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Comment Witsel va-t-il s’intégrer à Dortmund ?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

En Allemagne, sur des terres qui font les yeux doux à ceux qui dominent l’espace et le conquièrent à toute allure, Axel Witsel débarque sur un territoire périlleux. Sa tête suffira-t-elle à combler les lacunes de ses jambes ?

Tous les politiciens vous le diront. Au décompte final d’un scrutin, chaque voix peut peser très lourd. Alors, quand elles sont 81.360, elles demandent forcément une attention particulière. Descendues des alentours du Signal Iduna Park, pour pousser les Schwarzgelben vers le but adverse, les voix de Dortmund ont forcément du poids. Reconnus à travers tout le Vieux Continent pour leur force et leur charisme, les électeurs des tribunes jaunes sont incontournables à l’heure d’envisager le football pratiqué par leurs onze élus.

Au moment de raconter au quotidien espagnol El País son arrivée dans la Ruhr, Jürgen Klopp se remémore ses pensées :  » Si 80.000 personnes viennent toutes les deux semaines au stade et que, sur le terrain, on propose un football ennuyeux, quelqu’un – l’équipe ou le public – devra changer de stade.  » Au début des années 2010, l’actuel coach des Reds de Liverpool a réveillé le géant jaune et noir avec un football fait d’énergie, de vitesse et de rythme incandescent. À la clé, deux titres conquis au détriment du Bayern (les seuls qui ont échappé au Rekordmeister depuis 2009) et une finale de Ligue des Champions, également perdue face à l’ogre bavarois.

Quand tout le monde court pour marquer, il est toujours intéressant d’avoir un milieu de terrain qui pense à jeter un coup d’oeil dans le rétroviseur. Comme Witsel.

Débarqués dans la foulée de Thomas Tuchel, auteur de deux saisons réussies malgré une seule Coupe nationale au palmarès, ni Peter Bosz, ni Peter Stöger n’ont pu donner à Dortmund ce souffle puissant, qui a toujours caractérisé son football qui gagne. La chance est désormais donnée à Lucien Favre, parti à Nice en 2016 après avoir conquis les coeurs allemands à la tête du Borussia Mönchengladbach. Là, le Suisse avait laissé le souvenir d’un bloc difficile à contourner et capable de traverser le terrain en quelques secondes pour faire trembler les filets adverses, notamment grâce aux courses folles du jeune Marco Reus. Les deux hommes se retrouvent désormais à Dortmund, pour un mariage de styles qui s’annonce déjà réussi.

Sentinelle

Le duo a été rejoint naguère par Axel Witsel. Pour le Diable Rouge, les transitions dans un football de haut niveau sont presque devenues un mystère. Avec l’équipe nationale, Chaloupe passait l’essentiel de ses rencontres dans un rôle de videur de boîte de nuit, condamné à rester devant les portes de la défense en choisissant soigneusement ceux qui ont le droit de les pousser. Avec ou sans le ballon dans l’équipe, Witsel est aujourd’hui un footballeur de position plutôt que de mouvement. Un atout qui peut, paradoxalement, s’avérer précieux dans une équipe qui aime le football à grande vitesse. Parce que, quand tout le monde court pour marquer, il est toujours intéressant d’avoir un milieu de terrain qui pense à jeter un coup d’oeil dans le rétroviseur.

Chez les Borussen, le poste de sentinelle repose, depuis les années Tuchel, entre les pieds du jeune Julian Weigl. Surnommé  » l’ordinateur « , le prodige allemand est presque un sosie footballistique de Sergio Busquets. Précieux pour programmer la possession de balle des siens, mais trop frêle physiquement quand l’espace à couvrir défensivement s’élargit. Le genre de profil qui ne peut exister que dans un football installé avec le ballon et dans le camp adverse. Pas assez extrêmes dans cette approche, Bosz et Stöger ont vu Weigl se noyer avec le reste du bateau du BVB, uniquement sauvé par les buts de Michy Batshuayi et la résurrection de fin de saison de Marco Reus pour assurer une place en Ligue des Champions.

À l’heure de faire le bilan du dernier exercice, Hans-Joachim Watzke cherche plutôt des excuses que des fleurs. Le CEO du club évoque notamment  » cinq joueurs de classe mondiale perdus en deux ans « , justifiant ainsi la perte de standing d’un club qui a récemment dû apprendre à vivre sans son buteur Pierre-Emerick Aubameyang après avoir subi les départs d’ Ousmane Dembélé, Ilkay Gundögan, Mats Hummels et Henrik Mkhitaryan quelques mois plus tôt. Aujourd’hui, le BVB semble avoir quitté son costume de premier dauphin du surpuissant Bayern, dépassé dans la hiérarchie par des clubs comme Schalke 04, Hoffenheim, voire Leipzig.

Parler allemand, c'est pas chinois...
Parler allemand, c’est pas chinois…© BELGAIMAGE

 » Ces dernières années, nous avons accordé trop d’importance aux qualités footballistiques de l’équipe, et pas assez à d’autres choses « , poursuit Watzke.  » Nous avons toujours essayé de signer des joueurs très forts techniquement, mais peut-être pas ceux avec la meilleure mentalité ou avec des signes de leadership.  »

Leadership

Présenté comme l’un des meneurs tactiques de l’équipe nationale belge, souvent amené à replacer ses coéquipiers sur le terrain lors des transitions pendant le dernier Mondial, Witsel débarque avec des atouts qui pourraient masquer son manque de dynamisme sur les premiers mètres, pourtant une qualité inscrite dans l’ADN du Borussia. En confiance, l’ancien joueur du Standard arbore aussi un C.V. où chaque nouvelle expérience en club est assortie d’un temps de jeu conséquent.  » Arriver à m’adapter à chaque nouvel entraîneur, c’est l’une de mes qualités « , racontait le numéro 6 des Diables dans nos colonnes après la victoire belge contre le Japon sur le sol russe.

Le voilà désormais immergé dans le football de Lucien Favre où cette vitesse des échanges, qu’il tente si souvent de calmer une fois entré en possession du ballon, deviendra impossible à négocier. Le coach suisse le racontait d’ailleurs au journal français Le Point, en quête des clés de son succès lors de ses débuts à Nice :  » Le mouvement permanent est une vision que j’affectionne, avec la vitesse comme élément moteur. Aujourd’hui, tout va plus vite dans le monde : Internet, les trains, les voitures… Il n’y a pas de raison que le football échappe à cette tendance.  »

Capable de s’adapter à ses effectifs, Favre a articulé ses idées autour de la possession niçoise pour sublimer les qualités de son milieu de terrain Jean-Mickaël Seri, après avoir utilisé le jeu long et précis de son compatriote Granit Xhaka pour accélérer dès que possible les attaques de son Borussia Mönchengladbach. Au Signal Iduna Park, le profil de Witsel pourrait s’effacer au profit des percussions de Thomas Delaney ou des coups de génie épisodiques de Mario Götze. Favre saura s’adapter à Witsel, et Witsel saura s’adapter à Favre.

Espace

Le football du BVB, pour tutoyer à nouveau le podium de la Bundesliga et s’offrir le droit de regarder le Bayern dans les yeux sans risquer un torticolis, devra s’étoffer. Lucien Favre l’a bien compris, évoquant les divers aspects qu’il souhaite installer dans la Ruhr :  » Mon souhait est évidemment que nous puissions jouer au ballon avec la contribution de toute l’équipe, en relançant à partir du gardien et en trouvant des chemins intelligents vers le but adverse.  »

Une volonté d’installer la patience parmi les vertus du jeu des Borussen, sans pour autant oublier les fondamentaux locaux :  » Nous voulons être haut sur le terrain, et nous devons aussi être capables de contrer. Une équipe qui ne sait pas contrer n’est pas une grande équipe.  » Partout où il est passé, le Suisse a vanté les mérites de la contre-attaque, non seulement sur le plan tactique mais aussi à partir de l’aspect esthétique. Et au pied du mur jaune, peut-être plus qu’ailleurs, on peut s’embraser pour une reconversion offensive menée à grandes enjambées.

Malgré son exode chinois, Axel Witsel n’a jamais semblé à court du rythme nécessaire pour digérer les allées et venues répétées sur les prés russes lors de l’été. Le problème réside plutôt dans son écosystème favori, plus adapté au jeu de position qu’à un football de mouvement. Pendant la Coupe du monde, le numéro 6 belge a surtout brillé contre le Brésil, dans les moments où la Seleção poussait pour revenir au score, obligeant les Diables à se retrancher dans leurs trente derniers mètres. Là, Axel a intercepté, bouché les angles devant sa ligne arrière et dégagé quelques ballons chauds. Mais sa surface d’action était limitée par les espaces réduits au sein du bloc belge.

En Bundesliga, championnat par excellence des équipes de contre-attaques éclairs, la surface à couvrir sera bien plus grande. Et dans ce registre de grands espaces, Witsel est loin d’arriver à la cheville du spécialiste mondial du genre qu’est Casemiro. En demi-finale du Mondial, quand la France reculait pour s’offrir de l’espace dans le bloc belge, Axel a souffert quand Antoine Griezmann a mis le pied sur le rythme de la rencontre. Pas un seul tacle réussi, ni une interception, et un seul centre bloqué au bout de nonante minutes de frustration. Des statistiques inquiétantes au bout d’un scénario que Dortmund a souvent connu la saison dernière. Pour éviter une telle déconvenue, Axel Witsel aura besoin de Lucien Favre. Peut-être plus que l’inverse.

Un nouveau record

Dans quelques semaines, Hans-Joachim Watzke, le patron du Borussia Dortmund, va annoncer un nouveau record : le budget du club va passer à 500 millions d’euros, soit sept fois plus qu’à son entrée en fonction en 2005. Le club de la Ruhr n’a jamais été aussi prospère. Sur le plan sportif, il oeuvre aux améliorations nécessaires : il doit renforcer son noyau. C’est dans ce contexte qu’il faut placer le transfert d’ Axel Witsel.

Le Borussia Dortmund a traversé des temps durs, il a été au bord du gouffre mais sa continuité sportive lui a permis de redresser la barre. Ottmar Hitzfeld a entraîné l’équipe sept ans et Jürgen Klopp est resté six ans en poste. Toutefois, Lucien Favre est le quatrième entraîneur en l’espace de quinze mois et le Suisse de 60 ans doit encore prouver qu’il convient à ce projet à long terme.

Lucien Favre prône un football compact. Son équipe ne peut pas laisser la moindre brèche à l’adversaire. Il ne veut pas que ses joueurs laissent de terrain entre la défense et l’attaque. Favre ne cesse d’insister sur la nécessité d’un équilibre entre attaque et défense. Il veut un football tout en puissance, qui déstabilise l’adversaire, mais il souhaite également apprendre différents styles de jeu à ses footballeurs. Il estime qu’ils doivent être aussi capables de jouer en contre.

Le problème, c’est que ça ne convient pas vraiment au Borussia Dortmund. Les 80.000 personnes qui se pressent à chaque match à domicile le poussent à l’attaque. Elles veulent voir un football spectaculaire, des actions, des buts. Ce n’était pas le cas en décembre 2017, quand l’Autrichien Peter Stöger a remplacé le Néerlandais Peter Bosz. Le Borussia Dortmund est synonyme d’engagement. Il fait la fierté d’une ville industrielle, il sert de dérivatif à une région en proie à un chômage important.

Aucune autre formation de Bundesliga ne court autant. Les défenseurs attaquent, les attaquants défendent, avec courage et audace, comme si leur vie en dépendait. C’était comme ça du temps du mythique Jürgen Klopp et ça doit rester ainsi. La mentalité de la ville a été longtemps ancrée dans l’âme du club : les gens préféraient l’abattage et le courage à la finesse et à la frivolité. Le club a évolué mais les techniciens ne sont tolérés que s’ils sont rentables.

En ce sens, Axel Witsel découvre un monde nouveau à Dortmund. Sur le terrain comme en dehors. Il va sentir le souffle du public, il va jouer devant un mur jaune, la Südtribune, la plus grande du monde avec 25.000 places debout. Cette tribune aspire littéralement les joueurs. Elle est le symbole absolu du Borussia. Le symbole de la passion.

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