Comment Remco Evenepoel a maîtrisé l’art de contrôler la course et de souffrir

La probabilité que Remco Evenepoel remporte la Vuelta augmente de jour en jour. S’il y parvient, ce ne sera pas seulement grâce à ses capacités physiques extraordinaires, mais aussi grâce à la façon dont il repousse ses limites et celles de ses coéquipiers vers de nouveaux sommets (au sens propre comme au sens figuré).

Lorsque Remco Evenepoel a perdu 42 secondes en seulement 1,1 kilomètres, samedi sur la Sierra de la Pandera, après l’attaque de Primoz Roglic, la Vuelta a semblé basculer complètement en faveur du triple tenant du titre. Le coureur de Quick-Step, avec du kinesio tape sur les ischio-jambiers et un épais bandage sur la cuisse droite, ne semblait plus avoir dans les jambes la puissance qu’il avait montrée lors des deux semaines précédentes. Il n’avait pas aussi pas fait allusion à sa chute deux jours plus tôt dans ses commentaires d’après-course.

Le coureur de 22 ans aurait pu s’effondrer à ce moment là. Autant à cause de la souffrance physique que de la pression mentale. Mais Evenepoel n’a pas paniqué lors des trois kilomètres suivants et n’a plus perdu que six secondes sur Roglic. Les dégâts de ce mauvais jour étaient limités à « seulement » 48 secondes (plus les quatre secondes de bonification). Le maillot rouge était sauvé et il conservait une belle marge avant le deuxième acte du dimanche.

Le citoyen de Schepdaal est resté remarquablement zen dans ses interviews, réalisant que sa journée moins bonne/mauvaise était en grande partie le résultat de sa chute et de ses séquelles.

Une impression que rien ne pouvait le briser

Le plus gros défi à venir était sans aucun doute la dernière ascension du dimanche qui culminait à 2512 mètres, dans la Sierra Nevada. Il avait pris conscience qu’avec un Primoz Roglic et une équipe Jumbo-Visma au moral retrouvé, il risquait d’être encore plus mis sous pression dès les quatre, cinq premiers kilomètres très raides de cet Alto Hoya de la Mora . Monachil.

Remco Evenepoel en difficulté dans la Sierra de la Pandera. (Photo by Tim de Waele/Getty Images)

Le scénario attendu s’est donc déroulé, même l’accélération violente de Sam Oomen a surtout coupé le souffle de son coéquipier Rohan Dennis, et que Roglic n’a ainsi pas pu profiter de l’effet d’aspiration.

Quand Oomen a coincé, Chris Harper a pris le relais avant que le Slovène ne se retrouve trop rapidement aux commandes. Evenepoel a été en mesure de s’accrocher à la roue de Roglic avant de prendre lui-même la tête, à 17,5 km du sommet. Il a alors regardé derrière lui, avec un regard d’acier lançant un « rien ne peut me briser ». Exactement comme celui qu’il avait décoché une semaine plus tôt sur le Pico de Jano, sur le Colláu Fancuaya et sur les Praeres de Nava.

Ce fut suffisant pour couper les ailes de Roglic et le dissuader d’attaquer. Ensuite, le Brabançon a lui-même imposé son tempo constant. Un peu plus tard, il a été relayé par son coéquipier Louis Vervaeke, qui se trouvait dans l’échappée du jour et qui a pu apporter une aide précieuses dans les parties plus roulantes de l’ascension.

André Flahaut (PS): « Nous avons répondu aux inquiétudes de la population. »

Le fragile Evenepoel apparu sur les pentes de la Sierra de la Pandera n’était plus là dimanche, mais on n’a pas revenu non le leader intraitable du week-end précédent puisqu’il n’a pas été en mesure de répondre à l’attaque sèche d’Enric Mas, juste après celle de Miguel Angel Lopez. Peut-être a-t-il fait le choix de laisser un peu de champ au coureur espagnol qui possédait plus de retard sur lui que Roglic. Que ce dernier soit resté dans le groupe du maillot rouge indiquait aussi que ses jambes n’étaient pas celles de la veille.

Dans le dernier kilomètre, Evenepoel a tenté de hausser le rythme, contré par un Roglic qui a récupéré 15 secondes dans l’aventure sur le leader de cette Vuelta. Mais au final de ce week-end en montagne, Remco Evenepoel avait limité les dégâts de bien plus belle manière que sur la Pandera, alors qu’on pouvait craindre le pire.

Il n’a surtout jamais craqué dans sa tête comme s’il avait toujours été un coureur expérimenté, habitué à lutter pour un classement général. Il a aussi montré qu’il maîtrisait l’art de souffrir le samedi, et l’art de contrôler le dimanche. Dans le passé, de son propre aveu, Evenepoel aurait été paralysé dans ces jours de moins bien par un court-circuit mental. Au sommet de la Sierra Nevada, il était cependant fier de sa prestation du jour : « J’ai gagné le jeu mental ».

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Ce processus d’apprentissage déterminera le reste de sa carrière, et son avenir dans les grands tours. Le fait de savoir qu’il peut rester calme en toutes circonstances est certainement positif. Il a perdu deux coéquipiers, Pieter Serry et Julian Alaphilippe, contraints à l’abandon. Il a su se remettre d’une chute intervenue à un mauvais moment. Surmonter un coup de mou dans une ascension finale. Le tout, en restant sous la menace permanente d’une infection au coronavirus. Sous la pression de son propre rêve, et de celui d’une nation cycliste qui aspire à une victoire belge dans un grand tour. Une attente de 44 ans.

Une communication parfaite

Sans oublier la façon dont Evenepoel s’est exprimé à la perfection avec le monde extérieur tout au long de cette Vuelta. Et même pendant toute l’année. Ce n’était pas toujours le cas dans le passé. Là, aussi il a progressé, comme dans d’autres domaines purement cyclistes.

Il s’est aussi totalement affirmé dans son rôle de leader du Wolfpack. Dans aucune interview, il n’oublie de remercier ses coéquipiers avec sincérité. Le jeune Brabançon s’est même excusé dans l’oreillette auprès de ses coéquipiers après sa chute de jeudi.

Un leadership positif qui pousse sa meute de loups à faire feu de tout bois pour lui. La réaction d’Ilan Van Wilder, samedi, au post Instagram d’Evenepoel après sa  » dure journée au bureau  » sur la Sierra de la Pandera était d’ailleurs significative.

« Vas-y, mon garçon. Nous sommes tous là pour toi », a commenté le coureur qui n’a lui aussi que 22 ans et se trouve dans l’ombre de son compatriote depuis la catégorie des juniors. Et pourtant Van Wilder est un garçon très talentueux qui pourrait revendiquer certaines choses.

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Il met désormais ses indéniables au service de son leader. Tout comme Louis Vervaeke, autrefois annoncé comme le nouvel espoir belge pour remporter le Tour. Il se retrouve aussi à se livrer corps et âme pour Evenepoel. Sa réaction après l’étape de dimanche était également frappante : « C’était sympa de voir Remco avec son regard de tueur arriver avec Mas et Roglic dans son sillage. La chair de poule quand Remco était dans ma roue sur la Sierra Nevada. Vous avez tellement d’énergie pour rouler encore plus vite quand vous le faites pour un tel leader », affirmait Vervaeke.


Maître de son destin

Cette dévotion de ses coéquipiers et cette paix intérieure d’Evenepoel sont le résultat d’un long travail commencé en hiver après sa grave chute en Lombardie. Pendant cette période, il a lu des livres sur la psychologie, recommandés par le psychologue de l’équipe Michaël Verschaeve.

Parmi ceux-ci « Master your Mindset », écrit par le Néerlandais d’origine polonaise Michael Pilarczyk. Celui traite du pouvoir des bonnes et des mauvaises pensées justes et sur la manière dont vous pouvez briser ces schémas de pensée en reprogrammant votre état d’esprit. « Pour que vous restiez le capitaine de votre âme, même dans le chaos. Et donc maître de son destin », comme l’a écrit William Ernest Henley en 1875 dans son célèbre poème « Invictus » (invincible en latin).

Reste à savoir si Evenepoel le restera encore lors des six dernières journées de cette Vuelta. Mais, il a déjà remporté une victoire grâce à son état d’esprit et en donnant tort à tous les sceptiques qui pensaient qu’il n’apprendrait jamais.

Ilan van Wilder et les autres membres du Wolfpack se livrent sans compter pour Remco Evenepoel. (Photo by Luis Gomez – Pool/Getty Images) © DIDIER LEBRUN/PHOTO NEWS

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