Du drame Eriksen au dernier carré: retour sur la folie danoise à l’EURO

L’EURO des Danois a commencé sur un drame et a failli se terminer sur une finale à Wembley. Le fil rouge de l’histoire ? Son grand absent, Christian Eriksen.

Le samedi 12 juin promet d’être une belle soirée à l’Idraetspark de Copenhague. Les règles Covid viennent d’être assouplies au Danemark, on peut à nouveau se rassembler dans les bars et restos. Près de 16.000 personnes sont au stade pour l’entrée en lice des Danois dans cet EURO, face à la Finlande. Le Danemark a des arguments. « On peut aller en demi-finale », prédit Jess Thorup dans notre magazine. L’ancien coach de Gand et Genk est pourtant réputé pour sa façon de peser chaque mot.

À 18h42, le stade s’arrête de respirer. Joakim Maehle, l’ex-joueur de Genk, qui joue back gauche en sélection alors qu’il évoluait à droite chez nous, passe le ballon à Christian Eriksen, qui s’effondre. Il perd directement connaissance. Pendant douze longues minutes, il va naviguer entre la vie et la mort. Maehle est le premier à essayer de sortir sa langue, sans succès. Le capitaine Simon Kjaer y parvient. Le staff médical arrive alors près d’Eriksen. Kjaer demande aux joueurs danois de l’encercler. Seuls Maehle et Kjaer ont la force de le regarder, les autres détournent le regard, certains pleurent. « Quand je suis arrivé près d’Eriksen, il était couché sur le côté et il respirait encore », explique Martin Boesen, le toubib de la sélection. « Mais son état s’est très vite détérioré. Son coeur a arrêté de battre et on a dû lui faire un massage pour le relancer. Heureusement, il est revenu à la vie. »

Les internationaux danois ont exigé d’avoir des infos sur l’état de santé d’Eriksen avant d’accepter, ou pas, de continuer le match contre la Finlande.

Pendant ces interminables douze minutes, on aurait entendu une mouche voler dans le stade. Sur le banc danois, le téléphone du team manager Christian Norkjaer sonne. D’un coup, il file vers une tribune et aide une dame à passer sur la pelouse. Sabrina Kvist Jensen, l’épouse de Christian Eriksen, ne peut contenir ses larmes. Un délégué de l’UEFA essaie de la retenir. Kjaer quitte le cercle des joueurs et vient vers elle. Il l’enlace. Le gardien Kasper Schmeichel vient aussi vers Sabrina.

Douze minutes éternelles

Douze minutes après s’être effondré, Eriksen est mis sur une civière et transporté vers une ambulance qui l’emmène au Rigshospitalet, l’hosto situé à moins d’un kilomètre du stade, de l’autre côté du parc. Il a repris connaissance quand, au quatorzième des seize étages de l’établissement, il est soumis à une batterie d’examens. Il y a, à ses côtés, sa femme et le président de la Fédération danoise, Peter Møller. Il est le premier à échanger quelques mots avec Eriksen. Les internationaux danois exigent d’avoir des infos sur l’état de santé de leur coéquipier avant d’accepter, ou pas, de continuer le match. Møller engage une conversation Facetime entre le médian de l’Inter et ses coéquipiers qui sont toujours dans le vestiaire. Eriksen les rassure.

Kasper Hjulmand, le coach danois, fait monter Mathias Jensen à la place d’Eriksen. Pour les matches suivants, il choisira Mikkel Damsgaard, le jeune attaquant de la Sampdoria qu’on surnomme déjà le nouveau Michael Laudrup. « Il voit le jeu deux secondes plus vite que les autres », dit le sélectionneur en parlant de lui. Damsgaard va être une révélation du tournoi, mais son club ne veut pas le laisser partir pour moins de quarante millions. Eriksen, lui, devient le porte-bonheur de l’équipe, à distance. Et les Danois vont arriver en demi-finales, confirmant la prédiction de Thorup.

Christian Eriksen était parti. Il a fait un arrêt cardiaque, puis il est revenu à la vie. Ne me demandez pas comment on a fait.

Le médecin de l’équipe danoise

Quand le match contre la Finlande reprend, Kjaer n’est pas capable d’aller au bout. Impossible après ce qu’il vient de se passer. Pendant cette suite de match, les supporters finlandais scandent « Chris », puis les Danois enchaînent en choeur « Eriksen ». Le speaker du stade signale que le joueur a repris connaissance à l’hôpital.

« Un miracle s’est produit »

Le lendemain matin, des fleurs et des messages parviennent à l’hôpital. Quatre équipes de télé sont aussi sur place. Christian Eriksen a eu une nuit calme. Ses parents, Thomas et Dorthe, sont à ses côtés. Il parle au téléphone avec des coéquipiers de la sélection et de l’Inter, aussi avec son agent Martin Schoots, qui est autant un ami qu’un manager. Schoots expliquera, peu après : « On a discuté ce matin, il était de bonne humeur, on a même un peu blagué. On veut tous savoir ce qui a provoqué son malaise, Christian va encore subir des examens. »

L’homme fait le lien entre Eriksen et le reste du monde. Entre-temps, la seule déclaration officielle vient du médecin de l’équipe nationale : « Christian Eriksen était parti. Il a fait un arrêt cardiaque, puis il est revenu à la vie. Ne me demandez pas comment on a fait. Mais aujourd’hui, il parle de façon tout à fait cohérente. »

Lors du premier entraînement des Danois après le drame, quatre psychologues assistent les joueurs qui, vu les circonstances, ont pu voir leur famille. À sa conférence de presse à l’hôtel de Helsingor, à une petite cinquantaine de kilomètres au nord de Copenhague, le sélectionneur doit plusieurs fois s’interrompre, submergé par l’émotion. « Christian voulait savoir comment on allait. Il m’a dit qu’il avait l’impression qu’on allait plus mal que lui. C’est typique du personnage, il pense aux autres avant de penser à lui. »

Le lundi midi, Eriksen demande s’il peut manger une pizza. Per Thostesen, le cuistot de l’équipe nationale qui tient un établissement à Copenhague, lui prépare une pizza fraîche qu’il fait livrer au quatorzième étage de l’hôpital, où les examens continuent. Et une rumeur fait état d’une sortie dès le lendemain. L’après-midi, le médecin de l’équipe nationale passe le voir. Ainsi que quelques coéquipiers dont Kjaer et Schmeichel, qui raconte : « Le voir en vie, ça m’a fait du bien. On a discuté de tout et de rien. Un miracle s’est produit. »

Du drame Eriksen au dernier carré: retour sur la folie danoise à l'EURO

« Ici, tout le monde connaît la famille »

Christian Eriksen a grandi dans une petite ville, Middelfart, sur la côte est, à 200 bornes de la capitale. Une petite ville de 15.900 habitants. Kim Frank Pedersen, toujours actif dans une école de 500 élèves, a donné cours à Eriksen, il a aussi été son premier entraîneur. Et il est ambassadeur du Cruijff Court, situé entre l’école en question et le premier club d’Eriksen. À l’entrée de l’établissement, quatorze règles sont affichées. On nous dit que Christian Eriksen correspondait surtout à la septième : « Personality : be yourself« . La Cruijff Foundation récompense chaque année le plus grand talent du football néerlandais. Le prix consiste en l’aménagement d’un terrain synthétique dont le lauréat choisit l’emplacement. Quand Eriksen l’a reçu en 2011, il a choisi cet endroit symbolique. Son ancien instituteur se souvient : « Il avait constamment un ballon avec lui. Ses chaussures étaient souvent couvertes de boue parce qu’il jouait au foot partout. »

À 500 mètres de là, on se retrouve dans les installations de Middelfart Boldklub. Le responsable du club, Claus Hansen, ne souhaite pas s’exprimer. Il est trop touché. Une dame nous montre une vieille photo sur laquelle on voit Eriksen et ses condisciples dans une tribune lors d’un match de la sélection danoise. Partout, des photos de lui. Un maillot de l’Ajax et un autre de Tottenham, qui l’a acheté à Amsterdam en 2013.

Près de 200 personnes regardaient Danemark-Finlande sur un écran géant qui avait été installé sur la pelouse du club. Après l’incident, tout le monde est reparti. Silencieux. Le bourgmestre, Johannes Lundsfryd, sa femme et quelques amis regardaient le match ailleurs en ville. À quelques kilomètres du quartier où habitent les parents de Christian Eriksen et sa soeur Louise, également internationale de foot. Charlotte Rasmussen exploite la taverne où le bourgmestre regardait le match. « Ici, tout le monde connaît la famille », explique-t-elle. « C’était comble et ça devait être une grande fête. Christian fait partie de notre grande famille, alors c’est comme s’il était arrivé quelque chose d’affreux à l’un des nôtres. »

Un maillot floqué pour du beurre

Le mardi après-midi, Christian Eriksen quitte l’hôpital et rentre chez lui à Odense, la ville de l’écrivain Hans Christian Andersen, à 170 bornes de Copenhague. Mais il fait un crochet par Helsingor, où la sélection s’entraîne. Il prend un repas avec ses coéquipiers. Il a fait ses classes à Odense BK, comme Thorup. Sa maison porte le numéro 24. Hasard ou pas, son numéro à l’Inter.

À 18 heures, il rentre à la maison. Sabrina est au volant du monospace, il occupe le siège passager, leurs deux enfants sont à l’arrière. Alors qu’il pénètre dans l’habitation, son épouse sort les bagages et dit qu’il va bien, qu’ils ont juste besoin de quelques jours de repos.

Personne ne sait si Eriksen rejouera au foot.

C’est seulement à ce moment-là que la Fédération danoise communique. Et Eriksen donne des nouvelles via les réseaux sociaux : « L’opération s’est bien passée. Je vais bien. Ça m’a fait du bien de revoir mes coéquipiers. »

Dès que l’occasion se présente, Christian Eriksen quitte Milan pour revenir à Odense. Parfois même pour une seule journée, sur un jet privé qui atterrit sur la petite piste de cette petite ville. Rasmus Nejstgaard, le responsable de la communication de son ancien club, nous montre le complexe d’entraînement où il a joué jusqu’à l’âge de 17 ans. « Tout était prêt pour qu’il fasse ses débuts avec notre équipe A et c’est à ce moment-là que l’Ajax est venu le chercher. Son maillot était déjà floqué, mais c’était une bonne offre et on ne pouvait pas la refuser. »

À Amsterdam, il a directement suivi des cours de néerlandais. L’Ajax a déboursé 1,3 million, puis l’a vendu à Tottenham pour quatorze millions, et en janvier 2020, l’Inter d’Antonio Conte a sorti 27 millions. Il a été présenté en grandes pompes à la Scala de Milan, la suite a été un peu plus compliquée. Un an plus tard, on s’attendait à ce qu’il quitte l’Inter au mercato d’hiver, mais il est alors devenu un pion incontournable et même un acteur majeur du titre national.

Aujourd’hui, personne ne sait si Christian Eriksen rejouera au foot. Il ne pourra reprendre du service en Italie que si on lui enlève le défibrillateur qui lui a été implanté. Si cet appareil reste dans son corps, il ne pourra pas rejouer en Italie, en vertu d’un décret qui stipule qu’il est interdit de pratiquer un sport de contact si on porte un défibrillateur. On se souvient qu’en 2003, quand des problèmes cardiaques avaient été diagnostiqués chez Khalilou Fadiga, lors de ses tests médicaux à l’Inter, le transfert avait été annulé.

Fadiga a poursuivi sa carrière en Angleterre puis est revenu en Belgique. Et Daley Blind continue à jouer pour l’Ajax et l’équipe nationale néerlandaise malgré des soucis cardiaques.

Du drame Eriksen au dernier carré: retour sur la folie danoise à l'EURO
Du drame Eriksen au dernier carré: retour sur la folie danoise à l'EURO
© BELGAIMAGE

Joakim Maehle a aussi un pied gauche

La carrière internationale de Joakim Maehle n’a vraiment commencé qu’il y a un an, contre la Belgique, en septembre 2020. Entre-temps, il est devenu une valeur sûre de la sélection danoise. À un poste où on ne s’attendait pas à le voir. Avec Genk, il jouait presque systématiquement à droite. Avec le Danemark, c’est à gauche qu’il s’est installé dès le premier match de l’EURO.

Maehle, 24 ans seulement, a commencé le foot dans un petit village, Ostervra, tout au nord du pays. Un village qui ne compte que 1.300 âmes, avec seulement un magasin de sport. On y vend notamment des maillots de l’Atalanta Bergame, où il évolue depuis janvier dernier. Le patron a déjà vendu une centaine de vareuses. Sur chaque maillot écoulé, dix euros sont versés au premier club de Maehle. Son grand-père, Kjeld Pederson, y a été un joueur mythique. Il a joué dans le but jusqu’à… 63 ans, puis est devenu président.

Dans un premier temps, Aalborg a hésité à offrir un contrat professionnel à Maehle, qui a alors envisagé de partir étudier aux États-Unis. Il a finalement reçu ce contrat et c’est là-bas que Genk l’a repéré. L’Atalanta a déboursé onze millions pour l’acquérir en janvier de cette année. Entre-temps, des clubs anglais, dont Southampton, sont sur lui. Mais les dirigeants italiens ont fait savoir qu’ils ne négocieraient pas à moins de 28 millions.

Par Davide Stoppini

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