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« À la mort! ai-je crié à Tom. Une heure plus tard il était décédé… »

Il le considérait comme son copain, son petit frère. Mais ce fameux 13 juillet 1967, il y a presque 50 ans, ils ont été séparés à jamais, sur les pentes du Mont Ventoux. Vin Denson évoque la vie et la mort de Tom Simpson.

Vincent Vin Denson a 81 ans mais il vit avec son temps. L’itinéraire qu’il a envoyé par courriel – par le métro et le train, depuis la station londonienne de Saint-Pancras vers Harlow, sa résidence au nord de la capitale britannique -, est exact. À l’arrêt d’Harlow, où Denson nous attend, nous comprenons pourquoi on le surnommait The Gentle Giant, le Gentil Géant. Un sourire rayonnant, une solide poignée de mains, un visage dénotant une forte personnalité. Sa voiture, une Opel des années 90, semble souffrir davantage du poids des ans que lui.

Semble car la vie n’a pas épargné l’Anglais : sa femme est décédée d’une tumeur cérébrale en 1996 et trois ans plus tard, il a été victime d’une attaque puis d’un cancer de la prostate. Son coeur présente des signes d’usure.  » Je vais me faire mettre un pacemaker pour pouvoir à nouveau rouler à vélo sans souci. Ma tête est encore tiptop !  »

On le remarque dans sa maison mitoyenne. Denson se souvient des moindres détails, en feuilletant ses nombreux albums. Il se rappelle son déménagement à Troyes, pour devenir professionnel, sa victoire d’étape au Giro 1966 – la première victoire britannique, comme la différence entre ses anciens leaders, Rik Van Looy et Jacques Anquetil :  » Rik avait toujours une excuse pour ne pas payer tout ou partie de ce qu’il avait promis mais Jacques était un homme de parole.  »

Tom Simpson lors du Tour 67, qui allait définitivement l'emporter.
Tom Simpson lors du Tour 67, qui allait définitivement l’emporter.  » Il était prêt à mourir pour son pays « , dit Vin Denson.© belgaimage

Nous sommes là pour parler de Tom Simpson. Il rencontre Denson, âgé de vingt ans, en 1956, pendant une course de qualification pour les Jeux de Melbourne, en poursuite par équipes.  » J’ai été très surpris d’être battu par un garçon inconnu, de deux ans mon cadet. J’ai appris qu’il s’agissait du fils d’un mineur, qui s’appelait Simpson.  »

Ils ne deviennent amis que deux ans plus tard.  » J’effectuais mon service militaire dans le Yorkshire, la région dont Tom était originaire, et nous avons roulé beaucoup de contre-la-montre, une discipline alors très populaire en Angleterre. Je me rappelle avoir montré à Tom un magazine français de cyclisme avec en une une photo du Tour.  » Après mon service, je veux y participer.  » L’armée n’était pas une option pour Tom. Dès qu’il aurait sa dispense, il partirait en France. Il disait déjà : Je veux rouler le Tour. Et le gagner.  »

Entraînements en Provence et à Gand

Membres du Team Britain, ils y participent pour la première fois en 1961. Sans succès, puisqu’ils abandonnent tous deux. Contrairement à Vic, comme on appelle Denson en France, Simpson s’est déjà fait un nom sur le continent, en remportant le Tour des Flandres, cette année-là. Denson ne passe pro qu’à 26 ans, en juillet 1962, après avoir été indépendant un an et demi.

Il roule d’abord pour des formations françaises, Frimatic puis Pelforth. En 1964, il passe chez Solo-Superia, au service de Van Looy, puis il roule trois ans pour Ford France/Bic, comme valet d’Anquetil. Mais il n’a jamais fait partie de l’équipe Peugeot, dont Simpson a porté le maillot de 1963 à son décès en 1967.  » Tom a essayé à plusieurs reprises de me faire engager mais sans succès, à cause de la limitation du nombre d’étrangers.  »

Ils s’entraînent souvent ensemble, malgré tout. En Provence, où Simpson possède une villa et où Denson réside souvent avec sa famille, mais aussi à Gand, leur port d’attache. Denson y a emménagé en 1963, à son départ de Troyes, sur le conseil de son ami, qui l’avait précédé.  » Selon Tom, on pouvait rouler tous les jours une kermesse dans un rayon de 50 kilomètres autour de Gand. Ça allait me faire économiser beaucoup de carburant car les déplacements étaient beaucoup plus longs en France. En plus, la nourriture était moins chère en Belgique, d’après Tom, qui avait ajouté qu’on pouvait acheter du beurre et du fromage aux Pays-Bas.  »

Denson est accueilli par René Hailliez, un riche homme d’affaires, fervent supporter de Simpson.  » Avant d’emménager dans une villa à Mariakerke, Tom avait résidé gratuitement dans une des maisons d’Hailliez, au centre de Gand. Je m’y suis également installé avant de déménager dans une maison plus vaste qu’Hailliez possédait à Gentbrugge.  »

Les coéquipiers anglais Tom Simpson, Michael Wright et Vin Denson savourent une tasse de thé lors de la première journée de repos du Tour 67. Cinq jours plus tard, Tom Simpson trouvait la mort lors de l'ascension du Mont Ventoux.
Les coéquipiers anglais Tom Simpson, Michael Wright et Vin Denson savourent une tasse de thé lors de la première journée de repos du Tour 67. Cinq jours plus tard, Tom Simpson trouvait la mort lors de l’ascension du Mont Ventoux.© belgaimage

Peu après, Denson reprend un café auquel il donne son nom, à Schooldreef, non loin du stade Jules Otten.  » Nous avons enlevé les tables de billard et de snooker pour aménager une salle de danse, où nous avons organisé des thés dansants. Le soir, ma femme Vi assumait le gros du travail car je devais me reposer. Beaucoup de supporters de Gand passaient après les matches. Ou des coureurs, comme Eddy Merckx, la veille du Tour des Flandres, dont le départ était alors donné à Gand. J’ai souvent passé du temps au bar avec Tom, après l’entraînement, une Leffe à la main.  »

Besoin d’argent

Denson et Simpson deviennent coéquipiers occasionnels au Tour 1967 : pour la première fois depuis 1961, des équipes nationales en prennent le départ.  » Le Tour était très important pour Tom, sportivement et financièrement. Il n’avait pas pu monnayer son titre mondial de 1965 à cause d’une fracture du bassin, occasionnée au ski. Il avait acheté un domaine de onze hectares en Corse, des appartements à Gand… Sa passion des bolides et des vieilles autos – dont une Peugeot de 1910 – lui coûtait très cher aussi.  »

Agé de 29 ans, Simpson veut gagner 50.000 livres avant la fin de sa carrière. Donc, il doit remplir sa bourse en 1967. Victorieux à Paris-Nice, il espère remporter le jackpot au Tour.  » Tom visait le podium « , dit son pote. La première semaine ne se déroule pas selon ses plans : le Team Britain perd trois coureurs et est dernier du contre-la-montre par équipes, à trois minutes de la Belgique. Toutefois, la victoire d’étape de Michael Wright insuffle de l’espoir à Simpson. Il est cinquième au Ballon d’Alsace, à 19 secondes de Lucien Aimar.

Dans l’étape suivante des Alpes, avec le Télégraphe et le Galibier au programme, l’ancien champion du monde craque. Il n’est que seizième, à six minutes de Felice Gimondi et Julio Jimenez. Il retombe à la huitième place du classement général. Denson raconte :  » Il a été victime d’un grave problème intestinal. Il a dû s’isoler à plusieurs reprises dans les bosquets. Il a même fait ses besoins sur le vélo. Le mécanicien a dû nettoyer les traces ensuite.

Cette diarrhée ne m’a pas surpris. Tom était un spécialiste des classiques et des courtes épreuves par étapes. Il n’avait pas la résistance requise pour les grands tours. Fatigué, il était donc fragilisé. Après cette étape alpestre, il était si épuisé que j’ai dû le porter dans l’escalier jusqu’à sa chambre, avec le manager Alec Taylor. Tom était blanc comme ses draps de lit. Il ne voulait pas manger mais je l’ai convaincu de prendre un peu de potage. Il l’a directement vomi aux toilettes.

– Ne force pas comme ça. Contente-toi du top dix et concentre-toi sur le Mondial, lui ai-je conseillé. Mais il ne voulait rien entendre. – Je dois monter sur le podium. Le lendemain, il était miraculeusement guéri. Il a pris un solide petit-déjeuner. Il a quand même été choqué en découvrant sa photo dans le journal. – On dirait que j’ai eu un infarctus. J’ai une tête épouvantable.  »

Bien que Simpson soit meilleur dans les deux étapes suivantes, terminant deuxième du sprint massif à Marseille, le manager, Daniel Dousset, lui met la pression. Il doit être performant et achever le Tour car son contrat pour 1968 est en jeu.  » Tom avait un contrat de deux ans avec Salvarani, l’équipe de Gimondi, avec lequel il s’entendait bien « , raconte Denson.  » Dousset avait négocié en secret. Peugeot n’était pas au courant et il n’allait annoncer la nouvelle qu’à l’issue du Tour. J’allais enfin pouvoir accompagner Tom : il avait convaincu Gimondi de me prendre.  »

Billard au vieux port

La visite de Dousset entame le moral de Simpson, d’autant que le lendemain, le Mont Ventoux est au menu.  » C’est là qu’il devait frapper « , se souvient Denson.  » Mais avant le départ, Tom a avoué avoir peur. Deux ans plus tôt, dans l’étape arrivant au Ventoux, il avait terminé neuvième mais avait souffert de la canicule et avait été à bout de souffle. Or, il allait faire encore plus chaud. Il a gardé la façade devant la presse. À la demande des photographes, nous avons même joué au billard dans un café, au Vieux Port de Marseille. Mais une fois à vélo, il a de nouveau arboré une mine sombre.

Sa panique a crû au pied du Ventoux. Raymond Poulidor avait crevé et le leader, Roger Pingeon, était isolé. Julio Jimenez a donc démarré très tôt, avec quelques autres. Tom a voulu les suivre mais je lui ai dit d’attendre Poulidor. Quand il a démarré, malgré mon conseil, je l’ai poussé, comme sur piste. Je l’ai encouragé :  » Die ! Die ! «  – À la mort ! . Ce furent mes dernières paroles. (Silence.) Une heure plus tard, il était mort…

Bouche-à-bouche, masque à oxygène : l'impossible a été fait pour sauver Tom Simpson. En vain...
Bouche-à-bouche, masque à oxygène : l’impossible a été fait pour sauver Tom Simpson. En vain… © belgaimage

En route pour le sommet, j’ai entendu un motard dire à la radio que Tom zigzaguait. Il était déjà au sol quand je suis arrivé près de lui. Il avait le regard vide, on lui avait apposé un masque à oxygène. Il était entouré de spectateurs, du médecin du Tour, de Harry Hall et Alec Taylor, notre mécanicien et notre directeur sportif. J’ai mis pied à terre mais Alec m’a dit de poursuivre ma route.

 » Nous ne voulons pas perdre deux coureurs en une journée. Un hélicoptère doit emmener Tom à l’hôpital. Il est en de bonnes mains.  » Je n’ai donc pas saisi la gravité de la situation. En voyant l’hélicoptère, dans la descente, j’ai même pensé : –Tom, imbécile. Tout l’argent que tu perds en t’entêtant.  »

D’après les rumeurs, Simpson était chargé à l’alcool et aux amphétamines. C’est faux, d’après Denson.  » Tom n’était pas un buveur comme Anquetil. On ne lui faisait pas plaisir en lui offrant du vin. Il préférait le jus de carottes. Il en buvait tous les jours. Il n’est pas non plus entré dans un café avant le Ventoux comme on le raconte. Avant l’ascension, je lui ai même donné un bidon d’eau. Il m’a passé le sien. Il était rempli de… pudding au riz liquide, imbuvable à cause de la chaleur. Notre coéquipier Colin Lewis lui a tendu du cognac, dont il avait emporté une bouteille d’un café mais il affirme que Tom n’en a pris qu’une gorgée avant de le jeter.  »

Denson insiste : Simpson n’était pas non plus un grand dopé.  » Moi-même, adversaire des drogues, je lui ai souvent dit qu’un pharmacien devait étudier sept ans pour tout savoir et qu’il devait s’abstenir d’en prendre s’il voulait pouvoir jouer avec ses petits-enfants à 50 ans. Tom répondait toujours qu’il suivait les conseils du médecin quand celui-ci lui conseillait quelque chose. Or, il disait qu’on se faisait plus de tort en roulant 300 kilomètres sans dopage.  »

Jamais plus de 8 milligrammes d’amphétamines

Tom affirmait ne jamais consommer plus de huit milligrammes d’amphétamines. Je ne l’ai jamais vu en avaler. Y compris pendant ce Tour car il partageait sa chambre avec Colin Lewis. Tom parlait peu de ça, de toute manière. Contrairement à Anquetil, par exemple. – Un architecte ou un comptable peut prendre ce qu’il veut. Pourquoi pas moi ? , disait-il en public.

Tom aura pris des amphétamines – on a trouvé des boîtes à pilules dans sa poche – mais sans exagérer. La cause officielle de son décès est l’étouffement, par manque d’oxygène, suite à la chaleur et à l’épuisement. Je l’ai lu dans le rapport d’autopsie que m’a montré sa femme. D’ailleurs, Helen a perçu la totalité de l’assurance. Si Tom était décédé d’une overdose d’amphétamines, ça n’aurait pas été le cas.  »

Simpson décède dans l’hélicoptère mais Denson ne l’apprend qu’à l’issue de l’étape, qu’il achève dans le dernier groupe, à 18 minutes du vainqueur, Jan Janssen.  » Le soir, à l’hôtel de Carpentras, je suis descendu vers 18 heures, après une douche. Harry, notre mécanicien, m’a pris à part : – Vin, Tom est mort. Je ne pouvais pas le croire. J’ai cru que c’était une erreur. Alex Taylor a confirmé son décès…

Le lendemain du décès de Tom Simpson, une minute de silence est observée par la caravane du Tour au départ de Carpentras. On reconnaît notamment Felice Gimondi, le directeur de l'Equipe Jacques Goddet, le patron du Tour Félix Lévitan, le maillot jaune Roger Pingeon et les Britanniques Barry Hoban et Vin Denson.
Le lendemain du décès de Tom Simpson, une minute de silence est observée par la caravane du Tour au départ de Carpentras. On reconnaît notamment Felice Gimondi, le directeur de l’Equipe Jacques Goddet, le patron du Tour Félix Lévitan, le maillot jaune Roger Pingeon et les Britanniques Barry Hoban et Vin Denson.© belgaimage

Il régnait un silence de plomb à l’hôtel. Plusieurs équipes y logeaient et beaucoup de coureurs, dont Gimondi, nous ont présenté leur condoléances. Ma femme m’a soutenu, heureusement. Vi logeait à Agde, au bord de la Méditerranée, avec nos trois enfants. Sur la plage, elle a entendu dire qu’un  » Anglais s’était effondré au Tour.  » Elle a couru à la police, qui l’a rassurée : Ce n’est pas Denson mais Simpson. Elle n’en a pas moins pris le volant pour me rejoindre à Carpentras, à 150 kilomètres d’Agde.  »

Les coureurs britanniques discutent, ce soir-là.  » Je trouvais que nous devions faire nos valises mais Barry Hoban ne voulait rien entendre : – Quand quelqu’un meurt à l’usine, celle-ci ne ferme pas. J’ai réagi : – Tom n’était pas un ouvrier que tu connaissais depuis trois mois. Et pour moi, il était comme un frère.  »

Ses protestations ne trouvent pas d’écho. Au départ de l’étape suivante, Jean Stablinski, son coéquipier chez Bic, vient le trouver.  » Tous les leaders avaient décidé qu’à vingt kilomètres de l’arrivée, je pourrais démarrer seul pour gagner l’étape. C’est moi qui connaissais le mieux Tom, nos familles étaient proches… J’ai grommelé : – Tom aurait voulu une étape normale, pas un cortège funéraire. Stablinski a insisté : – Vic, c’est notre choix. Colin Lewis et Barry Hoban n’étaient pas d’accord, surtout Hoban. – Denson a déjà 31 ans, pourquoi pourrait-il prendre le départ de 40 critériums grâce à cette victoire ? Elle serait plus utile aux jeunes comme nous.

La trahison d’Hoban

Je pensais quand même pouvoir démarrer mais à 50 kilomètres de l’arrivée, Hoban s’est échappé. J’ai pensé qu’il devait aller aux toilettes mais il a continué à filer. Stablinski m’a rassuré : – On va le rattraper. Mais je ne voulais pas. Avec les caméras braquées sur nous ? Un Anglais poursuivant un autre ? No way. Ça aurait comme se disputer pour l’alliance en or d’un mort. – Qu’il sue, je n’ai quand même pas envie de monter sur le podium. Ensuite, Hoban a prétendu s’être échappé par hasard. Là, je me suis fâché…  »

Denson ne supporte pas l’idée qu’on considère toujours Hoban comme le meilleur ami de Simpson, auquel on avait permis de gagner l’étape.  » Ils ne s’entendaient même pas bien. Barry, qui avait trois ans de moins, était très ambitieux. Il ne voulait jamais aider Tom. Il jouait sa carte personnelle.  »

Après une journée de repos, le Tour prend la direction de Toulouse. Dans le peloton, Denson est victime d’hallucinations.  » Chaque fois que je voyais un maillot anglais, je pensais que c’était Tom. Mon cerveau ne pouvait pas accepter sa mort. Je me suis fâché quand mes collègues ont recommencé à bavarder et à rire. Je n’avais rien à faire du prix du coureur le plus élégant qu’on m’a décerné à l’arrivée, par sympathie.

J’ai été encore plus fâché quand Raphaël Geminiani, mon directeur d’équipe chez Bic, est passé le soir. Comme le Team Britain n’avait plus de leader, il voulait que je roule pour Julio Jimenez, le leader de Bic. -N’oublie pas qui paie ta nourriture. Je l’ai envoyé promener.  »

Épuisé mentalement, Denson est dernier de l’étape suivante, dans les Pyrénées, à 28 minutes du premier.  » À plusieurs reprises, j’ai voulu monter dans la voiture suiveuse mais Alec Taylor ne m’y a pas autorisé. Le lendemain, dans l’étape de Pau, il n’a plus pu me retenir. Je voulais retrouver ma femme et mes enfants à Agde le plus vite possible. Je pensais aussi pouvoir assister aux funérailles de Tom mais nous ne serions pas arrivés à temps. C’était au nord de l’Angleterre. Ma femme me l’a déconseillé, de toute façon : – Tu n’as plus ta tête, reste quelques jours ici pour te changer les idées.  »

Denson a encore participé à quelques critériums, contre son gré.  » J’étais fatigué du cyclisme, le sport qui m’avait pris mon meilleur ami. J’étais aussi dégoûté des journalistes. Deux tabloïds étaient même prêts à me verser mille livres pour l’histoire exclusive de Tom, le dopé. J’ai invectivé ces journalistes avant de fondre en larmes. Peu après, j’ai téléphoné à Geminiani : – J’arrête. Il a insisté mais j’étais déterminé.  »

Des sentiments mitigés

Denson pleure aussi quand il se rend sur la tombe de Simpson, à Harworth.  » Avec les parents de Tom et des amis de son club cycliste. Mes sentiments étaient mitigés : j’éprouvais un immense chagrin mais aussi une grande consolation d’être entouré de ceux qui l’aimaient. J’y suis souvent retourné pour donner le départ de la Tom Simpson Memorial Race, une course pour amateurs.  »

Denson pleure longtemps son ami, de retour à Gand, mais il opère le déclic en automne.  » Helen, sa veuve, s’est rapprochée de Barry Hoban, qu’elle allait épouser plus tard. Les journalistes ont mis un terme à leurs insinuations de dopage… Tout le monde semblait avoir oublié la mort de Tom. Je me suis dit que j’étais manifestement le seul à en éprouver encore du chagrin et que je devais me ressaisir, penser à ma femme et à mes enfants.  »

Il retrouve l’envie de courir et il prolonge sa carrière quand il reçoit une offre intéressante de Kelvinator, une nouvelle formation italienne. En 1968, l’Anglais prend le départ du Giro et le Team Britain le sélectionne à nouveau pour le Tour.

 » Je voulais y participer à tout prix, après mon abandon. Cette fois, tout s’est bien passé. Barry Hoban a gagné une étape, Michael Wright a loupé un succès d’étape d’un poil, à cause d’une panne, mais l’équipe anglaise a remporté le classement des nations ce jour-là, pour la toute première fois. Un hommage à Tom. Patriote comme il l’était, il aurait été très fier.

Après ce Tour, j’ai enfin eu le sentiment d’avoir chassé mes démons. Et achevé ma carrière. En automne, j’ai définitivement stoppé. J’ai vendu le café de Gand pour retourner en Angleterre, après six belles années en Belgique. Malheureusement sans Tom, qui avait toujours dit qu’au terme de notre carrière, nous deviendrions ambassadeurs du cyclisme anglais et en ferions un succès. Ce rêve ne s’est pas réalisé…

Après sa mort, le cyclisme anglais s’est effondré. Jusqu’à ces dix dernières années, grâce aux succès remportés sur piste puis au Tour, par Bradley Wiggins et Chris Froome. Ils réussissent ce qui a été refusé à Tom : gagner le Tour. Dommage qu’il n’ait pas pu vivre ça. Il aurait chanté le God Save the Queen de tout son coeur.  »

PAR JONAS CRETEUR

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