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Le 20 juin 2010, les Bleus refusaient de descendre du bus: « C’est quand on sait qu’on est en train de faire une connerie et qu’on s’obstine »

Le Vif/L’Express était allé à la rencontre de Raymond Domenech, le sélectionneur qui symbolise le plus le fiasco de Khysna, quelques mois après la Coupe du monde 2010. Retour sur l’un des moments qui aura marqué le football français de manière négative.

PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE BROUSSARD, GÉRALDINE CATALANO ET ÉRIC PELLETIER.

La Coupe du monde en Afrique du Sud, un fiasco qui restera à jamais associé à votre nom.

RAYMOND DOMENECH:« Oui, tout comme la finale en 2006 à Berlin que nous avions perdu contre l’Italie. Ce que beaucoup semblent avoir oublié. Si c’était à refaire, je n’effacerais rien dans ma carrière. »

Comment l’équipe de France en est-elle arrivée à ce désastre ?

DOMENECH:« Je me suis peut-être trompé sur le choix des joueurs. L’équipe n’a pas bien joué : peut-être ai-je mal expliqué mon projet »

Et cet isolement des Bleus que vous avez favorisé ?

DOMENECH:« Isolés, les joueurs ? Il faut arrêter avec ces histoires de  » bulle « . Ils disposaient non pas d’un, mais de deux, voire trois téléphones portables, de deux ordinateurs. Les infos, ils les avaient plus vite que moi ! C’était très facile de communiquer avec l’extérieur. La preuve, avec cette fameuse Une de L’Equipe qui a fait scandale. Le staff ne les empêchait pas de communiquer. Il fallait au contraire qu’on se batte pour qu’ils se présentent aux conférences de presse, car ils ne voulaient pas y aller. »

Vous les avez protégés une fois de plus en lisant le communiqué justifiant leur grève. Cette lecture fut-elle votre plus grosse erreur ?

DOMENECH: « Une erreur, c’est quand on sait qu’on est en train de faire une connerie et qu’on s’obstine. A ce moment-là, je ne cherche pas à les protéger. Je lis la lettre parce que, au bout d’un moment [il siffle en passant la main au-dessus de sa tête], il faut dire stop. Ça faisait plus d’une heure qu’on était là. Il fallait bien que quelqu’un prenne ses responsabilités et que s’arrête cette mascarade ! Toutes les caméras étaient braquées sur le bus, des centaines de gamins attendaient sur le bord du terrain, on était la risée du monde. J’ai dit :  » On arrête, je n’en peux plus !  » Personne ne voulait lire ce machin ! J’y suis allé. Si j’avais réfléchi deux secondes, je serais parti. »

AVEC LE RECUL, JE VOIS SURTOUT LES JOUEURS COMME UNE BANDE DE SALES GOSSES INCONSCIENTS

Raymond Domenech

Que s’est-il passé à l’intérieur du bus ? Bacary Sagna prétend avoir tout oublié. Avez-vous, vous aussi, la mémoire qui flanche ?

DOMENECH: « Non. Ce qui se passe dans le bus, c’est à la fois simple et inexplicable. Les mecs remontent et disent :  » On s’en va ! «  »

Quels arguments employez-vous alors pour qu’ils changent d’avis ?

DOMENECH:« Tous. Je leur dis même que leurs familles les regardent et que l’image qu’ils s’apprêtent à envoyer est terrible. Personne ne répond. C’est le silence. A trois reprises, je descends pour les laisser réfléchir. Quand je remonte, je les entends palabrer, je réessaie. Mais rien. »

Qui sont les meneurs ?

DOMENECH:« S’il y en a, je ne les ai pas vus. Chaque fois que je remontais, il n’y avait plus personneà A ce moment-là, je me dis qu’ils sont devenus fous et qu’ils ne se rendent pas compte. Aujourd’hui, je sais que j’avais tort : ils savaient très bien ce qu’ils faisaient. Ils ont même fermé les rideaux du bus pour se cacher des caméras. »

C’est un échec personnel terrible de n’avoir aucune emprise sur des hommes que vous connaissez depuis si longtemps. Le vivez-vous comme une trahison ?

DOMENECH:« Non. Avec le recul, je les vois surtout comme une bande de sales gosses inconscients. Certains ont réfléchi depuis. Plusieurs ont sans doute du mal à trouver le sommeil. Difficile de mettre des mots sur ce qui s’est passé. »

Tout est parti de votre altercation avec Nicolas Anelka à la mi-temps du match contre le Mexique. En quels termes l’attaquant vous a-t-il insulté ?

DOMENECH: « Je ne peux pas répondre à ces questions, car une procédure est en cours sur ce point entre le joueur et le journal L’Equipe. Je rappellerai simplement que, ce jour-là, j’ai sorti Nicolas à la mi-temps. J’ai fait mon travail de sélectionneur. »

Avez-vous été en contact avec certains depuis la fin du mois de juin ?

DOMENECH: « J’ai discuté avec Patrice Evra lors de notre passage devant la commission de discipline. Il m’a confié avoir vécu l’enfer à son retour. »

Raymond Domenech en conversation avec Patrice Evra.
Raymond Domenech en conversation avec Patrice Evra.© iStock

De votre côté, comment qualifieriez-vous l’expérience sud-africaine ?

DOMENECH:« Une vraie désillusion. Je pensais que nous serions champions. « 

Michel Platini se montre plus brutal. Il parle de  » cons  » à propos des mutins de Knysna. Vous-même aviez dénoncé leur  » imbécilité « . Est-ce un problème d’intelligence ?

DOMENECH: « Tout dépend de la définition du mot intelligence. Pour moi, l’intelligence, c’est d’abord la capacité d’adaptation à une situation. Je pense que nous en avons manqué au Mondial. »

La ministre Roselyne Bachelot parlait de  » caïds immatures  » et de  » jeunes terrorisés « . L’ambiance était-elle aussi délétère que cela, notamment entre Gourcuff et Ribéry ?

DOMENECH:« Si conflit il y a eu, ça devait être tard le soir dans leur chambre ! Il n’y a, en tout cas, rien eu de visible. Les deux joueurs ont même déjeuné une fois ensemble, car ils avaient eu écho des rumeurs de tension. Quant à Roselyne Bachelot … Moi, je ne me suis jamais occupé de vaccins. Lorsque je ne suis pas compétent, je me tais. Ce jour-là, elle prétendait vouloir renforcer la solidarité du groupe, mais elle a commencé par tenir le staff à l’écart de sa rencontre avec les joueurs ! Elle leur a parlé soi-disant comme une mère. »

Elle croit avoir vu des larmes dans les yeux de certains au moment de son allocution

DOMENECH:« Les joueurs auraient pleuré ? De rire, peut-être. »

Avez-vous envisagé de plier bagage avant l’heure ?

DOMENECH: « Je l’ai dit à un moment, assez fort pour que les joueurs l’entendent et se rendent compte de l’énormité de leur comportement. Mais je ne suis pas du genre à abandonner. Jamais. Lors du dernier match, contre l’Afrique du Sud, je croyais encore à la qualification. »

Au coup de sifflet final, vous avez refusé de serrer la main du sélectionneur adverse. Ce geste était-il digne de votre fonction ?

DOMENECH:« J’ai un défaut : je ne sais pas être hypocrite. J’aurais pu être faux cul, et le saluer la main molle, l’oil en coin. Mais non, désolé, je ne sais pas faire. Il nous avait insultés en affirmant que notre qualification était honteuse, traitant Thierry Henry de tricheur. Moi, je défends toujours mes joueurs. Je comprends que mon attitude ait pu choquer. Mais il faut également tenir compte du contexte, de la pression. »

« JE PENSAIS QUE NOUS SERIONS CHAMPIONS DU MONDE »

Raymond Domenech

Comment avez-vous vécu les critiques de certains champions du monde 1998 comme Bixente Lizarazu, Christophe Dugarry ou Frank Leb£uf ?

DOMENECH: « C’est un beau métier, consultant pour la télévision. Je pensais que cela consistait à faire partager son expérience, à raconter ce qui peut se passer dans la gestion d’un groupe. »

Leurs critiques portaient moins sur l’aspect sportif que sur la moraleà

DOMENECH:« Ah oui. Si ces gens-là veulent parler de morale et donner des leçons, c’est bon, il n’y a plus de souci à se faire ! »

On a l’impression que vous n’avez aucun regretà

DOMENECH:« Si c’est l’impression que je donne, alors je suis mauvais en communication. Soyons clairs : je me suis planté, je n’ai pas dû choisir les bons joueurs ni trouver les mots qu’il fallait. Je n’accepte pas la critique des politiques ni celle des anciens joueurs reconvertis dans le journalisme, mais cela ne m’empêche pas de tirer mon propre bilan. »

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