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Wout tout-terrain

Fabien Chaliaud Journaliste

En s’imposant lors de l’étape passant par le Mont Ventoux, le champion de Belgique a encore montré l’étendu de sa palette de coureur. Mais jusqu’où peut-il aller ?

Wout Van Aert, géant de Provence ! Dix ans après Philippe Gilbert sur une montée bien moins prestigieuse, la tunique noir-jaune-rouge est remontée sur un podium d’étape au Tour de France. Si l’on savait que l’homme d’Herentals allait porter bien haut les couleurs nationales pendant la grand-messe de juillet, ce n’est pas vraiment à Malaucène, après deux escalades du Mont Ventoux, qu’on s’attendait à ce qu’il les hisse sur la plus haute marche.

Van Aert était plutôt attendu lors de la première semaine avec des étapes qui semblaient correspondre parfaitement à son profil. Mais connait-on encore vraiment ce dernier ? Cyclocrossman, homme de classiques, sprinteur, spécialiste du contre-la-montre, WVA avait aussi montré l’an dernier en montagne qu’il était capable d’imprimer un haut tempo dans les ascensions pour son leader Primoz Roglic avant de confirmer son sens de la gestion sur les longues pentes lors d’une arrivée au sommet à Tirreno-Adriatico où il avait plutôt bien résisté aux grimpeurs qu’il avait défiés.

UN CONTEXTE PARTICULIER

Mais le contexte d’une échappée royale, puisqu’elle comptait dans ses rangs quelques anciens vainqueurs d’étape sur la Grande Boucle comme Bauke Mollema, Julian Alaphilippe, Dan Martin, Pierre Rolland ou Greg Van Avermaet, est évidemment bien différent de celui d’un peloton de favoris emmené à la cadence souhaitée par un leader d’épreuve. Samedi, vers le Grand-Bornand, le coureur belge, qui pouvait briguer le maillot jaune, n’a pas reçu de bon de sortie malgré de nombreuses tentatives. Il a même été décroché dans le col de Romme avant que Tadej Pogacar ne gifle ses principaux concurrents au général. S’il a concédé beaucoup de temps au prodige slovène, Van Aert avait plutôt limité la casse par rapport aux autres coureurs visant le podium et les accessits. Mais si le classement final à Paris avait été son ambition première, cette minute et ces 36 secondes concédées sur les deux dernières montées auraient quand même constitué un débours important.

Mercredi, dans une étape où le choc thermique entre la fournaise du pied du Mont-Chauve et le sommet nappé de brouillard, a eu raison de beaucoup d’organismes, Wout Van Aert n’a pas bataillé autant que vendredi vers Le Creuzot pour accrocher le bon coup. Distancé au général après sa demi-heure perdue sur la route vers Tignes, il ne figurait plus vraiment en tête de liste du carnet des « Most Wanted » de l’équipe UAE de Pogacar.

Dans un groupe de poursuite de 13 coureurs en chasse du quatuor composé d’Alaphilippe, Dan Martin, Rolland et Perez, le champion de Belgique a su doser ses efforts en laissant le champion du monde animer la première ascension du Ventoux. Dans la seconde, ses qualités de rouleur et de spécialiste de l’effort en solitaire ont fait la différence. D’abord pour faire craquer Mollema et Alaphilippe, ensuite pour recoller à Elissonde avant de le distancer à son tour. Sur papier, le Belge ne présentait pas vraiment le meilleur profil de grimpeur. Sauf que dans les échappées au long cours avec de longs cols, les escaladeurs naturels ne sont pas si souvent à la fête. Par le passé, il n’a pas été rare de voir des spécialistes craquer sur ce type de profil face à des coureurs au gros moteur comme Jens Voigt ou Thomas De Gendt, surtout quand le vent est plutôt favorable comme lors de la seconde montée du géant de Provence. Mais il fallait encore fallait-il résister au peloton.

La veille de gagner en montagne, Van Aert terminait deuxième d'un sprint massif derrière Mark Cavendish
La veille de gagner en montagne, Van Aert terminait deuxième d’un sprint massif derrière Mark Cavendish© iStock

UNE RÉACTION TARDIVE DU PELOTON

Sous la conduite d’une équipe Ineos aussi peu inspirée tactiquement que la Movistar des dernières années, le peloton ne parvient pas à grignoter de terrain sur le triple champion du monde de cyclocross malgré la présence à sa tête d’un Richie Porte bien loin de son niveau de 2020.

Sous la conduite de Michal Kwiatkowski et dans la partie chauve et exposée à Éole du Mont Ventoux, le groupe des favoris, qui s’était séparé de Ben O’Connor, deuxième du général, va reprendre une trentaine de secondes. La banderille ensuite portée par l’équipier de Van Aert, Jonas Vingegaard va considérablement réduire l’écart. Surtout lorsque le Danois se rend compte que ses jambes de feu font quelque craquer Tadej Pogacar. Le porteur par défaut du maillot blanc (vu Pogacar a déjà le jaune) récupère quasiment la moitié de son retard au sommet sur le champion de Belgique sur route et de cyclocross. Mais c’est largement insuffisant que pour mettre en péril le sacre de ce dernier dans les rues de Malaucène où les supporters belges s’étaient déplacés en nombre pour acclamer leur idole.

Si la performance de Wout Van Aert est ébouriffante en termes d’émotion et de force télégénique, elle l’est un peu moins au niveau des chiffres. Le très contesté Antoine Vayer, nouvel égérie autoproclamé de l’antidopage après avoir chargé les mules de l’équipe Festina au coeur des années 90, estime les watts développés par les coureurs lors de chaque grande ascension.

Selon sa méthode de calcul, assez discutable, le citoyen d’Herentals a développé 397 watts étalon, de quoi rester dans la zone verte de la probité décidée par Vayer, même si ce dernier n’hésite évidemment pas à tacler le coureur belge pour d’autres aspects avec sa mauvaise foi habituelle. En comparaison, Jonas Vingegaard avec 404 watts étalon reste aussi dans le vert. On est encore loin des standards de Miguel Indurain auquel a souvent été comparé Wout Van Aert.

Sur les pentes du Ventoux menant le tempo devant Alaphilippe.
Sur les pentes du Ventoux menant le tempo devant Alaphilippe.© iStock

PEUT-IL VISER LE TOUR ?

Comme l’homme de Pamplune, qui mesure 1 centimètre en plus que le Belge (1m87), a remporté la Grande Boucle à cinq reprises en portant deux kilos de plus sur la balance (80 kg vs 78 selon le poids « officiel), certains imaginent un destin similaire à un coureur capable de briller sur de nombreux terrains. WVA pourrait come l’Espagnol limiter les dégâts par rapport aux meilleurs grimpeurs avant leur porter un uppercut fatal sur l’épreuve chronométrée, du moins en théorie. Car le champion de Belgique est selon certains déjà un peu plus maigre que son poids de début de saison. Il devrait encore beaucoup travailler en montagne pour accrocher les meilleurs à la régulière.

Des efforts en tête de peloton que l’on fait à bloc avant de se permettre d’exploser ou des efforts en échappée face des adversaires individuels de niveaux différents n’ont rien à voir avec ceux que l’on fait pour suivre des adversaires de même niveau et capables de changements de rythme beaucoup plus brutaux que des fuyards matinaux. Perdre du poids impliquerait aussi sans doute une perte de puissance que le Belge ne pourrait dès lors plus exploiter sur les épreuves de contre-la-montre.

L’exemple du premier chrono du Tour tend en ce sens puisque Van Aert, préparé avec des stages en altitude suite à son opération de l’appendicite, n’a pas su développer la même puissance et a terminé derrière des Pogacar et Kung qu’il avait pourtant battu dans l’exercice à Tirreno.

L’HOMME DU WORLD TOUR

Depuis qu’il a rejoint l’équipe Jumbo Visma et peut disputer un programme beaucoup plus riche que chez son ancien employeur (avec lequel il est toujours en conflit), Wout Van Aert choisit ses succès avec soin.

S’il figure, avec ses 23 bouquets, bien derrière les deux autres fantastiques que sont Julian Alaphilippe (36) et Mathieu van der Poel (34), le natif d’Herentals a privilégié la qualité à la quantité, tout en obtenannt un nombre impressionnant de places d’honneur. Un Greg Van Avermaet 2.0 avec un palmarès plus étoffé en quelque sorte.

Depuis sa grave blessure sur le Tour de France 2019 lors du contre-la-montre de Pau, quelques jours après son premier succès sur l’épreuve, Van Aert n’a gagné que sur des courses World Tour. Les Strade Bianche, Milan San Remo, 1 étape sur le Dauphiné Libéré, 3 sur le Tour de France, 2 sur Tirreno-Adriatico, Gand-Wevelgem et l’Amstel Gold Race, soit 10 bouquets (43,5% de ses victoires) glanés sur des courses majeures du calendrier. Mais surtout, il a su s’imposer sur des terrains aussi variés que le sprint massif (4 victoires), le contre-la-montre (1 victoire), les classiques d’un jour (4 victoires) auxquels il a ajouté la montagne depuis ce mercredi. L’on peut aussi ajouter à ce palmarès deux maillots de champion de Belgique, aussi bien en contre-la-montre (2020) et sur route (2021).

Wout Van Aert pourrait-il se passer de duels hivernaux dans les labourés contre son éternel rival Mathieu van der Poel ?
Wout Van Aert pourrait-il se passer de duels hivernaux dans les labourés contre son éternel rival Mathieu van der Poel ?© iStock

WVA collectionne aussi les places d’honneurs avec des médailles d’argent sur les épreuves en ligne et chronométrée du Mondial 2020, une seconde place sur le « petit tour » qu’est Tirreno-Adriatico (toujours dans le top 10 des étapes à l’exception d’une), une troisième place dans un sprint massif à Milan-San Remo et une deuxième à la Flèche Brabançonne au terme d’une arrivée à trois. Après des décennies d’hyperspécialisation, la génération actuelle veut casser les codes en courant « à l’ancienne » et en brillant sur un maximum de terrains. Wout Van Aert est sans doute l’un de ceux qui incarne le mieux ce changement de cap.

QUELLES ENVIES POUR VAN AERT ?

La principale question dans l’orientation de la carrière du champion de Belgique reste celle des envies personnelles. Son meilleur ennemi van der Poel souhaite continuer la combinaison route, cross et VTT, Alaphilippe semble plus s’amuser comme coureur de classique malgré les fantasmes d’une France qui a cru que sa cinquième place miraculeuse de 2019 était annonciatrice d’un brillant destin sur trois semaines.

Si le Flandrien possède peut-être une palette plus large que ses deux rivaux, rien ne dit qu’il changera de cap pour briller sur les grands tours. Premièrement, pour des raisons physiques et techniques et deuxièmement, car la concurrence interne au sein de sa formation reste féroce. Malgré son abandon, Primoz Roglic reste un leader fiable et Jonas Vingegaard semble offrir plus de certitudes. Quid aussi des ambitions d’un Tom Dumoulin de nouveau dans le circuit.

Et puis, est-ce que le Flandrien, boulimique d’activité physique, ne préfère pas garder son plaisir de rouler en continuant à briller sur les Monuments, en visant l’une ou l’autre épreuve d’une semaine tout en arpentant les labourés boueux en hiver ? Histoire de rester ce qu’il est: un Wout tout-terrain.

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