Swann Borsellino

« Il y a, autour des Diables rouges, un sentiment de puissance aussi justifié que dangereux »

Devenue numéro 1 mondiale au mérite, la Belgique est désormais une nation qui compte et dont on est en droit d’attendre quelque chose. Par conséquent, une nation dont on peut parfois être déçu ou pour laquelle on peut aussi s’inquiéter.

Il est 9h30 ce lundi 29 mars et le temps est plus agréable que la plupart des matches de football observés depuis le début de la trêve internationale. Les pieds réchauffés par la flamme de la cuisinière à gaz, la cafetière Bialetti siffle le coup d’envoi de ma semaine avec l’autorité de son compatriote Pierluigi Collina. Peur de la carte jaune oblige, je me replonge pour vous dans mes souvenirs récents de Diables rouges devenus blancs le temps d’un break international à la gueule cassée. De ces quatre mi-temps, je ne retiendrai ni un but ni une action-clé, pas même une impression globale, mais juste une simple phrase sortie de la bouche pleine de sagesse de Jan Vertonghen. « On ne retombe pas sur terre, car on ne s’est jamais vraiment mis à planer », a déclaré le capitaine après le partage face à la République tchèque (1-1). Une analyse qui donne envie de prendre un peu de hauteur. Sur ces quelques jours que nous vivons d’une part. Sur les attentes que suscitent la première nation mondiale de l’autre.

Par définition, une trêve est une cessation momentanée des combats. Dans sa réalité footballistique, elle est un cocktail de toutes les contradictions qui entourent notre sport actuel: celui de la crise sanitaire. Supporters belges, français, portugais et autres regardent péniblement leurs joueurs harassés par un rythme intenable tenter de se qualifier pour une Coupe du monde que beaucoup contestent à juste titre. Une campagne de qualifications qui démarre deux mois avant l’EURO 2020 devenu 2021 et a transformé le cadre de travail des sélectionneurs en un laboratoire inconfortable. Eux, qui ne voient leurs joueurs que peu dans l’année, devraient dès lors mettre en place des choses ambitieuses avant l’été tout en restant compétitifs (pour le sportif) et séduisants (pour l’opinion publique). Une mission rendue impossible par l’état de fraîcheur actuel de la plupart des joueurs ainsi que part les différentes règles politiques qui ont par exemple privé Thorgan Hazard et Thomas Meunier, pour ne citer qu’eux, du déplacement à Prague. Ce méli-mélo explique en grande partie la pauvreté des rencontres observées jusqu’ici et la Belgique n’a pas fait figure d’exception. Il suffit de se replonger dans les prestations de l’Espagne en Géorgie, du Portugal en Azerbaïdjan ou de la France face à l’Ukraine, puis au Kazakhstan pour se rappeler d’une maxime aussi banale que juste: « Avant l’heure, c’est pas l’heure ».

Toutefois, si le contexte donne des éléments de compréhension, la période n’interdit pas les doutes. Les doutes qui ont fuit la Belgique depuis que j’ai la chance d’y travailler, tant les campagnes de qualifications prenaient rapidement des airs de balade en forêt. Mais la prudence, ainsi que Jan Vertonghen titulaire au milieu du terrain ce jour de septembre 2010, me rappelle ma première visite au stade du Roi Baudouin. C’était lors d’un Belgique-Allemagne, en vue de l’EURO 2012. À cette époque, Logan Bailly était dans les buts et Daniel Van Buyten faisait la paire avec Vincent Kompany en charnière centrale. Ce soir-là, Miroslav Klose était venu à bout des Diables et l’EURO, même pas commencé, était déjà devenu un souvenir. Ce matin, je repensais à la phrase de Vertonghen, car si les joueurs – et eux seuls le savent – ne se sont jamais mis à planer, il y a, autour des Diables rouges, un sentiment de puissance aussi justifié que dangereux. Justifié par les dernières campagnes de qualifs. Justifié car là où la Coupe du monde 2014 ressemblait à un acte de naissance, l’EURO 2016 et le Mondial 2018 furent des « et si? », où Hal Robson-Kanu et Samuel Umtiti, assassins disparus, endossèrent le rôle pratique de briseurs de rêves. Devenue numéro 1 mondiale au mérite, la Belgique est désormais une nation qui compte et dont on est en droit d’attendre quelque chose. Par conséquent, une nation dont on peut parfois être déçu ou pour laquelle on peut aussi s’inquiéter. Non, on ne gagne pas une compétition internationale sur une dynamique ou un statut. Pour autant, l’heure n’est pas à la critique, car elle est facile – et aussi parce que l’on a passé un paragraphe à développer sur le contexte inhérent à la période – mais au réalisme. Celui qui veut que les Diables disposent d’un axe De BruyneLukaku qui leur offre ce qu’ont les plus grands: la possibilité de sortir vainqueurs ou du moins pas vaincus de situations dont les petites équipes ne peuvent se sauver. Pour autant, et nous y reviendrons dans une chronique future, si les Diables ne se sont jamais mis à planer, il y aura besoin, pour un vrai décollage estival, de revoir quelques éléments du plan de vol, notamment à l’arrière de l’appareil.

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