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Comment Remco Evenepoel est parvenu à faire taire les sceptiques en remportant cette Vuelta 2022

Fabien Chaliaud Journaliste

En devenant le premier Belge à remporter un grand tour depuis Johan De Muynck en 1978 sur la Vuelta, Remco Evenepoel n’est pas encore devenu le nouvel Eddy Merckx annoncé par certains au début de sa carrière. Mais il a franchi quelques marches deux par deux et surtout été en mesure de faire taire les sceptiques, même parmi les rangs de notre rédaction, qui avaient fini par se demander si les courses de trois semaines étaient vraiment taillées pour ses qualités.

C’est l’histoire d’un jeune homme ambitieux et parfois trop sûr de lui. Remco Evenepoel séduit autant qu’il n’agace. Alors qu’il était déjà en route vers la victoire depuis deux, trois étapes, son père Patrick évoque « la négativité, même en Belgique » autour de son champion de fils. L’ancien coureur, dont la victoire au GP de Wallonie n’est que le seul fait d’armes d’une carrière passée dans la dernière partie du peloton, n’a pas tort, même s’il a parfois alimenté les braises suscitant ce rejet de Remco auprès d’une partie du public, à coup de déclarations parfois tapageuses et pas toujours bien senties.

Remco Evenepoel est une comète dans le monde de la Petite Reine. Bien loin des profils actuels, lui qui a d’abord tenté de trouver sa voie dans le football avant de se rendre compte qu’il pourrait peut-être écrire l’histoire la tête dans le guidon. Dès ses premières courses, il impressionne en dominant l’opposition comme on l’avait rarement vu avant. Les suiveurs commencent à entendre de plus en plus souvent ce prénom peu courant : Remco.

Innsbruck, un premier acte fondateur mais déjà des doutes sur ses capacités en haute-montagne

Lors des championnats du monde d’Innsbruck, jamais la course des juniors n’a autant attiré l’attention. Evenepoel remporte le contre-la-montre avec brio et s’impose avec une avance importante sur la course en ligne malgré une chute qui aurait pu lui faire perdre toutes ses chances en début d’épreuve. Deux mois plus tôt, il avait écrasé la concurrence aux championnats d’Europe en Tchéquie devançant Alexandre Balmer et… Carlos Rodriguez de 9’44 . L’Espagnol qui va terminer 7e de cette Vuelta 2022 n’accuse cette fois que 7’57 après 3 semaines de course et de lourdes blessures qui l’ont diminué sur les trois dernières étapes.

Lors des championnats d’Europe 2018, le champion d’Espagne Carlos Rodriguez avait terminé à près de 10 min d’Evenepoel. Il finira à moins de 8 minutes sur cette Vuelta. (Photo by Tim de Waele/Getty Images)

Ces résultats érigent le natif de Schepdaal en nouvel Eddy Merckx. La Belgique attend depuis trop longtemps un champion de cette trempe, capable de briller aussi sur les classiques que les grands tours. Pourtant, malgré ses exploits, certains se demandent déjà si le jeune homme pourra briller en haute-montagne. Malgré sa petite taille, il n’a pas les jambes typiques des grimpeurs avec ses grosses cuisses de footeux et ses petits mollets. De plus, alors qu’il est convoité par la puissante INEOS, il décide de devenir professionnel au sein de la formation Quick.Step. Une bonne idée pour le storytelling, mais l’équipe chère à Patrick Lefevere est-elle suffisamment forte pour porter Evenepoel sur un grand tour, elle qui possède une culture indéniable des classiques mais n’a que rarement brillé dans les classements généraux des épreuves de trois semaines ?

Des victoires en 2019, mais un Tour de Romandie raté

Lors de sa première saison pro, Remco Evenepoel bluffe pourtant beaucoup de monde en remportant le Tour de Belgique, notamment avec le gain d’une étape où il lâche sur le plat un Victor Campenaerts, récemment auréolé du record de l’heure, tel un vulgaire cyclo. Sur la Klasika San Sebastian, sa première classique réputée, il anticipe l’explication finale entre favoris, se débarrasse de son compagnon d’échappée Toms Skuijns et finit par lever les bras le long de la baie. Ces résultats ne convainquent cependant pas tout le monde sur ses capacités à briller sur les grands tours. Il a certes terminé quatrième d’une arrivée au sommet au Tour de Turquie, mais ceux qui le devançaient n’étaient que des coureurs aux palmarès relativement modestes comme Felix Grosschartner, Valerio Conti et Merhawi Kudus. Sur le Tour de Romandie, une course World Tour où la concurrence était bien plus sérieuse, le jeune Evenepoel est à la peine. Succession de cols, météo capricieuse, chutes et altitude. Le Brabançon boit la tasse et ne termine qu’à une anonyme 76e place et une 15e dans le dernier chrono, preuve que ses capacités de récupération ne seraient pas si extraordinaires. A l’Alto Colarado, au Tour de San Juan, une difficulté qui culmine à plus de 2700 mètres, il semble aussi souffrir de l’atitude en ne prenant que la 24e place. Mais s’il s’agit aussi de sa première course pro et de plus il a aussi beaucoup travaillé pour son leader Julian Alaphilippe, alors leader de l’épreuve, dans la première longue ascension en haute montagne de sa carrière. Et puis Richard Carapaz, 4e ce jour-là, allait quand même remporter le Giro quelques mois plus tard.

Remco Evenepoel connaît ses premières chutes en descente et ses premiers doutes lors du Tour de Romandie 2019. (Photo by Luc Claessen/Getty Images)

2020, la Une de Marca, la terrible chute de Sormano et les premiers gros doutes

En 2020, Evenepoel repart au combat plus déterminé que jamais. Il réalise une première partie de saison parfaite avec une victoire sur le Tour de San Juan où il remporte le contre-la-montre devant Filippo Ganna et termine pratiquement avec les meilleurs à l’Alto Colorado, dans les roues de coureurs comme Oscar Sevilla, Brandon McNulty et Guillaume Martin après avoir dû boucher un écart d’1m30 alors qu’il avait été piégé par une bordure dans la plaine. Il enchaîne ensuite avec le Tour d’Algarve en dominant une concurrence un peu plus sérieuse et en s’adjugeant deux étapes dont un Alto de Foia dompté douze mois plus tôt par un coureur alors quasiment anonyme : Tadej Pogacar. Au terme d’un second bouquet d’étape sur le contre-la-montre, Evenepoel s’ajuge le classement final devant Maximilian Schachmann et Miguel Angel Lopez.

Après l’interruption sanitaire qui mettra le monde en standby pendant quelques mois, la Petite Reine reprend ses droits en août avec notamment le Tour de Burgos. Le Picon Blanco est la première arrivée au sommet avec ses 9,1% de moyenne et un sommet culminant à 1500 mètres. Que va faire le jeune Belge sur ce terrain où l’on doute encore de ses capacités ? Et bien, il va écrabouiller la concurrence. Il place une attaque violente à 3 km du sommet et devance George Bennett de 18 secondes et Mikel Landa de 32 secondes. Les Fabio Aru, Richard Carapaz et Simon Yates sont plus loin. « Cet homme est une machine » titre Marca en mettant Evenepoel en Une de son édition du lendemain. Une rareté pour un quotidien où le Real Madrid et Rafael Nadal ont presque toujours droit à la première page. La célébration « footeuse » de Remco qui se dépoussière les épaules ne suscite pas le même enthousiasme. L’arrogance supposée du jeune homme de 20 ans fait grincer des dents dans un milieu où la sobriété est de mise.

Plus rien ne semble arrêter Evenepoel qui va ensuite s’offrir un solo sur les ascensions de moyenne montagne du Tour de Pologne pour s’adjuger le général. Il dédie son succès à Fabio Jakobsen, défiguré trois jours auparavant après un sprint houleux avec Dylan Groenewegen. L’arrogant a quand même du cœur. Le Tour de Lombardie ne semble qu’une étape vers un Giro où il s’annonce en grand favori vu l’absence de grands coureurs au départ et le contexte particulier de cette saison raccourcie post-covid qui chamboule toutes les valeurs établies auparavant. Dans le légendaire Mur de Sormano, Evenepoel dégage une impression de puissance dans les terribles pourcentages de la difficulté lombarde. Puis vint cette descente, cette culbute dans le ravin en haut d’un pont, ces moments de frayeur puis les images du coureur remonté avec une minerve autour du cou. Evenepoel est vivant et c’est le plus important, un peu plus d’un an après le décès d’un autre grand espoir du cyclisme belge : Bjorg Lambrecht. Touché au bassin, Evenepoel pourra-t-il retrouver les sommets auxquels on l’a promis ? Andy Schleck n’avait jamais été en mesure de revenir du même type de fracture et avait rangé son vélo au clou à même pas 30 ans.

COMO, ITALY – AUGUST 15: Remco Evenepoel of Belgium and Team Deceuninck – Quick-Step / Crash / Injury / Abandon / Doctor / Medical / during the 114th Il Lombardia 2020 a 231km race from Bergamo to Como / #ilombardia / @Il_Lombardia / on August 15, 2020 in Como, Italy. (Photo by Tim de Waele/Getty Images) © belga

Un long hiver de rééduction se prépare. Dans l’ombre, Evenepoel accumule les kilomètres. L’objectif, l’aligner sur le Tour d’Italie sans course de préparation. En janvier 2021, on avoue qu’il connaît quelques problèmes pour se remettre totalement de sa chute. Quick.Step fait-elle le bon choix ? Fausto Masnada, son coéquipier, révèle qu’il est pourtant impressionné par son cadet lors des stages de préparation.

Le cadeau empoisonné du Giro

Pour son retour en Italie, Evenepoel ne tarde pas à susciter l’admiration et à lever certains doutes. Septième du prologue disputé à Turin, il résiste plutôt bien dans le mini Tour de Lombardie de la 4e étape et prend le leadership de l’équipe promis à Joao Almeida qui dévisse ce jour-là. Le numéro 1 attribué au Belge plutôt qu’au Portugais était un signe. Il est de retour et sans doute plus tôt qu’espéré. D’autant qu’à Ascoli Piceno lors de la 6e étape, il fait croire aux commentateurs de Sporza qu’il va se parer du maillot rose en s’emparant de la 4e place. Mais ces derniers oublient un peu vite qu’Attila Valter, qui termine 17 secondes plus tard, est bien mieux placé pour enfiler la précieuse tunique. Le sprint intermédiaire disputé avec panache avec Egan Bernal un peu plus tard est aussi en mesure de relancer l’enthousiasme. Et tant pis, si le Colombien enfilera le maillot rose avant lui en levant les bras au sommet de Campo Felice alors que le Brabançon ne termine que quatrième.

Dans la poussière des routes blanches de Montalcino où son futur équipier chez Quick.Step Mauro Schmid rafle la mise, Remco Evenepoel perd pied malgré l’aide d’un Joao Almeida, jouant les larbins alors que l’on sent qu’il est de retour à son meilleur niveau. La tension augmente dans l’équipe belge d’autant que le natif de Schepdaal se prend 2’30 dans les gencives de la part de Bernal sur les pentes du Monte Zoncolan. Il est aussi devancé par de nombreux autres favoris. Entre Belluno et Cortina d’Ampezzo, dans une étape disputée dans des conditions absolument dantesques, Evenepoel se noie dans les Dolomites en terminant à plus de 24 minutes d’un Egan Bernal volant vers son premier succès dans le Giro. Le lendemain, il est rapidement lâché dans l’étape de Sega di Ala, même s’il parvient finalement à revenir dans le coup dans l’avant dernière montée. La descente qui suivra verra le Belge chuter. Il termine loin, meurtri dans sa chair et jette l’éponge le lendemain.

Au final, ce Giro finit par relancer totalement le clan des sceptiques. Remco peine dans les gros pourcentages, Remco ne sait pas descendre, Remco ne sait pas enchaîner les cols, Remco peine avec l’altitude. Et au final, a-t-on retrouver sa meilleure version quelques mois après sa chute dans la descente de Sormano ? Quick.Step ne lui a sans doute pas rendu service en le relançant si rapidement sur une course aussi exigeante que le Giro.

Les victoires sur le Tour de Belgique, le Tour du Danemark ainsi que ses brillants solos sur la course aux raisins d’Overijse et la Brussels Cycling Classic lui redonnent la confiance nécessaire, même si ses qualités de descendeur n’ont de nouveau pas spécialement rassuré au pays de la petite sirène. Il reste aussi des Jeux Olympiques décevants où il n’a jamais pesé sur la course en ligne et terminé qu’à la 9e place du contre-la-montre.

Le psycho-drame de Louvain

Les championnats du monde disputées à Louvain écorneront sans doute encore l’image d’Evenepoel et augmenteront le sentiment de « négativité » évoqué récemment par son père. Alors que Wout van Aert apparaît comme le leader incontesté de la surpuissante formation belge sur le papier, le coq de Schepdaal se lance dans des offensives aussi surprenantes qu’inutiles. Alors qu’il est à l’avant de la course, van Aert demande à Jasper Stuyven de rouler derrière son compatriote. L’homme d’Herentals n’a tout simplement pas les jambes pour conclure, Julian Alaphilippe en profite et se pare d’arc-en-ciel en infligeant un humiliant revers à notre pays.

L’attitude de Remco Evenepoel (ici avec Wout van Aert) après le fiasco belge de Louvain a sans doute joué un rôle dans la mauvaise image dont Evenepoel bénéficie auprès de certaines personnes (Photo by DAVID STOCKMAN/BELGA MAG/AFP via Getty Images)

Ce sont surtout les règlements de compte suivant ce fiasco qui marqueront les esprits. Remco Evenepoel lance la première salve dans une émission télévisée en critiquant la stratégie d’équipe. Ce que n’apprécie pas van Aert, rejoint dans cet avis par son ami Stuyven, qui estime que son cadet n’a pas respecté les consignes et la stratégie établie. Dans ce contexte, la personnalité sûre d’elle et parfois arrogante d’Evenepoel le dessert, une grande majorité du public, à l’exception des fans purs et durs du Brabançon, prend le parti d’un Wout van Aert, gendre idéal et qui reste sur un Tour de France où il a brillé sur trois terrains très différents (le sprint, la montagne et le contre-la-montre) à l’image d’un Eddy Merckx auquel Evenepoel semble de moins en moins ressembler. Forcément difficile de rivaliser avec un homme qui a porté aussi haut sur le prestigieux Mont Ventoux les couleurs noire-jaune-rouge et remporté une médaille d’argent aux Jeux olympiques.

Les polémiques finissent cependant par s’éteindre rapidement et l’année 2022 est l’occasion pour Evenepoel de montrer à tout le monde qu’il est bien ce champion tout-terrain que la Belgique attend depuis si longtemps. Ses deux grandes ambitions pour ce nouvel exercice sont dévoilées rapidement : Liège-Bastogne-Liège et le Tour d’Espagne. Lors de l’hiver, il a pu travailler certains points faibles en disputant une longue course de gravel aux Etats-Unis en compagnie de son coéquipier Mattia Cattaneo et en prenant des cours pour descendre mieux.

Monumental à Liège après des revers de printemps

Première interro lors du Tour de Valence où il s’adjuge avec force la première étape. Malheureusement, la dernière ne dissipe absolument pas les doutes. Sur les portions gravel d’une des ascensions puis sur les pourcentages vertigineux de la dernière montée, Evenepoel craque et perd son maillot de leader au profit d’Aleksandr Vlasov. Confirmation de ces difficultés dans les ascensions difficiles lors de Tirreno-Adriatico où après avoir rivalisé avec Tadej Pogacar lors des étapes de côtes, il dévisse sur le terrible Monte Carpegna et termine à 4’ de Pogacar et 3’ de Jonas Vingegaard.

La victoire sur un Tour d’Algarve taillé pour ses qualités ne suffisent pas à le faire sortir de sa zone de confort. Il doit à nouveau se remettre en question sur le Tour du Pays Basque. Il perd certes son maillot de leader lors de la dernière étape au profit de Daniel Martinez et ne termine qu’à la quatrième place, mais il montre qu’il digère un peu mieux les montées exigeantes. Cependant, un autre constat apparaît. Lors de chacune de ces courses d’une semaine, le Belge a connu un jour moins bien. Qu’en serait-il alors sur une course de trois semaines ?

A Liège, Evenepoel se présente au départ dans un rôle de lieutenant et électron libre de Julian Alaphilippe qui a axé tout son printemps sur la Doyenne. Mais le champion du monde chute violemment à 50 km du but et doit renoncer. Le Remco show va alors être lancé. Il attaque avec violence au sommet de la Redoute. L’image de l’illusion d’optique où on a l’impression que la roue de Neilson Powless décolle du sol, alors qu’il tente de répondre à l’accélération du Belge renforce cette impression de surpuissance. Il retrouve un peu plus loin Bruno Armirail, la machine à rouler française de la FDJ, avant de le passer à la moulinette, de résister aux forts pourcentage de la Roche-aux –Faucons et de lever les bras au Boulevard d’Avroy où il succède à Philippe Gilbert comme dernier Belge vainqueur de la Doyenne. Il devance Quinten Hermans et Wout van Aert qui offre à la Belgique son premier podium 100% noir-jaune-rouge sur la course depuis 1976. Une victoire monumentale qui ne convainc pas les sceptiques. Remco est surtout un grand coureur de classiques. Cela n’en fait pas pour autant un homme capable de briller sur les épreuves de trois semaines.

A Liège-Bastogne-Liège, Evenepoel met les voiles à 28 kilomètres de l’arrivée. Il ne sera plus revu avant le Boulevard d’Avroy (Photo by POOL PETER DE VOECHT/BELGA MAG/AFP via Getty Images)

Le Tour de Norvège propose quelques ascensions longues où le Brabançon pourra encore prouver sa valeur. Il y remporte non seulement le général, mais aussi trois étapes avec des arrivées au sommet et même un sprint, un autre domaine où on ne le trouvait pas très fort. Mais la concurrence n’est pas des plus relevées. Jay Vine, Lukas Plapp, Tobias Halland Johannessen ne sont que des coureurs en devenir, Tao Geoghegan Hart a gagné son Giro sur un malentendu, Esteban Chaves n’est plus que l’ombre de lui-même et après tout même le jeune Cian Uijtdebroeks, que l’on dit promis à un grand avenir sur les courses de trois semaines, a terminé 8e. Le Tour de Suisse est l’occasion de dissiper ces malentendus.

De nouveaux doutes au Tour de Suisse et la réponse de San Sebastian

Sauf que la chaleur et l’altitude semblent s’ajouter comme nouveaux obstacles au rêve d’Evenepoel de briller sur les grands tours. Malgré le gain du contre-la-montre final, Evenepoel a flanché à Novazzano et à Moolsap et termine seulement onzième du général derrière le quadragénaire Domenico Pozzovivo et Maximilian Schachmann et devant le modeste Sebastian Reichenbach. Pas le scénario le plus rassurant du monde à seulement deux mois de cette Vuelta où il doit donner tort à tous ses détracteurs.

Pendant que certains s’épuisent sur les routes du Tour, Evenepoel enchaîne les stages de préparation, en Espagne et dans les Alpes italiennes afin de progresser à ces hautes altitudes qui lui ont joué des tours en Suisse.

Premier test, la Klasika de San Sebastian. La course basque propose un beau parcours mais sa place au calendrier en fait un duel entre coureurs sortants exténués du Tour et prétendants à la Vuelta en rodage. Cette start-list a sans doute favorisé la victoire d’Evenepoel, mais celui-ci a mis du cœur à l’ouvrage en y ajoutant la manière. Quand, il se débarrasse de Simon Yates à 40 kilomètres de l’arrivée, le Britannique vainqueur de la Vuelta en 2018 donne l’allure d’un cyclotouriste. Remco marque les esprits, mais n’est-il pas prêt trop tôt.

Après un Tour de Suisse décevant, Evenepoel travaille tout l’été et revient en force sur la Klasika de San Sebastian. (Photo by Gonzalo Arroyo Moreno/Getty Images) © Reuters

Sur le Tour d’Espagne, Evenepoel a quelques adversaires de choix face à lui. Primoz Roglic, triple tenant du titre, Enric Mas le dauphin du Slovène, Richard Carapaz déjà vainqueur du Giro et qui a terminé sur le podium du Tour et de la Vuelta, Jai Hindley, dernier lauréat du Giro et Simon Yates. On ne parle pas des premiers venus et est-ce de la faute du jeune Belge si les trois derniers cités ne répondront pas aux attentes. Même si dans le cas du Britannique, le coronavirus est une circonstance atténuante.

Au Pico Jano, sous la pluie, Evenepoel punit déjà tous ses rivaux de plus d’1’30, seul Enric Mas parvient à suivre sa cadence infernale. Le Belge enfile la tunique rouge, c’est une première victoire, mais rien ne dit alors qu’il va forcément la garder jusqu’à la fin. Le premier week-end où l’attend deux montées aux pourcentages effrayants dans les Asturies sera un premier grand test. Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’il le réussit brillamment. Il maîtrise ses adversaires au Collau Fancuaya et assène un deuxième coup à ses rivaux à Las Praeres Nava où il devance un autre adolescent aux dents longues, Juan Ayuso (19 ans), de 34 secondes alors que les Mas et Roglic accusent respectivement 44 et 52 secondes de retard. Le contre-la-montre d’Alicante renforcera la domination d’Evenepoel puisqu’il reprend encore 48 secondes sur le Slovène, alors que les Mas, Ayuso, Yates, Rodriguez font mieux que limiter les dégâts. Ils se prennent cependant un éclat entre 1’22 et 2’17 . Le covid fait ensuite son œuvre sur Simon Yates, mais Evenepoel malgré sa confortable avance doit encore résister à l’altitude qui l’attendra lors du second week-end.

Pourcentages, altitude, gestion : il lève les doutes un à un

Sur la Sierra de la Pandera, les doutes ressurgissent. Le Belge lâche prise à 4 kilomètres de l’arrivée et semble en perdition avant de finalement limiter les dégâts et de terminer avec 48 secondes de retard sur Roglic et 20 sur Mas. Evenepoel a chuté deux jours auparavant lors de l’étape menant à la longue ascension de Penas Blancas où il avait finalement aisément maîtrisé l’opposition malgré la distance de cette montée finale. Mais c’est souvent dans les jours qui suivent que les blessures consécutives à une chute sont les plus douloureuses et l’étape de la Pandera confirmait cela. Fallait-il dès lors craindre l’ascension de la Sierra Nevada culminant à 2500 mètres après une dernière montée longue de 25 kilomètres ?

Les Jumbo-Visma mettent le feu dans cette étape et Evenepoel se retrouve rapidement isolé au pied de la dernière ascension où les cinq premiers kilomètres présentent des pentes sévères. Le beau plan de la formation néerlandaise est mis au tapis par un relais trop puissant de Sam Oomen qui grille Rohan Dennis rapidement et asphyxie quelque peu Roglic. Le Slovène se retrouve rapidement seul et contraint à hausser le rythme pour mettre Evenepoel en difficulté. Il n’y parviendra pas et se calera dans les roues alors que la longue portion plus roulante vers le sommet arrive. Là, Evenepoel bénéficie des circonstances de course. Il retrouve Louis Vervaeke, membre de l’échappée matinale, qui lui permettra de souffler quelques kilomètres et pourra compter sur l’animosité existante entre Miguel Angel Lopez et Enric Mas pour éviter de voir leur offensive réussie prendre trop de champs. Derrière Roglic accélère en vue du sommet et reprend une quinzaine de secondes à Evenepoel qui n’aura finalement jamais craqué. La troisième semaine s’annonce bien, même si quelques doutes subsistent quant à sa capacité à garder son train six jours de plus.

A la Vuelta, Remco Evenepoel a souvent dû regarder ses adversaires dans le rétroviseur. (Photo by Tim de Waele/Getty Images)

L’étape post journée de repos aurait pu changer bien des choses. Victime d’une crevaison lente sur la fin de la course, Evenepoel profite de la règle des trois kilomètres pour changer de vélo alors que Primoz Roglic a mis les voiles dans la dernière difficulté du jour. Le Belge sera classé dans le groupe auquel il appartenait avant cet incident mécanique. Une décision qui fera grincer des dents, mais qui prouve aussi le sens de la course d’un garçon qui a pourtant commencé tard le cyclisme. La chance sourit même totalement à Remco avec la chute de Primoz Roglic dans le sprint final. S’il reprend 8 secondes au général, le triple tenant du titre doit jeter l’éponge dès le lendemain. Evenepoel, qui s’est directement inquiété de l’état de santé de son rival au terme de l’étape, est ainsi débarrassé de la plus grosse épine dans son pied.

Reste Enric Mas, bien déterminé à prendre le maximum de points pour sa formation Movistar toujours pas assurée de sa place en World Tour la saison prochaine. L’Espagnol semble très fort lors de la 18e étape arrivant au sommet de l’Alto del Piornal. Les pourcentages faibles de celui-ci ne permettent pas au pur grimpeur espagnol de sortir Evenepoel de sa roue, même si celui-ci grimace par moment. Il est en revanche suffisamment fort pour déposer son adversaire sur le sommet et lever les bras dans sa belle tunique rouge, même s’il prive sans le vouloir le vétéran Robert Gesink d’un succès de prestige sur cette Vuelta. La course est parfois impitoyable et Remco Evenepoel le devient aussi, à l’image de la caste des champions à laquelle il s’invite de plus en plus.

Reste cette dernière étape de montagne où Enric Mas ne sera jamais en mesure de mettre en difficulté un Evenepoel qui a parfois sauté sur toutes les tentatives de ses adversaires sans se mettre dans un rouge moins flatteur que celui de son maillot de leader. Il a encore démontré tout son sens de la course en se plaçant dans la roue d’Enric Mas, même quand il comptait encore Ilan Van Wilder et Louis Vervaeke dans ses parages. Le Brabançon avait bien compris que si l’un d’entre eux craquait dans la roue de son dauphin espagnol, il aurait alors un trou à boucher. C’est cela aussi la gestion de la course, à l’image de descentes dont on a fini par oublier qu’elles constituaient encore un réel point faible il y a encore moins d’un an.

Gros pourcentages, descentes, altitude, endurance sur trois semaines : Evenepoel a balayé tous ces doutes d’un revers de la main. Moins vindicatif dans ses propos sans perdre de sa sincérité, le Belge s’est aussi montré plus humble, n’oubliant pas de remercier à chaque fois tous ceux qui l’ont soutenu. Il n’a pas non plus alimenter les braises que son père avait allumé en affirmant que Wout van Aert ne répondait jamais aux messages de félicitations de son fils. Le leader de la Jumbo a félicité Evenepoel sur les réseaux hier soir après sa victoire. Le vainqueur de la Vuelta l’a simplement remercié. Preuve qu’il est devenu plus adulte sans renoncer à ses ambitions. En évoquant les Mondiaux, il a d’ailleurs affirmé qu’il se mettrait sans problèmes au service de Wout van Aert si ses jambes n’étaient pas bonnes ce dimanche-là.

Remco Evenepoel a regardé son dernier adversaire Enric Mas droit dans les yeux lors des deux dernières étapes de montagne de la Vuelta. (Photo by Tim de Waele/Getty Images)

Remco Evenepoel a beaucoup lu afin de s’améliorer sur sa gestion des événements et de ses émotions. Il a aussi beaucoup travaillé pour corriger ses manquements en ne se cachant jamais même lorsqu’il a subi des revers sur Tirreno-Adriatico et le Tour de Suisse. Les sceptiques n’avaient pas spécialement torts de l’être et sans doute qu’Evenepoel s’est servi de leurs doutes pour les transformer en quelque chose de positif. Et cette fois, il n’a pas dû montrer avec les gestes qu’il balayait ceux qui doutaient (dont l’auteur de cet article) de lui d’un revers de la main sur ses épaules. Il s’est contenté de leur répondre en prenant place sur la plus haute marche du podium avec la Plaza de Cibeles et sa magnifique fontaine dans son dos.

Remco Evenepoel n’est pas encore le nouvel Eddy Merckx et n’a pas encore gagné le Tour. Mais on le lui demande plus vraiment. Il a déjà comblé un vide de 44 ans dans le cyclisme belge et prouvé qu’il était vraiment un coureur de grand tour. Et cela c’est déjà beaucoup.

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