juste au coin. Il attire une clientèle variée. Les pickpockets font surtout des affaires le week-end, quand les étrangers viennent dépenser leurs sous aux Puces. Le quartier qui entoure le plus grand marché d’antiquités à ciel ouvert du monde est le reflet de Saint-Ouen : multiracial et pluriel.

Dans le prolongement du quartier touristique se trouve la Porte de Clignancourt, où la police a abattu d’une vingtaine de balles le fameux gangster français Jacques Mesrine il y a 40 ans. C’est ici que commence le 18e arrondissement de Paris, avec des appartements dont le loyer coûte facilement 500 euros de plus par mois que quelques centaines de mètres plus loin, à Saint-Ouen.  » Depuis que le centre-droit est au pouvoir, on pratique les tarifs parisiens dans l’immobilier « , explique Joseph.  » La précédente équipe avait un droit de pré-achat, ce qui lui permettait de plafonner les prix. La mesure a été supprimée et depuis trois ans, les prix des appartements flambent.  »

« Nous sommes un club populaire au sens littéral du terme : chez nous, tout le monde est le bienvenu. » – Vincent Chutet-Mezance, président du Collectif Red-Star Bauer.

Le territoire du Red Star s’étend de l’autre côté du boulevard périphérique, en direction de la rue du docteur Bauer. Le Stade Bauer, qui a tout d’une épave, est devenu un foyer de résistance au racisme et au fascisme, un refuge pour les communistes et les partisans de la gauche radicale de l’ancien candidat à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon. Sur les murs, des autocollants rappellent qu’au stade, on ne tolère pas la quenelle, ce geste lancé il y a plus de dix ans par l’humoriste controversé Dieudonné et repris par l’extrême-droite.

Petits et grands passent par la même porte chez les Vert et Blanc.
Petits et grands passent par la même porte chez les Vert et Blanc.© BELGAIMAGE

 » À Bauer, on rencontre de tout « , explique David Bellion, ancien joueur de Manchester United, West Ham et Bordeaux, entre autres, manager du Red Star depuis deux ans.  » Les vieux serviteurs, les ultras, les jeunes qui n’ont pas la moindre idée de ce que sont les hipsters, les hipsters qui ne comprennent pas l’idéologie des ultras… C’est un écosystème où chacun peut trouver sa place. Et chacun a des droits sur le Red Star car la diversité est un des fondements de ce club.  »

Un lieu de baptême

Le Red Star n’attire plus les foules depuis longtemps : les relégations, la faillite en 1978 et l’absence de succès sportifs ont fortement diminué le nombre des supporters, même si le potentiel est énorme à Paris. Pour le match contre les Bretons de Concarneau, 2.300 personnes franchissent l’obligatoire porte verte. Les ouvriers qui peuplaient jadis les tribunes ont été remplacés par un public plus mélangé mais les slogans sont restés les mêmes.

 » Flic, arbitre, militaire, qu’est-ce qu’on ferait pas pour un salaire ? «  Des flèches contre l’establishment. Le compartiment visiteur, où sont retranchés les treize supporters venus de Concarneau, reste calme.  » Nos supporters aiment provoquer mais ils ne sont pas violents « , assure Bellion.  » Au contraire. Ils sont d’un naturel pacifiste. Vous ne trouverez pas une insulte dans la moindre de leurs chansons.  »

La nouvelle génération de supporters du Red Star est délicieusement rebelle. Elle raffole de Rino Della Negra, un Italien né en France qui ne s’est entraîné que quelques mois au Red Star, n’a jamais disputé le moindre match officiel et a acquis le statut de héros pendant la Deuxième guerre mondiale, victime de ses activités dans la résistance. Avant, des jeunes de 16, 17 ou 18 ans vivaient leur premier match de football au Parc des Princes du PSG, maintenant, leur baptême a lieu au Red Star.

Le label Red Star, considéré comme un des derniers clubs authentiquement populaires de France, les attire.  » Nous sommes un club populaire au sens littéral du terme : tout le monde est le bienvenu « , explique Vincent Chutet-Mezance, président du Collectif Red-Star Bauer.

 » Nous ne faisons pas de différence entre les gens. Ça commence aux portes du stade. Tout le monde passe par la même entrée et le club pratique sciemment des prix démocratiques. Dans beaucoup de stades, on attribue les places en fonction du prix payé. Conséquence, les gens de différentes classes sociales ne se rencontrent plus. Nous sommes contre le sectarisme. Chez nous, les gens sont mélangés.  »

Fondé par Jules Rimet

Le Red Star est atypique à de nombreux points de vue. À 120 ans, il est le deuxième club le plus ancien de France et son nom ne renvoie pas à la ville. Chutet-Mezance :  » Il faut remonter à 1945 pour la dernière victoire en coupe mais nous avons imposé notre sceau sur l’histoire du football français. Grâce à notre nom, au stade, aux supporters et à nos principes, nous comptons toujours en France.  »

Plus d’un siècle après sa fondation par Jules Rimet, qui, président de la FIFA, a été à l’origine de la Coupe du Monde, le club porte toujours les mêmes valeurs. Elles sont issues de la classe ouvrière. Bien que Rimet vienne de la bourgeoisie, il menait une gestion basée sur les migrants issus de milieux défavorisés. La problématique est plus que jamais actuelle, surtout dans une ville comme Saint-Ouen, qui croule sous les dettes et dont les jeunes s’inspirent plus des dealers de drogue que des footballeurs (voir encadré). Même si les supporters sont engagés sur le plan socio-politique, le club tente d’être à 100 % apolitique.

 » Nous faisons la promotion de la diversité et de l’intégration. Ce n’est pas du marketing bien emballé, ce sont nos racines « , déclare le président Patrice Haddad.  » Mais nous ne faisons pas de politique ni de religion. Nous avons retrouvé les statuts de 1897. Ils stipulent explicitement que la politique et la religion n’ont rien à faire au Red Star. Selon moi, Rimet voulait déjà créer une sorte d’harmonie dans le vestiaire. On peut dire que le Red Star a été le premier club séculier de France.  »

Haddad, à la tête du Red Star depuis 2008, est le parfait représentant du club. Il est un peu excentrique et veut un projet qui dépasse les frontières du football. Travailler le corps, éveiller l’esprit. Un esprit sain dans un corps sain. Il y a plus de trente ans, Haddad a fondé la maison de production Première Heure et depuis, le réseau du pape de la musique comporte Madonna, Sting, David Bowie ou encore Vanessa Paradis.

Paris a son Etoile Rouge aussi.
Paris a son Etoile Rouge aussi.© BELGAIMAGE

Grâce à sa puissante machine, il veut plonger les 600 enfants du Red Star – et, par extension, leurs 600 familles – dans le monde de l’art, de la photographie, de la littérature et de la mode.  » Notre mission est parallèle au football. Nous voulons être un sas culturel et mettre les habitants de Saint-Ouen en contact avec des activités auxquelles ils n’ont pas accès normalement.  »

Un club itinérant

Le temps avance inexorablement, en défaveur du Red Star. Un retour en Ligue 1 est une utopie. Sa dernière apparition date déjà de 1975. Tant que le dossier du stade n’est pas en ordre, le centenaire n’a pas d’avenir. Les Vert et Blanc ont joué dans six stades différents depuis leur fondation. Il y a deux saisons, le club a été contraint d’évoluer au Stade Jean-Bouin, dans le 16e arrondissement et, la saison passée, il a même dû se produire à Beauvais, 80 kilomètres plus au nord.

Aucun site n’égale le mythique Bauer. Le Red Star est Bauer et vice-versa. Ils sont indissociables. Les supporters avaient un message clair, pour le retour au Bauer :  » Cette saison, tous les matches du Red Star se joueront à la maison.  » En résumé : nous sommes de retour chez nous.  » Nous, les supporters actifs, avons boycotté Beauvais « , se souvient Chutet-Mezance.

 » Une partie ne voulait pas y aller et pour d’autres, s’y rendre un vendredi soir était impossible pour des raisons pratiques. C’est peut-être contradictoire mais nous accompagnions le club en déplacement. Je constate qu’à chaque délocalisation, le club meurt un peu. Au Jean-Bouin, en division deux, nous avions une assistance de 3.000 à 4.000. Cette saison, une série plus bas, nous avons une moyenne de 3.000. Il y a donc un lien très fort entre les supporters et le stade. Ce lien est énorme en ce qui me concerne. J’ai assisté à mon premier match du Red Star au Bauer en 1994. Le Red Star a été envoyé au stade Marville de La Courneuve, pas très loin d’ici, de 1994 à 1998. Et bien, pendant cette période, je n’ai pas vu un seul match à domicile. À la fin des années 90, j’avais seize ans et j’étais fièrement au poste quand le club est revenu au stade Bauer.  »

Avec les années, les ultras du Red Star se sont radicalisés. En 2015, ils ont même boudé un huitième de finale de Coupe de France contre Saint-Étienne parce que le match ne pouvait se dérouler à Bauer. Avec son Collectif Red-Star Bauer, Chutet-Mezance milite depuis des années pour l’ancrage définitif du Red Star dans son stade actuel. Les autorités chipotent depuis des années avec le dossier du stade, sans oser prendre de point de vue clair.

L’ancien collège communal communiste aurait envisagé de démolir le stade et de le remplacer par des bâtiments ou des parkings. Chutet-Mezance :  » Cette parcelle de terrain, située entre la Porte de Clignancourt et les Puces, peut rapporter beaucoup d’argent à la commune. Nous nous y opposerons. Nous avons longtemps été seuls dans notre lutte mais depuis peu, la ville a choisi notre camp.  »

La Silicon Valley du foot

Le Red Star ne peut lutter sur deux fronts. Pour l’heure, il laisse donc le PSG tranquille. Il ne se profile pas contre lui mais dans les faits, il lui est opposé. Le Red Star veut être un club à dimension humaine, loin du bling-bling des Qataris.

 » Le Parc des Princes est l’arène des Galacticos « , rigole Bellion.  » J’ai des amis qui supportent le PSG parce qu’ils veulent voir du bon football. C’est un argument comme un autre. Je m’exprimerai en termes cinématographiques : le Red Star est un film d’auteur, le PSG est un blockbuster. Mais il tient la route. Il a conféré plus de visibilité et de crédibilité à la Ligue 1 et ça fait du bien à tout le football français. Je ne m’éveille donc pas tous les matins en espérant positionner le Red Star par rapport au PSG. Il a des valeurs et nous devons les respecter. Nous ne devons pas être jaloux de lui : le Red Star existait bien avant qu’il ne soit question du PSG…  »

Haddad s’inscrit dans la lignée de Rimet. Il a aussi un rêve : fonder un centre pour jeunes à Saint-Ouen. Le Red Star se trouve dans la Silicon Valley du football, les joueurs y abondent mais il n’y a pas le moindre centre de formation dans toute la Seine-Saint-Denis.  » Nous devons travailler à plus grande échelle. Gérer un centre de formation fait partie de ce projet. Le défi consiste à trouver un modèle économique qui ne nous fait pas perdre notre caractère. « 

Saint-Ouen ne veut plus de cannabis

Située aux portes de Paris – le Sacré-Coeur et le Moulin Rouge ne sont qu’à quatre kilomètres-, l’ancienne bourgade industrielle est un endroit de rêve pour les dealers. On estime à un milliard le chiffre généré par le cannabis dans le département de la Seine-Saint-Denis, le neuf-trois en langage populaire. Saint-Ouen est le royaume des dealers. Les points de vente les plus performants peuvent rapporter entre 15.000 et 20.000 euros par jour.

Des clients viennent exprès de Paris pour la frappe, un produit à base de concentré de haschisch, vendu à des prix dérisoires. Pendant des années, police, politique et justice ont laissé faire. C’était une façon de préserver la paix précaire, une variante parisienne de la Pax Romana. L’arrestation d’une bande au coeur des logis sociaux entraînait une forte hausse du non-paiement des loyers. C’était la preuve que l’économie du cannabis faisait vivre beaucoup

de foyers.

Cette année, la commune a recruté 25 agents de police, pour l’essentiel d’anciens soldats de la Légion, et elle a fait passer son budget de fonctionnement à 1,7 million par an, soit trois fois plus qu’en 2016. Pourtant, les bandes restent omniprésentes. À Saint-Ouen, on ne règle pas ses différends devant le tribunal mais en rue, à l’arme automatique.

L’avenue Michelet, l’artère économique de la ville, subit jour après jour les conséquences funestes du boom du cannabis. Bars, salons de coiffure, épiceries, tavernes appartiennent à des vendeurs de drogue. Ce ne sont que des façades, qui servent à blanchir l’argent. Elles sont souvent inscrites sous de faux noms, à moins que le patronyme du propriétaire ne change tous les mois.  » Le Red Star est la prolongation naturelle de la ville « , raconte Vincent Chutet-Mezance.  » Ce qui se passe à Saint-Ouen, c’est la dure réalité. « 

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