© BELGAIMAGE - DAVID STOCKMAN

« Je ne veux pas vivre dans le passé »

Quinze ans après son titre mondial, Filip Meirhaeghe (47) se rend pour la neuvième fois au championnat du monde de VTT, en tant que sélectionneur. Il ne s’est pas défait de sa maniaquerie : il inculque à ses coureurs l’art de couper les angles et de chercher les traces.

Schorisse, au coeur des Ardennes flamandes. Le ruisseau Pauwelsbeek se fraie un chemin jusqu’au moulin où réside Filip Meirhaeghe depuis seize ans.  » Pendant ma carrière, j’étais absent 250 jours par an mais c’est ici, dans la Provence flamande, que je me ressourçais. En plus, mes enfants, âgés de huit et dix ans, peuvent s’ébattre tranquillement en rue.  »

La rue en question a été pavée, partiellement grâce à Meirhaeghe, échevin de Maarkedal depuis 2012.  » L’organisateur d’une course cycliste m’a déjà téléphoné. Le peloton pourrait passer ici en 2019. Cette rue forme un beau duo avec le Taaienberg, situé deux kilomètres plus loin.  »

Le cyclisme sur route est accessoire à ses yeux, lui qui se consacre au VTT. Il est sélectionneur des jeunes Belges depuis 2010 et a ajouté les élites à ses fonctions en 2017.  » La fédération m’a proposé le job après mon dernier Mondial, en 2009. Ma femme m’a encouragé : – Tu ne serais jamais heureux si tu ne restes pas dans le milieu du VTT. Elle avait raison et je n’ai pas hésité. Je fais du VTT depuis 1987. Je suis probablement le plus ancien du milieu. Il eût été dommage de ne pas partager mon expérience.  »

Meirhaeghe regorge de compétence. Il a notamment été champion du monde 2003 et médaillé olympique.  » Étrangement, les gens se souviennent plus de ma médaille d’argent à Sydney que de mon titre mondial à Lugano. C’est la magie des Jeux… Mais le maillot arc-en-ciel était plus spécial à mes yeux. Après trois podiums, je pouvais enfin monter sur la plus haute marche. Sans larmes, zen. Le bonheur pur.

Ma victoire en coupe du monde à Houffalize était particulière aussi, de même que mon succès le plus spectaculaire, la manche de Calgary : à deux tours de la fin, j’accusais deux minutes de retard mais il a commencé à pleuvoir et la boue m’a permis d’exploiter ma technique et de m’imposer avec deux minutes d’avance. Le speaker de l’époque, qui est toujours en poste, vient encore de me dire qu’il n’avait jamais vu pareil exploit.  »

 » Je ne veux pas vivre dans le passé  »

Repasses-tu souvent les films des courses de Lugano, Sydney, Calgary ?

Non. Il n’y a d’ailleurs aucun souvenir dans la maison. Mes médailles sont dans un sac en plastique, dans mon bureau, et j’ai vendu la plupart de mes maillots pour une bonne oeuvre. Je n’ai conservé que les maillots des podiums, qui sont quelque part dans une caisse. Je n’éprouve pas le besoin de les voir tous les jours car je ne veux pas vivre dans le passé.

C’est surtout pendant les courses que mes souvenirs remontent à la surface. Comme hier, à La Bresse. J’ai eu la chair de poule avant le départ, comme si je participais à l’épreuve. C’est ce qui me manque : la compétition pure, même si j’essaie d’être le meilleur sélectionneur possible.

Qu’apportes-tu à ce poste ?

Je suis un spécialiste des traces. J’y investis beaucoup de temps avant chaque course. Je roule moi-même. Je ne suis plus en parfaite condition mais ma technique est intacte. Certains de mes coureurs prennent même ma roue pour voir comment je coupe un virage ou une descente raide. Je ne suis pas aveuglément les traces des autres, j’en chercher de nouvelles, meilleures.

J’apporte également un plus sur le plan tactique, par exemple en déterminant le meilleur endroit où prendre la tête, avant un sprint. En général, c’est celui qui amorce le dernier tournant en premier qui gagne. J’en discute avec mes coureurs : voilà le bon endroit. Parfois, il est loin de l’arrivée mais s’il n’y a plus beaucoup d’endroits où dépasser ensuite, il suffit de jouer un peu des coudes pour rester en tête, même si on n’est pas le meilleur.

Je suis très attentif aux détails, pour prévenir les conflits et le stress. Les mécaniciens doivent tester les vélos avant la course, les coureurs doivent contrôler eux-mêmes la pression des pneus pour ne pas venir se plaindre après, le déroulement de la journée est soigneusement établi, pour que chacun sache ce qu’il doit faire et quand. Ce sont des détails mais ils comptent. Les coureurs ne peuvent être performants que s’ils font partie d’un ensemble positif, que l’ambiance est bonne. J’attache beaucoup d’importance à l’esprit de groupe, au respect mutuel. Par exemple, nous devons manger tous ensemble le soir, à 19 heures précises, y compris les mécaniciens.

Ce qui me manque, c’est la compétition pure. Même si j’essaie d’être le meilleur sélectionneur possible.  » – Filip Meirhaeghe

 » Avec moi, il faut s’accrocher  »

Tu encourages tes coureurs avec beaucoup d’enthousiasme.

Parce que j’aimais ça. Je n’apporte rien à un coureur en lui disant froidement :  » Allez Githa…  » Non, il faut y mettre de la conviction. Un espoir me le demande : – Filip, peux-tu te poster dans la côte la plus raide ? Il sait qu’il s’accrochera grâce à mes encouragements.

Je tente de voir mes coureurs le plus possible en course. Je dois donc beaucoup courir. J’abats facilement vingt kilomètres en une journée, sur quatre manches. Mon record est de 27 kilomètres.

J’étudie soigneusement les endroits où couper le parcours, où il y aura moins de supporters, pour que mes encouragements ne soient pas noyés sous les cloches suisses. Heureusement, la plupart des gens s’écartent volontiers, ce qui me permet de courir à l’autre point du parcours.

Je ne crie pas n’importe quoi. Je donne des informations concrètes : place, retard exact sur le coureur précédent car il ne faut jamais mentir. Comme ça, les coureurs peuvent calculer s’ils peuvent le rattraper. J’essaie de les convaincre qu’ils y parviendront.

A ta grande satisfaction s’ils réussissent, comme à l’EURO de Glasgow, où Githa Michiels a gagné la médaille de bronze.

Filip Meirhaeghe au championnat d'Europe 1998.
Filip Meirhaeghe au championnat d’Europe 1998.© belgaimage

Les émotions du passé remontent alors à la surface. Il m’arrive d’avoir les larmes aux yeux le long du parcours, même si je les dissimule avec mes lunettes solaires ! Le kick d’une victoire personnelle est plus long mais je suis toujours heureux car j’ai contribué à cette performance par ma préparation et mes encouragements.

Tu n’as pas encore fêté de grands succès au poste de sélectionneur, faute de véritables ténors. Ça ne te dérange pas ?

Non car mon apport est plus conséquent que si je travaillais avec des talents qui n’ont plus grand-chose à apprendre. Emeline Detilleux a terminé douzième de l’EURO pour espoirs, une belle place pour une première année. Elle est tombée dans mes bras, tellement elle était contente. Ça me fait autant plaisir qu’une victoire. Ce qui compte, c’est que les coureurs exploitent leur potentiel et vivent à 100 % pour leur sport. Je ne supporte pas qu’on abandonne. A moins d’être vraiment mort. Et encore. Mes coureurs le savent. Ils doivent s’accrocher, ne serait-ce que par respect pour leur entourage, les supporters et la fédération.

 » Il est important de penser à long terme  »

Comment un ancien coureur aussi maniaque que toi s’accommode-t-il de personnes moins motivées ?

Très mal. Je peux les corriger mais pas leur tenir la main au quotidien : va au lit, mange ça… Ils se punissent eux-mêmes car ils n’arriveront jamais.

Tu dois te reconnaître en Githa Michiels, qui est très attentive aux détails.

Oui. Elle met tout en oeuvre pour réussir. Hier, elle était au lit, les jambes surélevées. Pour récupérer car les coureurs doivent marcher le moins possible. Elle prend l’auto même si le restaurant est à 300 mètres. Je faisais pareil. Githa est spéciale. Elle n’est pas facile et elle en est consciente. Il faut accepter ce trait, tant qu’il n’est pas extrême. Par exemple, Githa ne mange que du poulet ou du poisson. Nous arrangeons ça avec le cuisinier. Ce n’est pas grand-chose et ça lui permet de se sentir bien.

Certains de mes coureurs prennent ma roue pour voir comment je coupe un virage ou une descente raide.  » – Filip Meirhaeghe

Tu avais des techniques spéciales de motivation. Tu collais partout des post-it, par exemple. Emploies-tu encore ce genre de trucs ?

Non, je ne vais plus aussi loin. Mais j’essaie de parler régulièrement aux coureurs, pour leur insuffler confiance, surtout à ceux qui doutent d’eux, comme Githa. Je dois la tranquilliser alors que je dois en placer d’autres sous pression. Quand je courais, j’avais besoin de pression. A mes débuts au poste d’entraîneur, je pensais que tout le monde avait besoin de pression mais j’ai compris que je devais adapter mon approche à chaque individu. Il faut discuter du moindre problème et essayer de le muer en quelque chose de positif.

Je plante aussi des graines. Au sens figuré, hein ! Par exemple, je dis à l’espoir Pierre De Froidmont qu’il peut participer aux Jeux de Tokyo, même s’il n’aura que 23 ans et sera élite première année. Il est très important de penser à long terme, pour donner aux coureurs un objectif et une motivation supplémentaire : ils ne doivent pas se concentrer uniquement sur la prochaine course. Je le répète plusieurs fois, pour être sûr que le message passe, en espérant que la petite graine donne une belle plante.

 » L’epo restera toujours une page noire de ma biographie  »

On n’a pas oublié que tu avais pris de l’EPO en 2004. En parles-tu avec tes coureurs ?

Peu. Certains ont lu mon livre (  » Positief « , ndlr) mais nous en parlons rarement. Ils sont occupés par leur propre carrière. Je n’ai pas le moindre doute sur mes coureurs mais s’ils ont des questions, j’en parlerai ouvertement et je les mettrai en garde. Je connais les conséquences…

Te reproche-t-on ce faux-pas ?

Les coureurs de certaines nations m’ont parfois regardé de travers, au début, et le coach d’un ancien spécialiste belge de cyclocross m’a un jour adressé des reproches. Ça m’a fait mal mais c’est un cas unique.

A l’époque, j’ai immédiatement avoué, sans chercher d’excuses style « c’était dans mon steak ». Cette attitude m’a manifestement valu beaucoup de sympathie et m’a permis de reprendre la compétition après ma suspension puis de devenir sélectionneur. Les gens n’ont pas oublié. Beaucoup de personnes se souviennent de ma conférence de presse mais ils m’ont pardonné.

T’es-tu pardonné aussi ?

Non, ça restera toujours une page noire de ma biographie. Je le regrette toujours, même si les autres ont passé l’éponge. Heureusement, sinon l’épreuve aurait été encore plus pénible.

Tu as souffert d’une longue dépression. Où en es-tu ?

Je n’en suis pas encore très éloigné. Des gens me disent que ça m’a sans doute endurci. Que non, c’est tout le contraire. Je reste très fragile. Je suis toujours en proie à des pensées négatives. Ce n’est pas parce que j’ai une famille fantastique et un emploi agréable qu’elles vont disparaître.

Je consulte régulièrement un psychologue. Ce n’est plus un tabou mais il faut encourager cette pratique encore plus, à titre de prévention. Ça éviterait beaucoup de dépressions. Et ça aide car malgré mon passé et ces pensées négatives, je suis vraiment heureux.

Jonas Creteur

Bourgmestre de Maarkedal ?

Filip Meirhaeghe:
Filip Meirhaeghe: « L’après-EPO ? Je reste très fragile. Je suis toujours en proie à des pensées négatives. »© BELGAIMAGE – DAVID STOCKMAN

En 2012, Filip Meirhaeghe s’est présenté sur la liste de l’Open VLD aux élections communales de Maarkedal. Avec succès, puisqu’il est devenu échevin de la Jeunesse, du Sport et des Finances.  » Les chiffres me fascinent « , sourit Meirhaeghe.

Il nourrit encore plus d’ambitions pour la prochaine législature : il veut devenir bourgmestre. Il est tête de liste. Il a toutefois peu de chances de réussir.  » Nous sommes confrontés au bourgmestre N-VA mais nous ne lui ferons pas de cadeau.  »

S’il réussit, pourra-t-il combiner le maïorat avec son emploi d’entraîneur ?  » Ça doit être faisable. Mais je ne briguerai pas de place sur la liste aux élections parlementaires 2019. Avec mes 12.000 voix de préférence de 2014, j’aurais de réelles chances d’obtenir un siège mais je ne veux pas abandonner le sport. En plus, je préfère la politique communale, qui permet de réaliser des choses concrètes. « 

Filip Meirhaeghe:
Filip Meirhaeghe:  » L’après-EPO ? Je reste très fragile. Je suis toujours en proie à des pensées négatives. « © BELGAIMAGE – DAVID STOCKMAN
Filip Meirhaeghe :
Filip Meirhaeghe :  » Je ne supporte pas qu’on abandonne. A moins d’être vraiment mort. Et encore… « © BELGAIMAGE – DAVID STOCKMAN

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire