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Tour 2014: le duel Contador-Froome à la loupe

Quatrième de la dernière édition, Alberto Contador a concédé six minutes à Chris Froome. Son ère semblait révolue mais l’Espagnol est revenu et défie le Britannique. Ses espoirs sont-ils réalistes ? Analyse.

Vous ne l’ignorez pas: Chris Froome (29 ans) et Alberto Contador (31 ans) n’ont pas eu le même parcours. Les deux histoires sont dignes d’Hollywood. L’un a grandi au Kenya et en Afrique du Sud, a débarqué en Europe sans le moindre bagage cycliste et s’est mué en étrange vainqueur du Tour après avoir combattu une maladie tropicale. L’autre a subi une grave opération au cerveau à 21 ans, puis est devenu le meilleur spécialiste des tours de sa génération avant d’être contrôlé positif au clembutérol et de revenir au premier plan, non sans mal.

En juillet, on ajoute un nouveau chapitre à ces biographies : Froomey vs. El Pistolero, leur premier véritable duel car au Tour 2012, Contador était suspendu et l’année dernière, il a plutôt fait l’effet d’un pistolet à eau. Ces derniers mois, l’Espagnol a toutefois rechargé ses armes avec de vraies balles. Mais possède-il suffisamment de munitions pour percer le panzer Froome ? Etude comparative en cinq points.

La préparation du Tour

CONTADOR

Après sa victoire à la Vuelta 2012, Alberto Contador était heureux mais épuisé. Sa suspension purgée, il avait battu Joaquim Rodriguez grâce à son caractère plus qu’autre chose. La saison passée, après une trop longue pause et une période d’entraînement trop brève en hiver, il s’est enlisé dans le marécage d’attentes trop élevées. Sa quatrième place au Tour lui a valu les critiques du sponsor Oleg Tinkov. « Il est trop riche et il manque d’ambition. Il doit travailler davantage », a twitté l’oligarque. Fatigué, Contador a déclaré forfait à la Vuelta pour ne rouler que quelques épreuves en automne, sans résultat significatif. Il s’était déjà focalisé sur juillet 2014.

Après des vacances à Ténériffe, l’Espagnol a repris le collier en novembre, près de Lugano, sa résidence suisse, où habitent également ses coéquipiers Jesus Hernandez, Sergio Paulinho, Michael Rogers et le patron, Bjarne Riis. Au terme d’une brève visite au Brésil pour y inaugurer un nouveau magasin de cycles de Specialized, le sponsor, et d’un passage dans le tunnel à vent du constructeur américain en Californie, il a effectué un stage aux Canaries avant de retrouver Lugano en décembre puis de rejoindre son équipe aux Canaries et d’effectuer un autre stage de trois semaines à Ténériffe.

Contrairement aux années précédentes, il a limité au maximum ses obligations commerciales et médiatiques. A l’exception du voyage en Californie et au Brésil et d’un saut à Londres, pour l’annonce de la reprise de Saxo par Tinkov, il n’a pas interrompu ses entraînements. Il a donc vécu un hiver dénué de stress et il a retrouvé sa forme. Fin février, il l’a exposée au Tour d’Algarve, en enlevant une étape et en terminant deuxième du classement. Un mois plus tard, il emportait deux étapes et le classement de Tirreno-Adriatico.

Fin mars/début avril, le coureur a terminé deuxième du Tour de Catalogne et a été lauréat du Tour du Pays Basque. Ensuite, il a reconnu l’étape pavée du Tour, une étape de la Vuelta au Pays Basque, le passage du Tour dans les Pyrénées et la dernière étape, vers Périgueux.

Contador est retourné à Ténériffe du 12 au 29 mai et après une semaine de repos, après huit semaines sans compétition, il a couru le Critérium du Dauphiné le 8 juin. Ensuite, il a programmé un nouveau stage en altitude, à Livigno ou au Passo Pordoi. Il envisageait également de courir le championnat d’Espagne sur route. Avec 35 ou 36 jours de course dans les jambes, il devrait être au sommet de sa forme au début du Tour.

FROOME

Après sa victoire eu Tour, Chris Froome n’a couru que onze jours. Fatigué, souffrant du dos, comme à Florence, au Mondial, il a quand même remporté le nouveau Saitama Critérium au Japon, organisé par ASO fin octobre.

Il s’est ensuite octroyé un break de six semaines, le plus long de sa carrière, pour récupérer physiquement et mentalement. Il a notamment passé deux semaines au Kenya, son pays natal, où il a revu son mentor en cyclisme, David Kinja, et les coureurs du Safari Simbaz Cycling Club, sa première équipe. En décembre, il a accompagné Sky en stage à Majorque. Il a reçu deux bonnes nouvelles : il a enfin fait la paix avec Bradley Wiggins et, surtout, il a été définitivement délivré de la schistosomiase, la maladie tropicale détectée en 2009.

Après le Nouvel-An, le Britannique a séjourné un mois en Afrique du Sud, avec un soigneur, un coéquipier- Kanstantsin Siutsou- et son coach, Tim Kerrison, pour fuir toute agitation. Froome ne veut pas tomber dans le même piège que Wiggins, qui avait croulé sous les invitations et les interviews après sa victoire au Tour. En plus, il a trouvé dans les montagnes de Johannesburg, à 1.800 mètres, un terrain idéal pour s’entraîner d’arrache-pied mais en toute décontraction.

Il a ensuite effectué un stage de deux semaines à Ténériffe avant d’entamer la saison au Tour d’Oman, le 18 février. De manière positive : il s’est imposé dans un temps-record à Green Mountain, alors qu’il avait annoncé n’avoir pas besoin de gagner toutes ses courses avant le Tour, son seul véritable objectif.

Il en a été incapable à Tirreno-Adriatico: une légère infection des lombaires l’a contraint à déclarer forfait. C’est déjà cette blessure qui l’avait poussé à l’abandon à Florence et qui l’avait incité à effectuer trois quarts d’heure de renforcement musculaire tous les matins pendant l’hiver. La Gazzetta dello Sport a évoqué l’éventualité d’une opération, ce qu’a démenti la direction de Sky.

Après une période d’entraînement à Monaco, sa résidence, il a participé au Tour de Catalogne. Il a attaqué dans les étapes de montagne mais n’a terminé que sixième, face aux attaques de Contador et de Rodriguez. Il a alors passé deux semaines à Ténériffe pour préparer Liège-Bastogne-Liège et le Tour de Romandie. Une bronchite l’a amené à déclarer forfait pour la Doyenne mais on n’a rien remarqué de sa maladie en Romandie. Il a terminé deuxième de l’étape-reine, derrière Simon Spilak, et a enlevé le contre-la-montre. Ce fut un soulagement, après une période d’incertitudes, essentiellement à cause de son dos.

Après un bref répit à Monaco, un nouveau stage à Ténériffe et la reconnaissance de quelques étapes du Tour, notamment les anglaises et celle avec les pavés, Froome a couru le Dauphiné début juin avant d’affûter sa condition à Monaco. Il n’aura que 28 jours de course dans les jambes au début du Tour de France.

Entraînement et ascensions

CONTADOR

Fly like a butterfly, sting like a bee. Ça, c’était Contador avant sa suspension. L’année dernière, il n’a décoché aucune flèche en côte. « Demandez à certains coureurs pourquoi ils étaient capables de certaines choses avant et plus maintenant », a déclaré Froome à ce sujet pendant le dernier Tour, en faisant clairement allusion à l’Espagnol.

Ancien dopé ou pas, Contador a retrouvé ses jambes de grimpeur, qu’il n’avait plus montrées depuis le Giro 2011. Son attaque au Passo Lanciano, à Tirreno, a été impressionnante, de même que la façon dont il a balayé Valverde et Cie au Tour du Pays Basque.

Il le doit notamment à son nouvel entraîneur, Steven de Jongh, le directeur d’équipe limogé par Sky fin 2012, suite à ses aveux de dopage. Passé chez Saxo-Tinkoff, le Néerlandais avait déjà parlé avec Contador de nouvelles méthodes d’entraînement l’année dernière mais l’Espagnol, qui s’entraînait seul, n’avait pas mordu. Fin octobre 2013, il a téléphoné à De Jongh. « En accord avec Bjarne Riis, nous avons concocté un programme d’entraînement pour tout l’hiver », a expliqué le Batave.

« La principale adaptation est que ce programme s’étendait jusqu’à la fin février, afin d’offrir à Alberto une base plus solide. L’année dernière, après un long break, il avait dû se refaire une forme trop vite et trop intensément, puisqu’il reprenait la compétition fin janvier au Tour de San Luis puis au Tour d’Oman. Cela faisait deux longs déplacements, très fatigants de surcroît, alors que le Tour d’Algarve se déroule en Europe. »

Non seulement il a consacré plus de temps à son entraînement mais celui-ci a été plus structuré. « Jusqu’à l’année passée, Alberto roulait à l’instinct. Il se surchargeait au mauvais moment et s’infligeait trop peu de séances intenses. Nous avons travaillé selon un schéma fixe, en parcourant toutes les zones de wattage et en insérant des pauses aux bons moments. Alberto a également travaillé la stabilisation du tronc, ce qui lui permet maintenant d’exercer une pression plus directe sur ses pédales. »

De Jongh ne nie pas qu’il a partiellement copié l’approche de Sky. « Nous avons introduit des séances de puissance à vélo et accru les entraînements intenses en côte. Alberto exerce maintenant une ascension efficace, en restant assis. Il développe ainsi plus de puissance qu’en courant en danseuse mais il prend plus de vent. Je lui demande donc de rester la moitié de l’entraînement en selle tout en pédalant au wattage requis. »

Contador a perdu deux ou trois kilos en l’espace d’un an. « Il n’a pas modifié son régime. Depuis l’affaire, il se passe de viande, à part le poulet. Il a toutefois adapté les quantités, surtout quand il ne s’entraîne pas. » Il peut encore s’affûter, même si De Jongh se refuse à communiquer le poids que Contador espère atteindre en prévision du Tour. Selon le site de son équipe, il pèse 62 kilos pour 1m76 et il devrait encore maigrir.

FROOME

Si Contador s’est longtemps fié à son instinct, Sky ne pense qu’aux chiffres. A Ténériffe, l’équipe fait même suivre ses coureurs par un engin surnommé Black Betty, rempli de moniteurs qui retransmettent en temps réel le pouls et le wattage. Mesurer, c’est savoir, selon une philosophie extrêmement structurée introduite par Tim Kerrison, un ancien rameur australien, physiologue du sport, qui a appliqué ces méthodes en natation et en poursuite par équipes sur piste. Principe de base: augmenter l’endurance et la VO2 Max en franchissant des cols en respectant un certain wattage, comme Lance Armstrong le faisait sur le conseil du Dr Michele Ferrari. Cette méthode, révolutionnaire en cyclisme, a été perfectionnée par Kerrison, un ordinateur chiffrant la capacité que doit avoir un coureur pour gagner le Tour et par conséquence ses besoins en matière d’entraînement. C’est tellement intense que Froome dit se sentir mieux en compétition qu’à l’entraînement.

C’est de cette méthode que le Britannique tire l’aisance avec laquelle il a démarré l’année dernière à Ax 3 Domaines et au Ventoux, en plaçant notamment un démarrage impressionnant sur la Montagne Chauve, avec le même petit braquet et sans se mettre en danseuse, atteignant 115 coups de pédales par minute pendant plusieurs centaines de mètres. C’était le résultat d’intervalles en côte. « Il ne faut pas maintenir un rythme constant pendant un temps déterminé mais changer de wattage », explique Tim Kerrison. « Par exemple en roulant à 450 watts puis en passant à 650 pendant dix à vingt secondes, en allant donc dans le rouge, pour apprendre à creuser un écart en course. On peut aussi ralentir un peu après ce bref effort soutenu. Cela permet à Chris de faire baisser son taux d’acide lactique pour replacer une accélération. »

Selon le coach, il faut s’y exercer une longue période, trois à quatre fois par semaine, dont une fois à la fréquence de pédalage la plus élevée possible, à la Armstrong. Pas en danseuse mais assis, dans une position plus aérodynamique, même en côte. Ce n’est pas un hasard si De Jongh tente d’inculquer ce style à Contador.

Froome effectue ses séances spartiates au volcan de Teide, à Ténériffe, ou dans l’arrière-pays monégasque, notamment au Col de la Madone, où Armstrong s’est souvent fait souffrir. Pour Froome, c’est une référence. Le Boss a un jour gravi la Madone en 30’45 ». Dans sa biographie, il fait état qu’une semaine avant le Tour 2013, il avait signé à cet endroit un chrono de 30’09 ». Ce qui a incité Michele Ferrari à conclure, sur son site: « Cela représente une moyenne de 450 watts ou 6,71 watts par kilo. Bien sûr que Froome peut gagner le Tour. »

Le Britannique a été particulièrement dominant et pourtant, Kerrison pense qu’il peut encore progresser. « Chris n’est que dans la première phase de son développement. Son wattage n’a pas beaucoup augmenté ces dernières années. Il a surtout amélioré son aptitude à déployer sa puissance au bon moment, en course. Chris sera encore plus efficace dans les prochaines années. »

Surtout s’il perfectionne son style, genoux et coudes écartés. Ce n’est pas par hasard que Christian Prudhomme, le patron du Tour, l’a appelé le Paula Radcliffe du cyclisme -la célèbre marathonienne. Pourtant, à la Vuelta 2011, le Kenyan blanc avait affirmé moins remuer son buste.

Froome ne sera jamais un pédaleur de charme. Il ne pèserait que 66 kilos pour 1m86 au Tour. Il observe un régime spécial, basé sur le riz (il ne digère ni le pain ni les pâtes), beaucoup de fruits et légumes, y compris en jus, de nectar d’agave à la place du sucre, d’huile de poisson, d’avoine enrichie en protéines et de gâteaux de riz confectionnés par Sky. Le régime idéal pour rester maigre mais aussi pour franchir les cols.

Contre le chrono

CONTADOR

En 2013, Contador a touché le fond au Dauphiné: il a perdu trois minutes sur Froome en 32 kilomètres. Au Tour, l’Espagnol a terminé quinzième, avec deux minutes de retard sur le Britannique dans l’épreuve contre le chrono de 33 kilomètres menant au Mont Saint-Michel. Toutefois, dans le contre-la-montre plus vallonné de Chorges, il a progressé, ne concédant que neuf secondes à son rival. Voilà des prestations très irrégulières dans une discipline dans laquelle Contador s’est pourtant souvent distingué, jadis. Au Tour 2009, il avait même battu Fabian Cancellara dans l’ultime contre-la-montre.

Pour retrouver son niveau, El Pistolero s’est rendu dans le tunnel à vent de Specialized, en Californie, en novembre. Des ingénieurs ont légèrement adapté sa position, relevant un rien les appuie-coudes, pour réduire la surface frontale et ainsi améliorer l’aérodynamique du coureur.

La position de Contador n’est toujours pas optimale, selon Robin Decottignies, spécialiste de biomécanique de l’Energy Lab. « Ses hanches forment un angle très fermé. Plus il est fermé, moins on dégage de puissance du dos et des fesses. C’est pour ça que Contador s’avance autant sur sa selle : il ouvre ainsi l’angle. Mais ce mouvement de compensation, effectué malgré un caoutchouc de freinage, le déstabilise et lui fait donc perdre de la puissance. »

Specialized a tenté de résoudre le problème par une nouvelle selle sans nez: plus courte, cette selle peut être montée vers l’avant. Après un mois, Contador l’a abandonnée. « Peut-être », avance Decottignies, « parce qu’il souffrait plus de frottements. »

Sa nouvelle position et plus de séances contre le chrono, surtout en fin de parcours, ont quand même porté leurs fruits. L’Espagnol a terminé quatrième en Algarve, derrière les spécialistes Tony Martin, Adriano Malori et Michael Kwiatkowski. Au Tour du Pays Basque, il n’a été devancé que par Martin. Selon Bjarne Riis, c’est la performance la plus importante de Contador cette année. « Ça lui booste le moral en prévision du crucial contre-la-montre de 54 kilomètres au Tour. »

FROOME

C’est l’atout de Froome: il est le meilleur contre le chrono, de tous les spécialistes des tours. Il a déjà dévoilé son talent en la matière durant son premier Tour, en 2008, terminant 14e du contre-la-montre final. L’Africain a terminé deuxième derrière Martin de l’épreuve de Salamanque, à la Vuelta 2011, le Tour durant lequel il a émergé, précédant Wiggins et Cancellara. Il a confirmé cette performance depuis, terminant deux fois deuxième derrière Wiggins au Tour 2012, deuxième derrière Martin dans le contre-la-montre plat de Bretagne au dernier Tour et premier de l’épreuve de Chorges. Cette saison, au Tour de Romandie, il a pris la mesure du champion du monde allemand, avec 84 centièmes d’avance sur un parcours pourtant taillé à la mesure de Martin, à part une forte côte. Froome a quand même gagné. Ça en dit long.

Pourtant, il n’a tâté du tunnel à vent qu’en mai 2013, à Southampton. Il a peaufiné quelques détails car d’après Robin Decottignies, sa position frôle la perfection. « Sa surface frontale est excellente. Il rentre coudes et épaules. Contador aussi mais les hanches de Froome sont plus ouvertes. Il est donc plus stable et plus puissant, d’autant que la selle conçue par fi:zi’k peut être avancée.

Les coudes de Froome forment un angle droit. Ils sont plus fermés que ceux de Contador, ce qui soulage son cou et ses clavicules. Il sort moins de sa position aérodynamique, ce qui est particulièrement intéressant dans les longs contre-la-montre. En montée, Contador se redresse plus vite tandis que Froome reste assis, conservant son aérodynamisme. »

Autre fait saillant, le coureur Sky est un des rares à utiliser des plateaux ovales. Decottignies: « Le principe de cette forme elliptique est de réduire le moment où on exerce moins de force -quand un pied est en haut et l’autre en bas- tout en prolongeant le temps de poussée maximale, quand un pied pousse la pédale vers le bas. Selon le fabricant, o.symetric, cela fournit un gain de puissance de 10%. Evidemment, il y a toujours une marge entre la théorie et la pratique. »

La tactique

CONTADOR

« L’ange sur mon épaule m’a soufflé de ne prendre aucun risque mais le diable m’y a poussé. J’ai écouté celui-ci. Pourquoi ? Aucune idée, l’instinct », a déclaré Contador après son fameux raid vers Fuente De dans la Vuelta 2012. Depuis ses débuts, il participe à chaque course pour la gagner et il essaie de la visualiser avant le départ. El Pistolero préfère tirer que terminer passivement deuxième. Au Tour 2013, il a tenté le tout pour le tout dans la descente du Col de Sarenne, vers l’Alpe d’Huez, avec son coéquipier Roman Kreuziger. L’attaque a été vaine, puisqu’il en a payé le contrecoup ensuite, à cause de sa mauvaise forme.

Avant, dans l’étape en éventail de Saint-Amand-Montrond, Contador avait placé une attaque réussie avec OPQS et Belkin, flanqué de cinq coéquipiers -ce n’était pas un hasard. Il y a cinq ans, il s’était fait surprendre par son coéquipier Lance Armstrong dans l’étape venteuse de La Grande Motte mais le sens tactique de Bjarne Riis l’aide à perdre moins de plumes.

Après cinq victoires dans les grands tours, sans compter ses succès au Giro et au Tour en 2011 et en 2010, l’Espagnol sait comment aborder pareille épreuve et quand frapper. Steven de Jongh: « A Tirreno, le scénario étudié par Alberto le matin de l’étape du Muro di Guardiagrele s’est réalisé de bout en bout. Il savait qu’il devait lâcher Kwiatkowski au Passo Lanciano et il l’a fait. Alberto n’est pas non plus un coureur qui suit aveuglément les ordres de son directeur. Il apporte ses idées et il veut en discuter. Il est très intelligent. »

FROOME

Le diable dont parle Contador se pose parfois sur les épaules de Froome. Il attaque encore plus que l’Espagnol mais pas toujours au bon moment, comme dans la deuxième étape du Tour 2013, quand il a démarré dans l’ultime côte, à dix kilomètres de l’arrivée à Ajaccio, alors qu’un coéquipier était en tête. Une démonstration de force inutile.

De temps à autre, il faut brider le Britannique. Dans la première étape des Pyrénées vers Ax 3 Domaines, il a voulu attaquer mais Kim Kerrison a insisté pour qu’il augmente progressivement le rythme en attendant patiemment le bon moment. Froome s’est exécuté.

Il a été moins patient au Ventoux: au lieu de défendre son maillot jaune, comme on s’y attendait, il a infligé un uppercut à ses concurrents en s’échappant seul. « Je voulais leur délivrer un message: vous roulez pour la deuxième place », a-t-il ensuite expliqué, en reconnaissant avoir risqué de se brûler les ailes. Il y a échappé mais quelques jours plus tard, à l’Alpe d’Huez, il a craqué. Il a payé les attaques lancées en début d’ascension à quatre kilomètres de l’arrivée, perdant une minute par rapport à Quintana et à Rodriguez, notamment parce qu’une panne avait empêché la voiture suiveuse de le ravitailler et qu’il avait eu une petite hypoglycémie.

Ce n’était pas la première fois que Sky dérapait. Vers Bagnères-de-Bigorre, Froome a été isolé parce que ses coéquipiers, dont certains n’étaient pas en super forme, s’étaient épuisés au début en voulant contrer chaque attaque. De même, le maillot jaune a payé son inexpérience spécifique de la compétition dans l’étape en éventail de Saint-Amand-Montrond. Ce n’est donc pas pour rien qu’il estime avoir une marge de progression sur le plan tactique. S’il peut, de même que ses coéquipiers, pallier cette carence, il placera Alberto Contador devant la mission la plus difficile de sa carrière. ?

La force mentale

CONTADOR

El Pistolero est dans la vie comme en côte: il se redresse après chaque contrecoup. Ce fut déjà le cas en 2004. Juste après son opération au cerveau, il a ressorti sa devise: vouloir, c’est pouvoir. Ou encore au Tour 2009, quand le clan Armstrong l’a isolé au sein d’Astana: apparemment imperméable à la situation, il a plié le Tour comme il le voulait, seul. Il y a encore la Vuelta 2012: pendant le jour de repos, elle semblait acquise à Rodriguez mais Contador a rétorqué, résolu : « C’est moi qui ai répondu quand la presse lui a demandé qui allait gagner. » Le lendemain, dans l’étape de Fuente De, il a placé une attaque-éclair, mettant son rival échec et mat. La victoire récompensait la rage de vaincre qu’il avait affichée pendant sa suspension, malgré les discussions sur sa crédibilité. Il avait abattu des milliers de kilomètres à vélo, pendant des mois.

Avoir survécu à cette période difficile l’a rendu plus fort et l’a aidé à se battre pour revenir après la saison passée. Parfois obsessionnel dans le passé, il a trouvé un meilleur équilibre de vie.

Selon Steven De Jongh, ça fait de lui un leader plus fort. « À Tirreno, j’ai été frappé par son calme. Empreint d’assurance, il n’a pas laissé entrevoir le moindre stress. Il n’avait pas prévu de gagner mais il a osé affirmer qu’il était bon et qu’il visait la victoire. Autre fait très important: Alberto fait preuve de beaucoup de respect à l’égard de ses coéquipiers, qui l’apprécient et sont prêts à aller au feu pour lui. »

FROOME

Il n’y a pas coureur plus poli mais derrière cette image de boy-scout se cache, d’après Dave Brailsford, le manager de Sky, « un killer capable d’encaisser, un homme doté d’un engagement exceptionnel. » Pas seulement à vélo mais aussi dans la vie. A la Côte d’Azur, Froome va régulièrement plonger. Il harponne des poulpes et leur brise le crâne sur les rochers sans la moindre pitié, comme il l’a fait avec ses concurrents au dernier Tour. Pourtant, son statut de favori l’avait mis sous pression, comme le fait qu’il ait requis le leadership de Sky, mais il a très bien géré la situation, comme les nombreuses questions qui lui ont été posées sur le dopage. En 2012, Froome a beaucoup appris dans l’ombre de Wiggins. Pendant les courses de préparation à la dernière édition du Tour, non seulement il a gagné mais il a appris à gérer son rôle de leader.

Ces expériences l’ont aidé dans l’étape de Bagnères-de-Bigorre quand il s’est retrouvé seul, le lendemain de la démonstration de Sky à Ax 3 Domaines. Le maillot jaune a paniqué l’espace d’un instant mais il a alors pensé à ce que sa mère, décédée, lui aurait dit un jour : « Reste calme et établis un plan de bataille. » C’est ce qu’il a fait, en ne laissant pas un centimètre à Nairo Quintana et Cie, pour atteindre le finish sans souci.

Sa mère reste sa grande source de motivation. Elle l’était déjà durant son premier Tour, en 2008, qu’il a couru peu après son décès d’un cancer de la moëlle épinière. Le néo pro en a vu de toutes les couleurs mais il est arrivé à Paris. Il a ensuite déclaré n’avoir jamais imaginé, alors, qu’il lutterait un jour pour le maillot jaune. Il n’a obtenu cette certitude qu’à la Vuelta 2011, quand il a franchi l’étape montagneuse de La Covatilla en compagnie des meilleurs, juste derrière Wiggins, qui était alors son patron.

Depuis, Froome a l’oeil du tigre, une concentration extrême. Il flirte avec ses limites à chaque entraînement, à chaque course. Ce style de vie force le respect et l’admiration de ses coéquipiers, d’autant qu’il ne s’énerve jamais et qu’il ne manque jamais de leur demander comment ils vont et de les remercier pour leur travail, parfois plusieurs fois par jour. Aux Champs-Élysées, alors qu’il était maillot jaune, il avait même aidé son premier valet et ami, Richie Porte, une attention qui avait ému aux larmes le Tasmanien.

C’est Wiggins qui le lui a appris…. Contre son gré. En 2012, l’humeur capricieuse de celui-ci a pesé sur l’équipe alors que Froome plaisante beaucoup avec ses coéquipiers. Il sait que des amis peuvent toujours en faire un peu plus en course. Toutefois, il est le premier à l’admettre, il doit encore améliorer sa communication.

par Jonas Créteur

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