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« Eddy Merckx n’aime pas les hommages, il regarde vers l’avenir »

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Nous avions un tas de questions à poser à Eddy Merckx, venu présenter à l’Hôtel de ville de Bruxelles un nouvel ouvrage à son honneur. Visiblement irrité par le programme conséquent d’interviews qui était prévu par l’organisation, « Le Cannibale » a planté une partie du peloton de médias sur place. On en a donc profité pour discuter avec Johny Vansevenant, l’auteur de « 69, L’année Eddy Merckx », qui connaît « L’Ogre de Tervuren » comme sa poche. Et on n’a pas été déçus. Entretien et anecdotes.

Comment avez-vous connu Eddy Merckx ?

J’ai déjà réalisé plusieurs livres sur lui. Un sur ses coéquipiers, un autre intitulé « Dans l’ombre d’Eddy Merckx », une biographie, également. Le premier date de 2006. Après tous ces ouvrages, je me suis dit: ‘C’est fini’. Mais avec l’annonce du Grand Départ du Tour de France à Bruxelles, j’ai eu l’idée d’écrire un bouquin sur cette fameuse année 69, il y a donc 50 ans. Une année où il a écrasé ses adversaires dans de nombreuses courses. Mais aussi une année marquée par des drames : son exclusion du Giro, puis une chute qui l’a fortement diminué. C’est donc à la fois sa meilleure et sa pire année. Une saison en « ups & downs ». Les « downs » ont été particulièrement dramatiques.

L’autre drame de cette année 69, c’est la chute de Merckx et de son entraîneur sur la piste de Blois. Son entraîneur fait un salto de près de 10 mètres et décède sur le coup. Eddy perd conscience et sa hanche est déboitée, ce qui l’a handicapé pour toute la suite de sa carrière dans les courses de montagnes. Après cet accident, il n’a plus jamais gagné des étapes de la même façon.

69, c’est à la fois la meilleure et la pire année de la carrière d’Eddy Merckx.

Vous aviez 11 ans quand vous avez connu Eddy Merckx. Qu’est-ce qu’il représentait pour vous à cet âge-là ?

Il y avait la télé, la radio. C’était fantastique d’avoir un héros de chez nous. J’aimais son caractère. Il n’est pas prétentieux. Il est un peu timide. Mais durant la course, il était tellement dur. Et dans les interviews qui suivaient, il était timide et gentil. Les gens l’ont peut-être un peu oublié, mais pour son retour du Tour de France 69, à l’Hôtel de ville de Bruxelles, il y avait des centaines de milliers de personnes. L’engouement était incroyable, peut-être encore plus grand que pour le retour des Diables Rouges l’été passé. Je m’en souviens encore, la Rue de Loi était bondée, tout comme la Grand-Place. Micheline, sa femme, raconte qu’elle trouvait Eddy un peu timide durant cette célébration. Comme s’il n’avait pas vraiment mérité tout cela.

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Comment êtes-vous entré en contact avec lui ?

J’étais à l’époque journaliste politique. Je l’ai interviewé pour la première fois dans un autre cadre. Le courant est bien passé et on a fait un premier livre sur ses coéquipiers. Il était très content car il les adorait. Il me disait : ‘C’est le plus beau cadeau que l’on puisse faire à ses coéquipiers que de faire un livre sur eux’. Et puis, on a passé des soirées formidables ensemble. Comme ce livre a bien fonctionné, la maison d’édition m’a demandé si je voulais faire la biographie d’Eddy. J’ai accepté et ça a aussi très bien marché. Ces ouvrages ont fait que j’avais des contacts étroits avec lui. Maintenant, on mange de temps en temps ensemble avec ses amis.

A force de collaborer avec lui, vous êtes donc devenus amis ?

J’ai une admiration profonde pour lui. Mais je dois aussi garder ce rôle de « journaliste » pour lui poser les bonnes questions.

Il ne faut pas oublier aussi qu’Eddy est un professionnel dans les médias. Quand je réalisais des interviews avec lui, de temps en temps, il me disait ‘Je vais te dire quelque chose en off’ et je recevais des super informations pour que je comprenne certaines choses, sans qu’il ait d’ennuis.

Il y a deux Eddy Merckx. Un dur et têtu dans la compétition. Un doux et timide dans la vie.

A-t-il déjà lu « 69, l’année Eddy Merckx » ?

Non, pas encore. Mais en général, ce n’est pas lui qui lit mais sa femme. Il va certainement lire des extraits. Le livre est réalisé de façon à ce qu’on puisse le lire facilement, pas comme un roman. On peut le lire par bribes. Par petits articles, par anecdotes.

Qu’est-ce que le grand fan d’Eddy Merckx va découvrir en plus dans ce livre ?

Par exemple, sur ce qu’il s’est passé dans le Tour d’Italie, Merckx donne encore des détails supplémentaires dont personne n’avait connaissance. En général, il lâche des petites phrases croustillantes. Il raconte aussi ses sentiments. Durant Paris-Nice 69, dans le dernier contre-la-montre, il dépasse Jacques Anquetil. C’est un moment historique car cela représente une passation de pouvoir, en quelque sorte. Mais il raconte en fait qu’il en avait marre de devoir faire cela. Car Anquetil représentait un exemple pour lui. Il avait énormément de respect pour sa personne et devoir le dépasser de la sorte – pour l’image-, Merckx n’aimait pas faire ce genre de choses. « Rattraper ‘Monsieur Chrono Anquetil’, cela faisait mal », raconte Eddy dans l’ouvrage. Il donne donc beaucoup de commentaires sur certains évènements.

Vous avez interviewé beaucoup de ses proches ?

Oui, sa femme. Et sa soeur également. Son frère Michel aussi, malheureusement décédé récemment. On y retrouve également des photos d’albums de famille, par exemple. Tous les grands noms de 69 commentent aussi les évènements. Ses concurrents, ses coéquipiers,… Beaucoup de personnes ont la parole.

Il y a beaucoup d’illustrations, aussi.

Oui, on retrouve plus de 280 photos dans l’ouvrage, dont 250 qui n’ont jamais été publiées. J’ai moi-même été dans les caves du Nieuwsblad et de Gazet Van Antwerpen pour découvrir des archives inédites. Revoir tout cela, ça rend nostalgique. On retrouve sa jeunesse.

Merckx était si fort qu’il attaquait toujours à l’improviste, quand il le sentait.

En parlant de nostalgie, vous trouvez que le cyclisme était « mieux avant » ? On a l’impression que maintenant, tout est de plus en plus aseptisé avec les oreillettes et les directeurs sportifs qui mènent presque toute la course. Il y a beaucoup moins de surprises, de spontanéité.

Merckx était si fort qu’il osait prendre des risques. Le directeur sportif n’avait aucune influence sur lui. Il sentait la situation. C’était de l’improvisation totale. S’il sentait qu’il devait attaquer, il attaquait. Eddy attaquait aussi sur plusieurs cols d’une même étape. Maintenant, c’est dans la majorité des cas à la fin que les joueurs attaquent. Disons qu’aujourd’hui, il y a aussi de plus en plus de spécialisations. Pour les tours, les classiques et même dans les classiques elles-mêmes. Eddy, il voulait tout courir. Quand il ne pouvait pas participer à une course, il était malheureux.

Les contacts avec les médias ont aussi fortement changé…

Pour les journalistes, c’était totalement différent, c’est clair. Ils vivaient presque avec les coureurs. Ils mangeaient avec, discutaient dans leur chambre. Même en tant que supporter, on connaissait des coureurs. Maintenant, c’est beaucoup plus internationalisé. On les connaît moins.

C’est le livre le plus complet le concernant ?

Oui, certainement. On découvre Eddy Merckx de l’intérieur.

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Le Grand Départ du Tour à Bruxelles est dans un mois, déjà. Est-ce que Merckx aime ce genre d’hommages ?

Non. Il est lassé de raconter ses histoires. Les questions/réponses dans les médias audiovisuels, c’est un peu toujours la même chose pour lui. Il ne faut pas oublier qu’il a 74 ans. Toutes ces apparitions, c’est fatiguant. En fait, il n’est pas nostalgique, il le dit clairement. Il regarde vers l’avenir. Il pense surtout à ses enfants et ses petits-enfants. Ça, il adore. S’il raconte le passé, c’est plus pour te faire plaisir qu’autre chose.

Merckx n’est pas nostalgique. Il regarde vers l’avant. S’il raconte le passé, c’est plus pour faire plaisir aux journalistes qu’autre chose.

Ça ne va pas un peu l’ennuyer alors, toutes ces interviews qui vont arriver pour les 50 ans à Bruxelles ?

Oui, ça fait beaucoup pour lui. Mais d’un autre côté, il veut faire plaisir aux gens.

On a l’impression qu’il y a « deux Eddy Merckx ». Comment vous définiriez sa personnalité ?

C’est tout à fait ça. Il y a deux Eddy Merckx. L’Eddy Merckx du cyclisme est très dur et têtu. Mais il y a aussi un Eddy Merckx timide, « doux », qui n’aime pas vraiment le contact avec les gens qu’il ne connaît pas, quand il est hors de la course.

D’ailleurs, d’où vient le surnom, « Le Cannibale » ?

Un de ses coéquipiers de chez Peugeot disait de lui « qu’il voulait tout avoir, tout manger. Que c’était donc un cannibale. » C’est simplement de là que c’est venu.

Propos recueillis par Noé Spies et Blaise Vanderlinden.

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