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Comment Leicester bouscule (à nouveau) la hiérarchie en Premier League

Un titre inattendu en 2016, trois saisons difficiles avec trois changements d’entraîneur et une renaissance sous la houlette de Brendan Rodgers. Youri Tielemans et Leicester City bousculent la hiérarchie en Premier League.

Un entraîneur, un joueur et un coucher de soleil. Une image magnifique mais rare. C’était le 8 juillet, au moment où le ciel d’Evian-les-Bains rougissait. Dans le lointain, on pouvait apercevoir le lac de Genève. À l’avant-plan, Brendan Rodgers et Youri Tielemans avaient le sourire. Le jeune Belge, âgé de 22 ans seulement, avait signé à Leicester City et avait immédiatement rejoint le stage en France.

Il était déjà tard lorsqu’il est arrivé mais l’accueil a été chaleureux et cordial. Ils ont posé ensemble pour cette photo. Pas par obligation, avec le maillot et le sourire de circonstance mais tout simplement parce qu’ils étaient heureux. Ce cliché illustre donc parfaitement leur relation. Le manager a le bras gauche posé sur l’épaule du médian qui lui serre la main en signe d’amitié et de confiance. Mais surtout, de reconnaissance.

Tielemans n’a eu besoin que de 13 matches la saison dernière pour convaincre l’entraîneur et le propriétaire des Foxes de lever l’option-record (45 millions) sur le joueur, arrivé de Monaco tout à la fin du mercato d’hiver. Un transfert qui posait question car le club d’East Midlands ne jouait guère mieux que celui de la Principauté.

Il occupait la 12e place, s’était incliné à domicile face à Manchester United ainsi qu’à Tottenham et Claude Puel avait été limogé après le 1-4 face à Crystal Palace. Brendan Rodgers avait toutefois accepté de relever le défi.  » Ce groupe est particulièrement talentueux et a beaucoup de possibilités.  »

Le Nord-Irlandais restait sur deux doublés championnat-coupe consécutifs avec le Celtic. Il était encore sous contrat à Glasgow jusqu’en 2021 mais depuis son limogeage de Liverpool (2015), il rêvait de revenir en Premier League.

 » Je n’ai jamais été aussi impressionné que par les entraînements et les séances de théorie de Brendan « , a un jour dit Steven Gerrard, l’ex-capitaine des Reds.  » Il approche chaque joueur de façon différente, c’est du jamais vu.  »

Un club coté 5000 contre 1

C’est pourquoi Leicester n’a pas hésité à déboursé 7,5 millions d’euros pour dédommager le Celtic. Un investissement coûteux mais nécessaire car le club devait se redéfinir. Trois ans plus tôt, il avait écrit une des plus belles pages de l’histoire du football. Il avait été champion alors qu’en début de saison, sa cote auprès des bookmakers était de 5000 contre 1 et qu’il était plutôt considéré comme candidat au maintien.

 » Un noyau très moyen et un nouveau manager, Claudio Ranieri, surtout connu pour ses échecs « , disait-on. Mais l’Italien avait réussi à souder le groupe, les joueurs avaient travaillé l’un pour l’autre et l’équipe avait fait preuve d’une efficacité redoutable en contre-attaque. L’impensable s’était produit. En mai 2016, pour la fête du titre, le club avait fait venir Andrea Bocelli. Les tribunes avaient chanté Nessun Dorma et Con te partirò. Quelques mois plus tard, l’hymne de la Champions League retentissait au King Power Stadium.

De l’équipe championne de 2016, seuls Kasper Schmeichel et Jamie Vardy sont encore assurés de leur place.

Mais la musique s’est tue. On se doutait que le club allait redescendre de son nuage mais l’atterrissage a été plus dur que prévu. Il y a eu des turbulences. En trois ans, les têtes de trois entraîneurs (Ranieri, Craig Shakespeare et Puel) ont été sacrifiées. Le club a terminé dans l’ombre, aux douzième et neuvième places. Au moment de l’arrivée de Rodgers, qui a signé jusqu’en 2022, ça n’allait pas mieux.

Le Nord-Irlandais lui a permis de terminer à la neuvième place mais la direction en voulait davantage. Rodgers devait faire en sorte que tous les départements du club y croient à nouveau.  » Nous voulons une identité et un style de jeu clairs. Leicester doit avoir le ballon ou le reconquérir le plus rapidement possible. Tout le monde doit à nouveau être fier de dire qu’il supporte ce club.  »

La révolution silencieuse

Pour Brendan Rodgers, l’arrivée de Tielemans illustrait parfaitement ce que Leicester City voulait être : un club qui en veut et qui mise sur de jeunes joueurs talentueux. De l’équipe championne de 2016, seuls le gardien Kasper Schmeichel (33 ans) et le buteur Jamie Vardy (32 ans) sont encore sûrs de leur place.

Ngolo Kanté (36 millions, Chelsea) et Riyad Mahrez (68 millions, Manchester City) ont rapporté beaucoup d’argent, Robert Huth (35 ans) a pris sa retraite en début de saison tandis que Jeffrey Schlupp (Crystal Palace), Andy King (Rangers), Danny Drinkwater (Burnley), Shinji Okazaki (Huesca) et l’icône du club Danny Simpson (Huddersfield Town) ont fait un pas en retrait.

Aux dires du manager, Brendan Rodgers, Dennis Praet apporte toujours un plus comme joker.
Aux dires du manager, Brendan Rodgers, Dennis Praet apporte toujours un plus comme joker.© GETTY

Wes Morgan, Christian Fuchs, Demarai Gray, Marc Albrighton et Daniel Amartey faisaient également partie de l’équipe championne de 2016 mais cette saison, ils doivent se contenter de très peu de temps de jeu. Leicester est actuellement deuxième derrière Liverpool.

Avec son jeu offensif et pétillant, l’équipe est méconnaissable. C’est le résultat d’une révolution silencieuse et respectueuse mais aussi impitoyable. Car, mois après mois, il était clair que club payait un lourd tribut à sa loyauté envers les joueurs qui, après 132 ans, avaient écrit une page de son histoire.

En coulisses, pendant deux ans, on a établi un plan directeur. Le propriétaire thaïlandais Vichai Srivaddhanaprabha avait fait rêver les fans et avait démontré que rien n’était impossible. En 2010, il avait apuré les dettes du club, qui végétait dans l’anonymat du Championship. Tout en respectant les fans et la culture du club, il lui avait permis de remonter et d’être champion en Premier League.

Un propriétaire atypique

Lorsqu’il a perdu la vie dans un accident d’hélicoptère après le match contre West Ham United, en octobre 2018, on a craint le pire mais son fils Aiyawatt (34 ans) a été impressionné par le respect et l’hommage à son père.  » Je vais tout faire pour mettre en place sa vision et réaliser son rêve « , dit-il.

Dès la reprise, en 2010, celui qu’on surnomme Top a été très impliqué dans la gestion du club. Comme son père, c’est un propriétaire étranger atypique. Certes, il est richissime et sévère mais il sait déléguer et écouter.

Il a toujours été impressionné par le savoir-faire de Jon Rudkin, le Director of Football et Academy Director qui, en 2017, a fait venir Harry Maguire au King Power Stadium pour 13,7 millions. Cet été, Maguire est parti à Manchester United pour 87 millions.

Le jeune propriétaire fait presque aveuglément confiance à Rudkin, qui a recruté James Maddison (21 ans). L’été dernier, Norwich City voulait 25 millions pour son petit médian (1,75 m), qui avait connu des hauts et des bas à Coventry et Aberdeen. De nombreux clubs ont reculé devant ce montant mais Rudkin a insisté.

 » Sa marge de progression est énorme « , disait-il. Southampton était intéressé également mais Ben Chilwell et Hamza Choudhury, qui avaient joué avec lui en équipes nationales d’âge et avaient eu leur chance à Leicester, ont convaincu Maddison de les rejoindre.

Après une bonne saison en Premier League, la valeur de Maddison, récemment sélectionné par Gareth Southgate, est évaluée à 45 millions.

Plusieurs coups dans le mille

Ces deux dernières saisons, Leicester City a battu des records en matière de transferts mais sa politique consiste à voir plus loin. Six des joueurs arrivés depuis l’été 2018 font partie du top 10 des transferts les plus chers du club : Tielemans, (45 millions, Monaco), Ayoze Pérez (33,4 millions, Newcastle), Maddison (25 millions, Norwich), Ricardo Pereira (22 millions, FC Porto), Caglar Söyüncü (21,1 millions, Fribourg) et Dennis Praet (21 millions, Sampdoria).

Tielemans est le plus cher mais Phil Neville, consultant à Match of the Day, estime que, pour un joueur qui a inscrit 3 buts et signé 5 assists en 13 matches seulement la saison dernière, c’est presque un hold up. Tielemans a conquis le coeur des fans qui, chaque semaine, chantaient Sign him up.

Jamie Vardy, qui profitait au maximum des ouvertures du Belge et voyait que son équipe jouait de mieux en mieux, avait été très clair au cours d’une interview à la télévision.  » Quand on voit la créativité qu’il y a derrière nous… Cet homme cherche toujours la passe qui fait mal. Je pense que les fans ont raison : il faut le transférer.  » À ses côtés, Tielemans écoutait, tout sourire.

Manchester United était intéressé également. Vaguement, du moins, car à Old Trafford, on se demandait s’il n’était pas trop cher. On suivait donc d’autres pistes. Tielemans, lui, ne voulait pas attendre. Très vite, il a dit qu’il voulait rejoindre Leicester, qui était aussi déterminé que lorsqu’il avait transféré Pérez et James Justin (Luton, 6,7 millions).

Une politique proactive

L’attaquant espagnol de Newcastle intéressait également Valence, Naples et Monaco mais Leicester ne voulait pas faire la file et marchander. Il était prêt à payer le montant prévu dans la clause de rupture et à en faire le deuxième joueur le plus cher de l’histoire du club. Pérez pouvait jouer immédiatement tandis que Justin était la doublure de l’arrière droit portugais Ricardo Pereira et illustrait la politique à long terme du club.

Une politique de transferts proactive, comme le football prôné par Rodgers. Celui-ci mise sur la possession de balle et une circulation rapide du ballon sur toute la longueur du terrain. En perte de balle, l’équipe doit presser haut.  » Agir et pas réagir, sur le terrain comme en dehors « , dit Brendan Rodgers. Détecter et recruter les meilleurs joueurs, c’est la tâche de Lee Congerton, devenu Head of Senior Recruitment en mai dernier à la demande de Rodgers, avec qui il a travaillé à Chelsea (chez les jeunes) et au Celtic (scouting).

Six des dix joueurs arrivés depuis l’été 2018 font partie du top 10 des transferts les plus chers de l’histoire du club.

Au cours des huit derniers mois, Rodgers a marqué le staff de l’équipe première de son empreinte. Ils sont pas moins de.. 23, dont quelques hommes de confiance qu’il a amenés : le T2 ( Chris Davies), un entraîneur pour les défenseurs (Kolo Touré), un préparateur physique (Glen Driscoll), le Head of Senior Recruitment (Congerton) et le Head of Football Analytics (Mladen Sormaz). Il s’entend aussi particulièrement bien avec José Fontes, un ancien banquier portugais, et Callum Smithson, deux recruteurs qui parcourent le monde à la recherche des profils définis par Rodgers.

James Maddison, le coming man, en compagnie de good old Jamie Vardy.
James Maddison, le coming man, en compagnie de good old Jamie Vardy.© GETTY

Le résultat de tout cela, c’est une équipe pétillante et dominatrice. À Southampton, elle s’est imposée 0-9 ! Newcastle a encaissé cinq buts, les Foxes ont dominé Tottenham et Arsenal, ils ne se sont inclinés que de justesse à Liverpool (2-1) et à Manchester United (1-0). Ils partagent la deuxième place avec Chelsea et comptent un point de plus que Manchester City.

Les bookmakers ont revu leur cote quant à une place dans le top 4, synonyme de qualification directe pour les poules de la Ligue des Champions : on est passé de 25 contre 1 en début de saison à 8 contre 1 actuellement. Au King Power Stadium, tous les rêves sont à nouveau permis.

Comment Leicester bouscule (à nouveau) la hiérarchie en Premier League
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Praet et Tielemans : deux Belges, deux statuts

Youri Tielemans est titulaire chaque semaine mais en début de saison, Brendan Rodgers estimait qu’il était moins dominateur et décisif que la saison dernière.  » Il a manqué une partie de la préparation, ça joue un rôle « , disait-il voici peu dans The Telegraph. Au cours des dix premiers matches (championnat et coupe), il n’avait inscrit que deux buts et délivré trois assists. Lors des cinq rencontres suivantes, il a marqué 3 fois et a délivré autant d’assists.  » Il a une vista incroyable pour un joueur de 22 ans. Sa lecture du jeu est impressionnante « , dit le manager, qui le considère comme son prolongement sur le terrain.

Rodgers a également beaucoup insisté pour avoir Dennis Praet, qui ne répondait pas à ses messages. C’était un malentendu : le Nord-Irlandais utilisait son numéro belge. Lorsqu’il a eu vent de l’intérêt des Foxes, le médian s’est informé auprès de Tielemans. Il voulait savoir comment Rodgers travaillait et voyait le football. Alors qu’il était dans le car des joueurs, il a regardé la deuxième mi-temps du match amical des Foxes face à l’Atalanta Bergame.  » J’ai été surpris par la façon dont Leicester pressait haut face à une équipe aussi forte. Son football était soigné et l’équipe se créait de nombreuses occasions. J’ai directement été séduit « , disait Praet en septembre dans The Guardian.

Il a signé le 8 août, jour de la clôture du mercato en Premier League. Il espérait rentrer chez lui mais Rodgers l’a directement obligé à s’entraîner. Il a participé aux deux premières séances avec les chaussures d’un collègue et trois jours plus tard, il était dans la tribune pour le match d’ouverture face aux Wolverhampton Wanderers. Il est entré au jeu en fin de match contre Chelsea et, après 12 matches, il n’est toujours pas titulaire dans l’entrejeu où Tielemans, James Maddison et le jeune Harvey Barnes, formé au club, ont actuellement la préférence de Rodgers. Mais le manager prône la patience.  » Nous avons beaucoup de solutions mais Praet nous apporte toujours de la qualité. Il va de l’avant, il garde bien le ballon et il comprend parfaitement le système.  »

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