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Brexit :  » Seule l’équipe nationale anglaise y gagnerait « 

Jan Hauspie
Jan Hauspie Jan Hauspie is redacteur bij Sport/Voetbalmagazine.

Ce jeudi 23 juin 2016, les Britanniques s’exprimeront par référendum sur leur souhait de rester membre de l’Union européenne ou non. Quelles seraient les conséquences pour le football s’ils décidaient d’en sortir ?  » Pour Simon Mignolet, ce serait un problème. »

Should the United Kingdom remain a member of the European Union or leave the European Union ? Le Royaume-Uni (Angleterre, Ecosse, Pays de Galles et Irlande du Nord) doit-il rester membre de l’Union européenne (Bremain) ou la quitter (Brexit) ? C’est la question à laquelle les Britanniques devront répondre ce jeudi par référendum, conséquence d’une promesse électorale faite par David Cameron lors des élections législatives de 2015.

Par cette promesse, le Premier ministre avait cédé à la pression d’un certain nombre de membres conservateurs du Parlement mais surtout à celle du parti indépendantiste britannique UKIP, de plus en plus populaire au Royaume-Uni sous la direction du flegmatique Nigel Farage. Car Cameron, pour sa part, est opposé au Brexit. Le monde du football britannique aussi, d’ailleurs.

Karren Brady est la première à avoir mis en évidence les conséquences négatives d’un éventuel Brexit. Brady est devenue célèbre au début des années 90 lorsqu’elle fut, à Birmingham City, la première directrice générale d’un club de Premier League. Aujourd’hui, elle est vice-présidente de West Ham United et siège au Parlement britannique dans le parti de Cameron.

Fin janvier, elle a exprimé son inquiétude dans une lettre envoyée à tous les présidents des clubs de Premier League. « Les joueurs européens peuvent signer dans des clubs anglais sans visa ou permis de travail. Cela nous permet d’engager plus facilement des éléments talentueux. Le Brexit nous ferait perdre cet avantage et cela défavoriserait sérieusement les clubs anglais par rapport à leurs rivaux du continent. »

Selon Brady, en cas de Brexit, les grands joueurs européens rechigneraient à traverser la Manche. La libre circulation des travailleurs est une des règles fondamentales de l’Union européenne. En principe, si les Britanniques s’en vont, ce droit ne sera plus automatique. A moins que des négociations n’en décident autrement, les joueurs européens devront alors faire face aux conditions d’entrée strictes imposées actuellement aux joueurs africains ou sud-américains.

Et Brady craint que cela entraîne une forte dévaluation du championnat le plus cher du monde. « Un Brexit ferait beaucoup de tort à nos championnats, créerait un sentiment d’insécurité sur le marché européen des transferts et signifierait un pas en arrière pour la prochaine génération de joueurs. »

LA PREMIER LEAGUE, LE HOLLYWOOD DU FOOT

Nico Vaesen a joué en Angleterre pendant six ans. Il y a surtout défendu les filets de Birmingham City, l’ex-club de Brady. Et il comprend l’inquiétude de celle-ci. « Un Brexit serait un pas en arrière pour le football mais aussi pour toute l’économie britannique », dit l’ancien gardien, devenu agent de joueurs. « La livre sterling serait dévaluée et la vie, plus chère. Les supporters ne pourraient plus aller voir des matches sur le continent avec Ryanair, les joueurs gagneraient moins d’argent et la télévision payerait moins de droits pour un produit de moindre qualité. Aujourd’hui, la Premier League est au football ce que Hollywood est au cinéma. En cas de Brexit, cela cesserait. »

C’est Vaesen qui a amené Simon Mignolet en Premier League. Le gardien de Liverpool et des Diables Rouges lui a déjà demandé quelles seraient, pour lui, les conséquences d’un Brexit. « Pour Simon, ce serait un problème », dit Vaesen. Mignolet vient d’un pays qui fait partie du top 10 du classement FIFA -une des conditions imposées aux joueurs extra-communautaires pour pouvoir jouer en Premier League – mais, comme il n’est que remplaçant en équipe nationale, il compte trop peu de capes. C’est donc un problème, même si Vaesen pense que les choses pourraient s’arranger. « En cas de Brexit, il y aura certainement une phase de transition. Je m’attends à ce que les choses se passent en douceur, il n’y aura pas d’effet rétroactif. Ceux qui sont déjà en place pourront rester. »

Si les Britanniques devaient décider de quitter l’Union européenne, on entamerait en effet un long processus de négociations lors desquelles le Royaume-Uni resterait membre. Ces négociations pourraient prendre jusqu’à vingt-quatre mois. « Ce n’est donc que dans deux ans que les premières conséquences se feraient sentir », dit Stefaan Van den Bogaert, professeur de droit européen et directeur de l’Institut européen de Leiden (Pays-Bas).

UNE SOLUTION POUR LES EXPATS EUROPÉENS ?

Simon Mignolet, doublure de Thibaut Courtois chez les Diables, doit-il se faire du mouron quant à son avenir aux Iles ? L'issue du vote pourrait en dépendre.
Simon Mignolet, doublure de Thibaut Courtois chez les Diables, doit-il se faire du mouron quant à son avenir aux Iles ? L’issue du vote pourrait en dépendre.© AFP

Tout le monde sait autour de quoi les négociations tourneront en premier lieu. « Tout citoyen d’un pays membre de l’Union européenne a le droit de se déplacer, de vivre et de travailler dans un autre pays membre et d’y être traité de la même façon que les citoyens de ce pays », dit Van den Bogaert. « En principe, en cas de Brexit, cette règle de libre circulation ne serait plus d’application et tous les Européens seraient considérés par le Royaume-Uni comme des ressortissants d’un pays tiers. Ils seraient donc soumis aux mêmes règles que les ressortissants des pays tiers actuels. Et ces règles sont très strictes. »

Ça, c’est pour la théorie car Van den Bogaert pense que la soupe ne sera pas aussi chaude qu’il y paraît. « Pour la Premier League, l’enjeu financier est trop important. Elle a tout intérêt à continuer à faire partie des meilleurs championnats d’Europe. Je suppose qu’en cas de Brexit, on trouvera une astuce permettant aux joueurs de pays de l’Union européenne de conserver leur statut actuel. »

Pour Jesse De Preter (Atticus Sports Management), qui défend les intérêts de Jason Denayer, c’est une certitude : « En théorie, un Brexit mettrait fin aux droits actuels des Belges en Angleterre mais j’ai travaillé dans un bureau d’avocats à la City de Londres, un endroit bourré d’étrangers qui forment le coeur de l’économie britannique. Va-t-on vraiment dire à ces banquiers que, s’ils n’obtiennent pas un permis de travail, on va les mettre dehors ? Je ne pense pas que l’Angleterre ait envie de voir toutes ces devises quitter le pays. A mon avis, on va trouver une solution pour les expats de l’Union européenne ou, en tout cas, pour ceux de certains pays, à qui on accordera un statut équivalent à celui qui est le leur actuellement. »

UN POLE D’ATTRACTION POUR LA CRÈME DES CRÈMES

Pour Riyad Mahrez, l’Algérien de Leicester City élu Joueur de l’Année, un Brexit ne changerait rien. Pas plus que pour les autres joueurs africains de Premier League. « Contrairement aux autres pays membres de l’Union européenne, le Royaume-Uni ne fait pas partie de la zone Schengen. Le Traité de Schengen stipule comment les pays doivent se comporter envers les citoyens de pays tiers (les Africains, par exemple) qui veulent pénétrer dans cette zone. Cette zone est plus étendue que l’Union européenne et le Royaume-Uni n’en a jamais été membre. C’est pourquoi il limite l’entrée des citoyens non européens.

Ces règles super strictes s’appliqueront-elles désormais aux citoyens de l’Union européenne ? Je n’y crois pas car, aujourd’hui déjà, les Européens sont traités différemment des Africains. Je ne pense donc pas qu’en cas de Brexit, un Belge éprouvera autant de difficultés qu’un Ivoirien à entrer au Royaume-Uni. Parce que, selon moi, le problème ne concerne pas seulement les footballeurs mais aussi le coeur économique de l’Europe. »

Stefaan Van den Bogaert émet des doutes : « Je pense qu’en cas de Brexit, il y a de fortes chances que le monde de la finance s’installe à Francfort, voire à Amsterdam, qu’on présente de plus en plus comme le futur centre économique de l’Europe. L’Union européenne est le plus gros bloc commercial du monde. Si le Royaume-Uni s’en va, l’élite financière n’aura plus aucune raison de rester à Londres. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les banquiers et les avocats sont tellement favorables à un Bremain. »

Van den Bogaert n’exclut toutefois rien : « La Premier League restera un pôle d’attraction et on laissera suffisamment de portes ouvertes pour que des joueurs puissent traverser la Manche. Mais j’imagine qu’après un Brexit, les Britanniques diront qu’ils ne veulent plus que la crème des étrangers, quel que soit le secteur. En football aussi, dès lors. Les joueurs qui n’apportent pas une plus-value ne seraient dès lors plus tolérés. Un Obbi Oulare ne pourrait plus passer de Bruges à Watford. »

PLUS DE CHANCES POUR LES HOME GROWN PLAYERS

Ce qui nous amène à la question suivante : à qui profiterait un éventuel Brexit ? « Si on établit des règles plus strictes à l’entrée des joueurs européens, les Britanniques auront plus de chances de percer en Premier League », dit Nico Vaesen. « L’équipe nationale anglaise serait donc la grande bénéficiaire de l’opération. Les championnats espagnol et allemand feraient une bonne affaire également car, en cas de Brexit, les meilleurs joueurs de Premier League déménageraient certainement en Primera División ou en Bundesliga. »

Au sein du football britannique, tout le monde n’est pas contre le Brexit. D’un point de vue financier, la Premier League est le plus grand championnat européen. Selon KPMG, les seuls droits domestiques de retransmission des matches de Premier League s’élèvent à 14 millions d’euros par rencontre. En Espagne, ils ne sont que de 2,9 millions. Et en Italie, deux millions et demi. Selon Deloitte, neuf des vingt clubs les plus riches du monde sont anglais. Mais ce succès financier a un revers : les résultats décevants de l’équipe nationale lors des grands tournois. L’arrivée massive de joueurs étrangers hypothèque la formation et les chances de percée du talent local. A l’exception de Harry Kane, les meilleurs buteurs des quinze dernières éditions de la Premier League sont tous étrangers. Par ailleurs, seuls sept des vingt coaches du championnat sont britanniques.

UN RISQUE QUE LA LIVRE STERLING PIQUE DU NEZ

Pas sûr qu'Aleksandar Mitrovic soit toujours perçu comme un élément apportant une plus-value au Royaume-Uni.
Pas sûr qu’Aleksandar Mitrovic soit toujours perçu comme un élément apportant une plus-value au Royaume-Uni.© AFP

Autre question : quid du salaire de nos Diables Rouges évoluant en Premier League ? « Cela fait plusieurs mois que nous discutons du transfert de deux joueurs belges en Angleterre », dit De Preter. Un Brexit sera-t-il bon ou néfaste pour la Livre ? Personne ne peut le dire. »

Dirk Geuens, associé de De Preter dans Atticus Sports Management : « Le Royaume-Uni a toujours pratiqué le cherry picking. Il n’a déjà pour ainsi dire qu’un seul pied dans l’Union européenne. Il trouve le principe de libre circulation des biens intéressant tant qu’on en reste là. Le reste, comme l’intégration politique, il n’en veut pas. Il ne fait pas partie de la zone Schengen ni de la zone euro : la Livre est toujours restée d’application et un Brexit ne changera donc rien à ce niveau. »

Plus on approche de la date du referendum, plus la Livre se porte mal. Les rumeurs selon lesquelles le Brexit l’emporterait n’y sont pas étrangères. Si elles s’avèrent fondées, la Livre, monnaie dans laquelle nos Diables Rouges sont payés, va encore piquer du nez. Cela inquiète les joueurs. A juste titre, selon Stijn Francis, dont l’agence Stirr Associates défend, entre autres, les intérêts de Toby Alderweireld. « Nous discutons actuellement avec un club de Premier League qui est intéressé par un de nos joueurs. La Livre a perdu pas mal de terrain au cours des dernières semaines. Si on poursuit de la sorte, cela va poser problème. »

BELGIQUE PAYS DE TRANSIT

Supposons que le Brexit l’emporte. Pour les joueurs belges, il sera peut-être plus difficile d’évoluer en Premier League. Mais qu’en sera-t-il des joueurs africains que les clubs anglais louent à des clubs belges (parce que c’est chez nous que le salaire minimum pour les non-ressortissants de l’Union européenne est le plus bas) jusqu’à ce qu’ils réunissent le nombre minimum de capes en équipe nationale pour pouvoir obtenir leur permis de travail en Angleterre ?

Et qu’en sera-t-il des joueurs africains qui viennent d’abord jouer en Belgique afin d’obtenir un passeport belge leur permettant ensuite de traverser la Manche ? Comme Cheikhou Kouyaté, qui est passé d’Anderlecht à West Ham, le club de Karren Brady. « En cas de Brexit, la Belgique perdrait son statut de pays de transit », dit Vaesen.

Et qu’adviendra-t-il des richissimes hommes d’affaires de pays exotiques qui achètent des clubs au Royaume-Uni (ou en Belgique afin d’y placer leurs joueurs africains ou sud-américains avant de les faire traverser la Manche) ? Vaesen, impliqué dans le rachat de Courtrai par le Malaisien Vincent Tan, répond par une autre question: « Pourquoi Tan achèterait-il encore un club anglais si celui-ci n’a plus de stars étrangères qui lui permettent de briller? »

QUI VEUT GAGNER DES MILLIONS EN ANGLETERRE ?

En 2015, les conditions d’admission pour les footballeurs désirant jouer au Royaume-Uni ont été assouplies, en collaboration avec le Home Office, département en charge de l’immigration. En cas de Brexit, les règles suivantes seront d’application pour tous les joueurs non britanniques. Entreront alors en considération :

– Les joueurs issus d’un pays classé entre les rangs 1 et 10 au classement de la FIFA (par exemple la Belgique) qui, au cours des deux saisons précédentes, auront disputé au moins 30 % des rencontres internationales de leurs couleurs (à l’exception des matches amicaux). Pour les U21, ces 30 % concernent les joutes disputées au cours de la dernière campagne.

– Pour les joueurs issu d’un pays classé entre les rangs 11 et 20, ce pourcentage passe à 45 %, toujours sur les deux dernières années. Il est, ensuite, de plus en plus progressif :

– Entre 21 et 30 : 60%

– Entre 31 et 50 : 75%

– Les joueurs originaires d’un pays moins bien classé encore doivent, pour leur part, s’adresser à une commission spéciale qui tient compte du prix du transfert, du salaire, de la valeur sportive, de l’expérience en compétition européenne ou dans l’une ou l’autre des autres compétitions européennes majeures.

Par Geert Foutré et Jan Hauspie

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