Coupe du monde 2022: quand le Qatar souffle le chaud et le froid (1/2)

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A la veille de la Coupe du Monde, le richissime émirat gazier fait le gros dos face aux critiques virulentes, et tente de sauver son image. Road trip au Qatar en deux parties.

Par François JANNE d’OTHEE (envoyé spécial à Doha)

Dans le splendide musée national de Doha, en forme de rose des vents, le visiteur passe en revue mille ans d’histoire de ce qui deviendra le Qatar indépendant en 1971. On découvre comment, avant de s’asseoir sur de prodigieux gisements en gaz, l’émirat a bâti sa richesse sur les perles que des esclaves pêchaient au fond de la mer. Mais c’est une autre perle qu’on découvre au détour d’une vitrine : l’enveloppe qui a désigné le Qatar pour l’organisation de la Coupe du monde 2022.

Ouverte en 2010 par Sepp Blatter, à l’époque patron de la Fifa, l’enveloppe a aussitôt laissé échapper des suspicions de corruption, et qui rejaillissent aujourd’hui. Patron de l’organisation de la Coupe, Nasser al-Thaner nous rétorquera à la fin de notre séjour qu’ « il n’y a aucune preuve formelle de corruption. Tout cela a été réfuté. Les poursuites aux Etats-Unis sont terminées, la Fifa a bouclé son enquête, et ce qu’on a découvert n’a rien à voir avec les attributions en 2018 et 2022. » Circulez, y a rien à voir.

Mais des sujets encore plus brûlants nous assaillent depuis que nous sommes arrivés dans cet Etat autoritaire. « Compétition organisée sur un ossuaire », « désastre écologique et social », « droits humains bafoués », ces mots très durs résonnent alors que nous débarquons dans le tout nouvel aéroport de Doha. Une visite de terrain de cinq jours permettra de réaliser que la vérité est plus complexe que les louanges du joueur David Beckham à l’égard de l’émirat, ou les anathèmes en sens inverse lancés par Eric Cantona.

Une appli capricieuse

Le premier soir, on nous invite à assister à un test grandeur nature au gigantesque stade Lusail de Doha. D’une capacité de 80 000 places, cet édifice tout en rondeur et en dorure accueillera dix matches pendant la Coupe du monde, dont une demi-finale et la finale. Ce soir-là, il accueillait la finale de la Lusail Cup entre le champion de la Saudi Pro League, Al Hilal, et le club historique égyptien, Zamalek, et qui ont drainé des milliers de supporters venus de leurs pays respectifs, ou travaillant sur des chantiers locaux.

Pour s’y rendre, embarquons dans le tout nouveau métro automatique, doté d’une classe business. Pour se rendre au match, pas besoin de ticket mais bien d’une application, appelée Hayya, et qui permettra de suivre chacun à la trace. Elle contient les documents d’identification du détenteur, comme la photo du passeport, à laquelle sont couplés les billets d’entrée. On passera sur les difficultés à charger la photo du passeport, soit trop lourde, soit pas authentifiée… Et quand on y parvient, Hayya se fait la malle au moment où on doit l’exhiber.

(Photo by Simon Holmes/NurPhoto via Getty Images)

Chaud, froid, chaud, froid… Après la fraîcheur du métro et la chaleur étouffante à l’extérieur, les chemises trempées de sueur sont brusquement refroidies par la climatisation du stade. L’air est tellement frais que des stewards en bord de terrain ont revêtu une doudoune. Le comble ! Mais sans la clim’, il n’y aurait eu ni rencontre, ni spectateurs. Ou alors totalement amorphes. Sept des huit stades du Mondial en sont équipés. En ce mois de novembre, elle ne devrait plus être nécessaire. 

« Et vos piscines couvertes ? »

 « Pourquoi organiser une compétition dans le désert ? » Cette remarque, les Qatariens l’encaissent depuis des années. « Pourquoi nous priver de notre sport favori ? rétorquent-ils. Doit-on subir le fait qu’on vit dans un pays chaud ? Dites-vous aux Canadiens ne plus se chauffer l’hiver ? Et vos piscines couvertes ? Vos saunas ? » Avec le temps, ils ont eu le temps d’affuter leurs répliques… Nous attendrons les explications d’un certain « Dr Cool » qui nous dira tout sur la climatisation made in Qatar, « qui ne consomme pas plus qu’un hall d’aéroport ».

Revenons au stade. Pour mettre le feu aux poudres (et aussi remplir les gradins), ce fut d’abord un concert de feu donné par l’icône arabe Amr Diab, acclamé par une foule en délire, tandis que scintillaient des milliers de bracelets aux couleurs changeantes. Magique. Ensuite le match, de bonne facture et très correct. Pendant la mi-temps, on peut boire (des softs) et se sustenter (tartines triangulaires, chips) à l’une des nombreuses buvettes. En face d’une de l’une d’elles, une porte donne sur une mosquée.

Policiers anglais

Mais là n’était pas l’enjeu premier. Pour la Fifa comme pour le Comité suprême pour la livraison et l’héritage, nom donné à l’instance qatarie qui pilote la Coupe du monde, le défi était d’abord organisationnel : comment gérer une telle affluence, dont l’écran géant a annoncé triomphalement le chiffre de 77.575 spectateurs ? Qu’on le sache : l’engouement sera aussi grand durant le Mondial, si on en croit la vente des tickets.

La masse des supporters a été gérée avec fluidité, grâce aux billets nominatifs et aux places numérotées. L’appli Hayya rend le marché noir impossible. A l’issue du match, la foule en mouvement vers le métro a été divisée en deux, avec au milieu un espace vide pour les secours, et cheminait en suivant un parcours en S, au rythme de groupes de musique. A la station Lusail, des policiers britanniques sont venus en appui pour régler les flux, à grands cris de « Straight on, please ». Les rames autonomes se succédaient en cadence, chaque minute. Des stewards étaient postés devant chaque porte du convoi pour éviter qu’il ne soit bondé. Des médias belges ont parlé de « chaos » : nous n’avons rien vu de tel.

Pour mettre le feu aux poudres (et aussi remplir les gradins), ce fut d’abord un concert de feu donné l’icône arabe Amr Diab, acclamé par une foule en délire. (Photo by Simon Holmes/NurPhoto via Getty Images)

L’absence d’alcool a sans doute contribué au calme général. Pendant la Coupe, la bière pourra être servie au sein de la fan zone et du périmètre qui entoure chaque stade, dans des périodes définies, mais pas à l’intérieur des stades. Elle est disponible en tout temps dans certains grands hôtels (jusqu’à 15 euros le verre) et restaurants, et dans un unique magasin.

Des chrétiens parqués en périphérie

Le lendemain, nous roulons jusqu’en périphérie avant d’apercevoir les panneaux  « Religious Complex » : c’est le nom très neutre qui cache le domaine couleur sable qui réunit les huit confessions chrétiennes reconnues par le Qatar. Bienvenue à la paroisse Notre-Dame du Rosaire, où les catholiques sont majoritaires. Le parking de 945 places est plein tous les vendredis, premier jour du week-end. Les immigrés sud-asiatiques forment le gros des fidèles, comme de la population du Qatar d’ailleurs.

Chaque semaine, une quarantaine de messes sont célébrées, en anglais, tagalog, urdu, tamil, etc. « Comme ils ne disposent pas de temple, des hindous viennent ici aussi, simplement pour prier », ajoute le père philippin Rally Gonzaga. Lui-même est aux premières loges pour entendre les doléances de ses compatriotes éloignés de leurs familles, parfois sans argent et sans contrat : « Je les dirige alors vers l’ambassade, car je n’ai pas de contact avec les autorités locales.»

Aucune croix n’est visible de l’extérieur. « La paroisse a quémandé une présence au centre-ville alors que des milliers de supporters vont déferler. Mais on a essuyé un refus, sous prétexte qu’ici on est en terre d’islam », chuchote un prêtre. « Les Qataris essaient de montrer qu’ils sont ouverts, mais je ressens beaucoup de résistance à l’égard de cette Coupe du monde, dont ils craignent qu’elle ne porte atteinte aux valeurs religieuses. »

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