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Dans les pores d’Amsterdam

Steve Van Herpe
Steve Van Herpe Steve Van Herpe est rédacteur de Sport/Voetbalmagazine.

L’Ajax, qui accueille le Standard ce jeudi en Europa League, est à la recherche de son identité depuis des années. Et cela n’a pas (encore ?) changé depuis l’arrivée de Peter Bosz aux commandes de l’équipe.

En 1995, Louis van Gaal remportait la Ligue des Champions avec l’Ajax en pratiquant un football typique du club: offensif, en 4-3-3, avec de nombreux joueurs formés à Amsterdam: Patrick Kluivert (qui était entré au jeu et avait inscrit le seul but du match face à l’AC Milan), Edgar Davids, Clarence Seedorf, Frank Rijkaard, Michael Reiziger, Frank et Ronald de Boer. A l’époque, l’Ajax était réputé pour sa formation, sa possession de balle et un football amusant. Chaque année, il devait vendre ses meilleurs joueurs à l’étranger mais pas grave: les jeunes continuaient à sortir du centre de formation.

Au cours des années suivantes, il fut de plus en plus difficile de continuer à suivre cette philosophie. Plusieurs entraîneurs se sont succédé: Morten Olsen, Jan Wouters, Co Adriaanse, Ronald Koeman, Danny Blind, Marco van Basten… Tous ont connu le succès mais aucun n’a pu faire aussi bien que Van Gaal qui, outre la Ligue des Champions, avait remporté la Coupe UEFA et trois titres nationaux en six ans.

Révolution de velours

Frank De Boer (au centre entouré de Jaap Stam et Dennis Bergkamp) a connu le succès à Amsterdam.
Frank De Boer (au centre entouré de Jaap Stam et Dennis Bergkamp) a connu le succès à Amsterdam.© AFP

En 2010, Johan Cruijff, qui s’énervait de plus en plus à voir l’Ajax jouer de la sorte, estimait que c’en était assez. Il se manifesta dans la presse et exposa sa vision au cours de réunions des membres. Son idée était de rassembler les anciennes stars du club et de leur demander de diriger. Les supporters et de nombreux anciens joueurs étaient séduits. Patrick Kluivert déclara : « Il est normal que Cruijff s’inquiète, l’Ajax n’est plus l’Ajax. C’est mon club mais il n’a plus d’identité. Pour comprendre cela, il faut avoir connu sa culture. Ce n’est qu’une question de football, de beau jeu, de domination et de victoire. On ne voit plus rien de tout cela. A notre époque aussi, il nous arrivait de perdre. Mais jamais en jouant mal. »

Les critiques incessantes du clan Cruijff ont engendré ce que l’on a appelé la « Révolution de velours. » La direction de l’époque démissionna et, en décembre 2010, l’entraîneur, Martin Jol, jeta l’éponge également. Frank de Boer, un adepte de Cruijff, était nommé coach, et de plus en plus d’anciennes stars faisaient leur apparition dans l’organigramme du club. Dennis Bergkamp et Wim Jonk qui, avec Cruijff, avaient mené la révolution de velours, devenaient respectivement entraîneur adjoint et responsable de la formation. Marc Overmars se voyait attribuer le poste de directeur de la section football, et un peu plus tard, Edwin van der Sar était nommé directeur général. Petit à petit, le rêve de Cruijff prenait forme.

Frank de Boer entamait sa mission de la meilleure manière qui soit en s’imposant 0-2 à l’AC Milan. L’équipe jouait bien et, pendant la trêve hivernale, De Boer signait un contrat de trois ans et demi. Une bonne chose pour l’Ajax qui allait être champion quatre fois d’affilée (2011 à 2015) malgré un climat détestable car, en coulisses, le rêve se transformait en cauchemar. Le club était miné par les intrigues. La critique quant au jeu produit ne disparaissait pas non plus. C’est ainsi que De Boer avait réintroduit l’utilisation d’un numéro 10 (Danny Klaassen), ce qui allait à l’encontre de la vision de Cruijff. De Boer estimait que c’était nécessaire afin d’alimenter l’attaquant de pointe, Arkadiusz Milik. Au fil des ans, l’entraîneur se mettait aussi à assurer de plus en plus sa défense, au détriment de la qualité du jeu. Mais il continuait à gagner, à l’exception des deux dernières années. La saison dernière, après avoir loupé le titre lors de la dernière journée, il acceptait la proposition de l’Inter.

Entêtement légendaire

Désormais, c'est lui le Bosz...
Désormais, c’est lui le Bosz…© VI IMAGES /

Entre-temps, la direction avait été charmée par Peter Bosz qui, de 2013 à 2016, avait entraîné Vitesse. L’ex-joueur de Feyenoord a sa ligne de conduite et il n’en dévie pas d’un millimètre. Son style de jeu est basé sur celui de Guardiola et on sait qui l’Espagnol a copié à Barcelone… L’entêtement de Bosz est légendaire. C’est ainsi qu’une année, à la trêve, Vitesse n’avait gagné que cinq fois, pour autant de défaites et sept nuls. Tout le monde commençait à se demander si son équipe était bonne mais Bosz ne se posait pas la question. A la fin de chaque match, il sortait la même rengaine: son équipe avait eu la possession de balle, elle s’était créé beaucoup d’occasions et n’en avait pratiquement pas concédé. Si elle continuait de la même manière, elle ne pouvait qu’en récolter les fruits. Mais elle avait aussi perdu les deux premiers matches après la trêve. Dans les médias, la critique ne cessait de gonfler et la cible n’était désormais plus les joueurs mais Bosz. Les supporters s’en prenaient également à lui. Lors du match suivant, face à l’Ajax justement, ils déployaient une banderole: 70 % de possession de balle, 0 % de résultat.

La pression était énorme. Tout le monde pensait que Bosz allait changer quelque chose à la composition de son équipe ou à sa tactique afin de calmer les gens qui trouvaient son jeu trop offensif et trop naïf. Mais Bosz ne broncha pas.

Plus tard, il allait déclarer: « Je savais que nous jouions bien. Si nous avions changé quelque chose, nous aurions encore eu moins de chance de gagner. » Ce jour-là, Vitesse battait l’Ajax (1-0), marquant le début d’une série de six victoires consécutives. Seul le PSV, champion, allait faire un meilleur deuxième tour. « Nous n’avons rien changé de fondamental, seuls les résultats ont tourné en notre faveur », déclarait Bosz.

Grand écart

Hakim Ziyech a coûté 11 millions à l'Ajax.
Hakim Ziyech a coûté 11 millions à l’Ajax.© VI IMAGES /

Peter Bosz semblait taillé sur mesure pour l’Ajax. Il imposait un football dominateur et offensif sans jamais aller à l’encontre de ses principes. Allait-il ramener à l’ArenA le jeu dont le regretté Johan Cruijff rêvait ?

Le natif d’Appeldoorn s’est toutefois vite rendu compte de la difficulté d’entraîner un grand club. Fin juillet, il déclarait être heureux que Milik reste à l’Ajax mais deux semaines plus tard, il apprenait que le Polonais partait à Naples. Un bon coup sur le plan financier mais un coup dur sur le plan sportif. L’arrivée du jeune Bertrand Traoré, loué par Chelsea, n’était qu’une maigre consolation.

Lors de la campagne de préparation, l’Ajax a très mal joué. Les résultats étaient mauvais et le jeu aussi. De plus, l’équipe a entamé le championnat par un 4 sur 9. L’élimination de la Ligue des Champions par le FK Rostov a été la sonnette d’alarme. Les caisses étant bien remplies, on en sortit immédiatement onze millions d’euros pour transférer Hakim Ziyech, le médian offensif de Twente. Depuis l’arrivée du Hollandais d’origine marocaine, l’Ajax obtient de meilleurs résultats.

On ne peut cependant pas encore dire que son jeu soit meilleur et la question se pose: les joueurs ont-ils suffisamment de qualités pour produire le jeu exigé par Bosz ? Le coach, en tout cas, ne change pas de ligne de conduite: « Rinus Michels et Johan Cruijff ont fait de l’Ajax un grand club en amenant des idées différentes. Nous devons continuer de la même façon. Il faut oser! » Il ne peut cependant pas nier que l’écart entre l’idéalisme de Cruijff et le réalisme du football d’aujourd’hui est énorme. Entre rêve et réalité, il y a un gouffre.

Par Steve Van Herpe

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