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Analyse Russie-Belgique: et si le match n’avait pas été si mauvais?

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Parce qu’on se souvient généralement mieux du dessert que de l’entrée, et que le résultat dicte toujours les analyses, le match nul des Belges en Russie est vécu comme un fiasco. Les 20 dernières minutes peuvent-elles occulter les 70 premières ?

La Russie invite la Belgique dans son restaurant de Sotchi. Un endroit luxueux et bruyant où le Diable a rendez-vous avec son public, pour rattraper le coup de ce rencard raté à Bruxelles trois jours plus tôt. Et la soirée commence mal, puisque le Diable oublie de trinquer à l’apéro, et avale son début de match de travers. Le public passe l’éponge pendant la suite du repas. La cuisine est maîtrisée à outrance, sans grande folie, mais l’entrée et le plat restent un moment agréable. Et puis, le Diable se lève, sans payer ni dire au revoir, et prétexte un détour aux toilettes pour sécher le dessert et laisser l’addition à son public. Un 3-3 que le digestif ne suffit pas à faire passer. Le prochain rendez-vous s’annonce moins romantique.

Aujourd’hui, toute la Belgique ne parle que des vingt dernières minutes. Parce qu’une très mauvaise fin peut faire oublier un bon film, ou qu’un mauvais dessert peut vous laisser un goût amer à la sortie d’un grand restaurant. Le problème, c’est qu’on a presque fini par oublier une heure dix de contenu intéressant. Et si Roberto Martinez ne faisait pas seulement de la communication policée quand il affirme que « pendant 70 minutes, nous avons été très concentrés, comme s’il s’agissait d’un match à enjeu » ?

Le film de cette première heure de match à Sotchi raconte l’histoire d’une Belgique scolaire. Peut-être un peu trop pour atteindre les sommets. La possession de balle, incontestable parce qu’incontestée, est rigoureuse et structurée, mais ne débouche que trop rarement sur des occasions. On se croirait dans un épisode de Koh-Lanta, quand les aventuriers tentent de faire du feu. Ils ne ménagent pas leurs efforts et font tout ce qu’il faut pour faire apparaître la fumée, mais il manque toujours cette petite étincelle pour embraser le rectangle adverse. En tirant les enseignements de ces deux matches, il ne faudra pas oublier qu’il manque à la fois Eden Hazard et Kevin De Bruyne. Nos deux boites d’allumettes.

COUVRIR SES ARRIÈRES

Confrontée à une défense à cinq, ce qui risque d’être de plus en plus fréquent pour répondre à son 3-4-2-1, la Belgique de Martinez procède à quelques ajustements. Thomas Vermaelen s’installe au coeur d’un trio défensif biberonné à l’école ajacide, et Youri Tielemans et Moussa Dembélé prennent les clés du jeu au milieu de terrain. C’est autour de cette colonne vertébrale que se dessine la première séquence du match : pendant cinquante secondes, les Diables confisquent le ballon et échangent 19 passes, jusqu’à l’intervention du secteur offensif – de Radja Nainggolan en l’occurrence – dont le premier contact avec le ballon est une tentative de changement de rythme qui finit en touche. Presque prémonitoire.

Dans une possession tellement ambitieuse qu’elle devient parfois déséquilibrante, la Belgique s’expose dangereusement. La première perte de balle de plein jeu offre de l’espace et de la profondeur aux Russes, et Thomas Vermaelen paie déjà le manque de vitesse de sa ligne défensive. L’intermittent romain part à la faute, et le coup franc débouche sur l’ouverture du score des locaux, dans un match qui n’a pas encore eu le temps de commencer. Roberto Martinez souffre des mêmes problèmes que Pep Guardiola à Manchester : la pointe de vitesse de Vincent Kompany lui manque.

La Belgique décide d’oublier le marquoir, et de reprendre l’écriture de son devoir. Les passes verticales de Youri Tielemans ou Radja Nainggolan brisent la routine d’une possession bien maîtrisée, mais trouvent trop rarement leur cible. Heureusement, Moussa Dembélé, omniprésent, est là pour s’assurer que le ballon ne quitte pas les pieds belges trop longtemps. Dans le premier quart d’heure, le gaucher des Spurs récupère cinq fois le cuir dans le camp adverse.

POSSESSION SANS OCCASIONS

Fatiguée de courir après un ballon qu’elle ne touche jamais, la Russie finit par partir à la faute après seize minutes. Au bout d’une séquence de treize passes où toute l’équipe belge, à l’exception de Nainggolan, touche le ballon, Christian Benteke provoque un penalty converti par Kevin Mirallas.

C’est le véritable coup d’envoi d’une demi-heure sans partage, lors de laquelle passer le milieu de terrain avec le ballon ressemble déjà à un exploit pour des Russes qui ne font pas le poids. Les Diables jouent presque tous en deux touches de balle, et le ballon voyage d’un bout à l’autre du camp russe. Tout cela se passe autour de Moussa Dembélé, impérial dans son jeu de passes et capable d’attirer naturellement deux adversaires sur lui, puis de s’en débarrasser par un dribble (4 réussis) ou une passe au dernier moment qui crée les fameux espaces si difficiles à trouver face à un bloc bas.

Le problème se passe à l’étape suivante. Parce que les meilleurs dribbleurs du pays, Eden Hazard et Yannick Carrasco, ne sont pas sur la pelouse, la Belgique a du mal à transformer ses un-contre-un en occasions de but. Roberto Martinez a pourtant tenté d’offrir de l’espace à Nacer Chadli, en plaçant Kevin Mirallas devant lui sur le flanc gauche pour désorganiser les Russes, mais les exploits balle au pied du joueur de West Brom (5 dribbles réussis) et de celui d’Everton (2 dribbles) se déroulent trop sur les flancs, dans une zone où un adversaire effacé n’ouvre pas directement le chemin du but.

Privée des dribbles d’Hazard et des passes de Kevin De Bruyne, la Belgique s’en remet alors au jeu de tête de Christian Benteke, lui qui a marqué presque aussi souvent avec son front (4 buts) qu’avec ses pieds (5) cette saison en Premier League. Sur les cinq tirs belges de la première période, quatre partent d’une phase arrêtée. Un corner, puis un coup franc donnés par Chadli permettent à Benteke de s’offrir un doublé, et à la Belgique de rejoindre les vestiaires avec un avantage mérité.

SANS MAÎTRISE

Le début de seconde période a des allures grecques, avec un tir et un coup de coin pour nos hôtes. La différence, c’est que le marquoir ne bouge pas. Et globalement, le premier quart d’heure est plutôt diabolique, avec un Chadli toujours aussi présent : une passe pour Alderweireld (tir hors-cadre), et une autre entre les lignes vers Benteke (tir contré) qui confirment l’histoire d’une domination stérile.

Les changements commencent, et le match devient paradoxal. La maîtrise disparaît quand son symbole, Axel Witsel, monte sur le terrain pour remplacer Youri Tielemans. C’est alors que Moussa Dembélé, l’homme qui ne perd jamais le ballon, perd justement son précieux sous la pression d’un trio russe qui exploite à merveille le manque de solutions données au Diable après la passe de Thomas Foket, tout heureux de s’être débarrassé de ce ballon chaud. La suite, c’est un module de jeu qui ne semblait pas penser à la perte du ballon (Witsel et Jan Vertonghen sont écartés et devant la balle), un contre russe bien maîtrisé et un score qui passe à 2-3.

La fin de match est désordonnée, et les Diables perdent cette structure si importante pour eux quand ils doivent vivre sans leurs plus grands talents. Yannick Carrasco profite des espaces pour jouer une action en solo, puis mener une contre-attaque parfaite qu’il conclut par un but, finalement annulé pour une faute de Thorgan Hazard sur le gardien. Mais à l’autre bout du terrain, Thomas Vermaelen – impeccable à l’interception pendant une bonne partie de la rencontre – se blesse dans un duel et doit quitter la pelouse. L’équilibre a totalement disparu, et Bukharov manque l’égalisation dans les arrêts de jeu, avant de la planter quelques secondes plus tard, au bout d’une mauvaise relance de Simon Mignolet, d’une défense naïve d’Alderweireld et d’une sortie sans autorité du deuxième gardien des Diables.

LES IDÉES ET LES HOMMES

Roberto Martinez n’a pas encore gagné un seul match amical. Aucune victoire dans ces matches où les résultats ne comptent pas, mais ça semble grave quand même. Et tant pis si le chaos n’a atterri sur le terrain qu’après les changements. Les détracteurs d’une équipe nationale trop arrogante pour être belge n’attendaient que ça pour remettre sur la table la question de la mentalité. Pourtant, c’est quand elle a perdu son jeu plein d’assurance que la Belgique a encaissé deux fois.

Avant cette fin de match bâclée, les Diables avaient sans doute présenté une des possessions les plus abouties de leur nouvelle histoire footballistique. L’idée de jeu était parfaitement récitée par les étudiants du professeur Martinez. Il ne manquait que les dribbles au bout des passes, les tirs au bout des centres. En fait, il manquait ces élèves un peu géniaux, ces musiciens qui savent dépasser les limites d’une partition pour rendre la musique un peu plus belle. Il ne faudrait pas l’oublier : il manquait Eden Hazard et Kevin De Bruyne.

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