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Belgique – Pays de Galles : la route sans marquage

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Les Diables rouges ont rapidement mené au score, mais ont fini par perdre le nord pendant que les Gallois suivaient un chemin balisé. Analyse de l’élimination belge.

Ce devait être la plus belle des histoires belges. Celle qui raconte que ces Diables sont invincibles quand ils mènent au score. En 29 rencontres officielles, jamais les hommes de Marc Wilmots n’avaient perdu un match après avoir mené au score. Alors, quand Radja Nainggolan transforme son pied droit en nuage noir pour envoyer un coup de tonnerre et un tir foudroyant dans la nuit lilloise, les craintes d’une défaite face au Dragon gallois s’estompent.

Dès le coup d’envoi, la Belgique fait longuement passer le ballon par les pieds de Jordan Lukaku et Jason Denayer. Comme le maître qui laisse un enfant caresser son chien, en lui glissant un « ne t’inquiète pas, il n’est pas méchant. » La mise en confiance prend le temps d’une minute de passes sereines dans le camp belge. Les Gallois sont déjà là, ils coupent les lignes de passes vers l’avant, et stérilisent la possession diabolique.

Pourtant, les Diables semblent avoir choisi de marquer sans tenir le ballon. L’objectif est de lancer un match d’aller-retour, où les différences doivent se faire par les hommes. Le problème, c’est que le 3-4-2-1 des Gallois n’épouse pas aussi parfaitement les courbes du système belge que le 4-3-3 des Magyars. Le marquage est brouillé, mais l’activité de Nainggolan suffit aux Belges pour s’éclaircir les idées. Le Ninja gagne tous ses duels, active rapidement les flancs, et permet aux centres de se multiplier. Romelu est inexplicablement le seul Diable dans le rectangle pour jouer les deux premiers, avant de décider de centrer lui-même après sept minutes, bien lancé par une récupération d’Hazard et une passe de Kevin De Bruyne. Carrasco, Meunier et Hazard forcent les Gallois à enchaîner trois miracles pour retarder l’ouverture du score, qui tombera six minutes plus tard. Jordan Lukaku crée le surnombre, et permet aux Diables de jouer un trois contre deux avec Eden dans le trio. Hazard fixe son homme et alerte Nainggolan, qui s’offre une place parmi les highlights du tournoi.

LA BELGIQUE DU PARADOXE

La Belgique est devant, et s’installe dans ce fauteuil qui fait peur à toute l’Europe. Ou presque. Car les Gallois sont sereins. Ils ont un plan, et le marquoir ne perturbe pas leurs idées. Le Dragon profite de l’absence de pressing sur la relance de ses trois défenseurs pour se dresser sur ses pattes. Il agite son aile droite, où Gareth Bale et Aaron Ramsey se succèdent entre les lignes pour créer le surnombre autour d’un Jordan Lukaku abandonné par les limites du marquage individuel.

Amoureux proclamés du ballon avant le tournoi, les Diables décident de défendre bas avec la ligne arrière la plus offensive de leur histoire. À onze dans leur camp, laissant les Gallois prendre 68% de possession entre l’ouverture du score et l’égalisation. La Belgique veut contrer, mais son 4-4-2 de repli ressemble à une chaise à laquelle on aurait scié un pied. Nainggolan veut dévorer tout le milieu de terrain, pendant que Witsel reste hors de la salle à manger. Les espaces se créent dans un système perdu entre deux lignes de quatre d’une zone bancale et les consignes de marquage individuel. Les Diables défendent avec beaucoup de jambes, mais peu d’idées.

Entre les lignes, Ramsey attise le feu du Dragon. Il emmène Bale avec lui sur le côté droit, et leur triangle avec Gunter débouche sur un centre en retrait vers Taylor et une parade miraculeuse de Courtois. C’est encore le joueur d’Arsenal qui trouve trop facilement une faille dans le dos de Witsel et Nainggolan pour lancer Robson-Kanu dans le dos de Lukaku, vers l’obtention d’un corner. Le premier coup de coin en crée un deuxième, et Ashley Williams appelle Gareth Bale.

LES GALLOIS SUR LES RAILS

Le capitaine gallois suit le plan. Face à cette Belgique qui n’encaisse jamais sur phase arrêtée, Chris Coleman a une idée : brouiller les références du marquage individuel des colosses belges. Quatre Gallois s’alignent, pour créer un train humain qui fait dérailler le marquage belge. Les Dragons explosent, et tous les défenseurs belges ont inévitablement un temps de retard. Williams ne pardonne pas.

Là où le huitième de finale face à la Hongrie avait été une publicité pour le marquage individuel, l’idée vire à l’absurde face au système gallois. L’homme contre homme aurait été judicieux en pressant les défenseurs gallois pour priver Bale, Allen et Ramsey de ballons, en profitant de la vitesse de Denayer et de Jordan Lukaku pour gérer la profondeur concédée. Ici, Marc Wilmots demande à ses hommes de défendre comme ils ne l’ont jamais fait. Les Diables se regardent, se transmettent les marquages comme une patate chaude, et manquent de se brûler quand Williams frôle le doublé avant la pause. On joue la 43e minute, et c’est sans doute ce nouveau duel gagné par le capitaine gallois qui décide le sélectionneur belge à envoyer Fellaini à l’échauffement.

On s’attend alors à voir la Belgique activer le « plan Marouane », celui des centimètres et du jeu long. Pourtant, Felly s’installe devant la défense et permet aux Diables de mettre enfin le pied sur le ballon. Pendant dix minutes, les Belges monopolisent le ballon (67% de possession) et activent enfin Hazard (13 ballons touchés en 10 minutes). Un centre magnifique de Meunier (Belge le plus actif avec 71 passes) pour un tête décroisée de Lukaku ; un tir puissant de De Bruyne après une superbe remise du même Lukaku, alerté entre les lignes par Hazard ; un solo d’Eden, conclu par une frappe enroulée quelques centimètres trop loin. La Belgique s’offre trois occasions de faire 2-1 dans un début de seconde période plein de changements de rythme, dictés par la différence de vitesse entre la conduite de balle de Fellaini et les explosions d’Hazard. L’histoire belge ressemble à une blague : Marouane monte pour gagner les duels, mais il permet aux Diables de gagner le ballon.

ROBSON-KANU ET LE MARQUAGE INDIVIDUEL

Il suffit d’une sortie galloise. Un ballon qui traverse le terrain, et atterrit dans les pieds de Gareth Bale, en position de latéral droit, trop loin pour être gêné par le marquage belge. Jordan Lukaku sort sur Gunter, et Bale en profite pour mettre Ramsey sur orbite. Alderweireld suit le ballon dans une zone qui aurait dû être celle de Denayer, et toute la défense est déséquilibrée quand le centre du Gunner arrive chez Robson-Kanu.

Un attaquant de Division 2, sans grande histoire à raconter. Un second rôle, présent uniquement parce qu’il fait mieux jouer Bale. Son passé de figurant devrait l’inciter à écarter à gauche, pour donner ce ballon à Taylor. Toute la défense belge le pense. Peut-on les blâmer, alors que des millions de Belges ont les yeux rivés sur l’arrivée fulgurante du latéral gauche gallois ? Mais Robson-Kanu a une autre idée. Sa feinte est si violente qu’elle envoie toute la Belgique de l’autre côté de la frontière, avant de placer le ballon hors de portée de Courtois.

La Belgique est désorientée. Au tapis. Les Gallois se replient, et mettent les Diables devant l’incohérence d’un plan offensif improvisé. Les mésententes se multiplient, Lukaku fait des appels auxquels personne ne répond tandis que le système gallois empêche les Belges de dribbler (seulement cinq dribbles réussis, sur onze tentatives).

LE PLAN FELLAINI

C’est l’heure du plan Fellaini, le vrai. Mertens remplace Jordan Lukaku pour un passage à trois derrière qui sent l’improvisation, l’individualisme et les centres. Hazard ne quitte pas le terrain, comme il y a deux ans face à l’Argentine, mais disparaît des offensives, se contentant d’envoyer des ballons sur les flancs pour laisser Mertens, Meunier et De Bruyne alimenter le rectangle. Fellaini règne sur le rectangle (5 duels aériens gagnés), mais Hennessey ne doit jamais salir ses gants.

La Belgique joue son va-tout, multiplie les tentatives d’exploits et réclame des fautes (à raison) quand un coup de génie de Lukaku ou de Fellaini lui ouvre enfin les portes du rectangle gallois. Les Dragons souffrent, mais les trois cartons jaunes reçus en début de match ne suffisent pas à les mettre dans le rouge. Leurs sorties de défense restent réfléchies, et c’est en se rappelant que les Diables ont déserté leurs flancs défensifs qu’ils lancent Gunter offrir le 3-1 à Sam Vokes d’un centre lumineux.

Les Belges quittent le tournoi plus tôt que prévu. La faute, notamment, à un football dont les idées étaient trop souvent dans les pieds des individus, et pas assez dans le cerveau de l’équipe. « La manière, on s’en bat les coui**** », avait dit Kevin De Bruyne après une nouvelle victoire sans saveur face aux Suédois. Une façon de dire que seule la destination comptait, peu importe la beauté du chemin qui y mènerait. Le problème, c’est qu’on a beau savoir où se trouve la ligne d’arrivée, c’est toujours plus difficile d’y arriver avec les yeux bandés.

Guillaume Gautier

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