Spécialiste des premières et carton jaune à Tielemans: qui est Stéphanie Frappart, la première femme qui va arbitrer une rencontre de Coupe du monde ?

La Française a cassé un nouveau plafond de verre en étant désignée pour arbitrer une rencontre masculine de football à la Coupe du monde. Elle sera épaulée dans sa mission par deux collègues féminines. Portrait d’une femme qui n’a cessé d’accumuler les premières dans sa carrière et qui a même impressionné Jürgen Klopp, l’entraîneur de Liverpool.

Si vous vous êtes remis de vos émotions consécutives à une élimination ou une qualification de nos Diables rouges un peu avant 18 heures, n’hésitez pas à jeter un oeil sur les matches de 20 heures. En particulier sur ce Costa Rica-Allemagne, non seulement parce que le triple champion du monde est au pied du mur comme nous, mais aussi parce qu’il sera le cadre d’une première historique : une femme et deux assistantes vont diriger une rencontre de Coupe du monde masculine.

Le nom de Stéphanie Frappart vous est peut-être familier si vous êtes un consommateur habituel de football européen et français en particulier. Celle qui fêtera ses 39 ans le 14 décembre prochain est devenue une actrice habituelle des matches du football masculin ces dernières années. Elle s’est surtout offert un joli cadeau d’anniversaire avant l’heure, et un symbole majeur dans un sport où la gent masculine a longtemps régné en maître. C’est elle qui sera au sifflet de cette partie opposant le Costa Rica à l’Allemagne. Si ce n’est pas la première fois qu’une femme composera le quatuor arbitrale d’une partie à ce niveau, c’est inédit d’en avoir une dans le rôle maîtresse de cérémonie.

La native de Plessis-Bouchard, une commune du Val-d’Oise, est le fruit de parents lorrains qui ont déménagé après la fermeture des usines sidérurgiques dans la région. Elle a d’abord été actrice dans le rectangle vert avant de changer de vocation. Elle a défendu les couleurs de l’AS Herblay avant de rapidement se rendre compte, alors qu’elle n’était qu’une adolescente, que dans un football féminin encore en plein chantier les perpsectives professionnelles n’étaient pas bien grandes. Elle a donc choisi le plus ingrat mais nobles des métiers du monde du ballon rond: l’arbitrage. Un choix qui sera payant.

Elle n’a que 19 ans et arbitre tout d’abord des rencontres en divisions d’honneur, les échellons français du football amateur. Rapidement repérée par les instances dirigeantes de l’arbitrage, elle est déjà désignée quelques mois plus tard, à seulement 20 ans, pour diriger des rencontres de Ligue 1 féminine, aujourd’hui appelée D1 Arkéma. C’est un duel peu enthouasiasmant entre Hénin-Beaumont et La Roche-sur-Yon, le 19 octobre 2003, qui est le cadre de la première rencontre qu’elle va diriger à un haut-niveau. Le stade est petit, le public absent et le ciel est gris. Mais c’est là qu’elle va poser les jalons d’une ascension qui va la mener au plus échelon du football international.

Meilleure arbitre féminine française en 2014

Elle enchaîne les rencontres, distribue les cartons, emmagasine les bonnes comme les mauvaises décisions mais prend l’expérience nécessaire. La première reconnaissance tombe onze ans plus tard avec un titre de meilleure arbitre féminin aux Trophées UNFP du football qui lui ouvrira les portes du football masculin. La même année, elle est au sifflet lors d’un match de Ligue 2, l’antichambre de l’élite du football français chez les hommes. Elle officie lors de Niort-Brest, qui se solde par un 0-0 typique de ce niveau du foot hexagonal. Un bouquet de fleurs lui sera offert par les deux présidents avant le coup d’envoi d’un match « correct et plutôt facile à arbitrer, sauf sur la fin », note le journaliste de L’Équipe dépêché au stade René Gaillard.

Ruddy Buquet, Stephanie Frappart et Frederic Canot, lors de la remise des trophées UNFP au cours de laquelle elle est désignée meilleure arbitre féminine de l’année. (Photo credit should read JEAN-MARIE HERVIO/AFP via Getty Images)

Au niveau international aussi, elle commence à prendre de la valeur avec des désignations successives pour les compétitions féminines majeures: la Coupe du monde féminine en 2015, les JO de 2016 et l’Euro 2017 organisé aux Pays-Bas.

Mais le tournant de sa carrière est certainement ce 28 avril 2019, quand elle donne le coup d’envoi de ce match comptant pour la 34e journée de Ligue 1 entre Amiens et Strasbourg. Le stade de la Licorne pourrait être assimilé à une référence girly mais le symbole va bien au-delà puisque la Val-d’Oisienne devient la première dame à arbitrer à ce niveau. Le journal l’Equipe estime sa première au sifflet d’une joute de Ligue 1 très convaincante. A l’échellon inférieur, Stéphanie Frappart avait déjà convaincu même les plus sceptiques en dirigeant avec brio quelques rencontres pas toujours évidentes à siffler.

Quelques semaines plus tôt, elle faisait logiquement parties des femmes en noir désignées pour siffler les rencontres d’une Coupe du monde féminine qui se déroulait dans son pays natal. Autant pour ce fait que l’élimination des Bleues des oeuvres des futures vainqueures américaines et pour la qualité de son arbitrage, elle est désignée comme chef-d’orchestre de la grande finale qui se déroule au Groupama Stadium de Lyon. « C’est une vraie reconnaissance de mes compétences et de mon travail, se réjouit Frappart à l’annonce de cette nomination. C’était aussi une façon de montrer à toutes les jeunes filles que c’était possible d’arriver à ce niveau-là en travaillant et en se donnant les moyens d’y arriver. »

Stéphanie Frappart ne manque pas d’autorité et cela a marqué Jürgen Klopp lors de cette Super Coupe d’Europe 2019. (Photo by Mike Kireev/NurPhoto via Getty Images) © belga

Jürgen Klopp séduit, Tielemans jauni

Son ascension se poursuit lors de la saison 2019-20 où elle intègre le groupe des arbitres de Ligue 1. Une autre première. La Fédération Française de Football assume avoir fait du lobbying afin qu’elle puisse monter en grade, mais elle estime que le jeu en valait la chandelle dans un milieu très masculin. La jeune femme possédait toutes les qualités requises, alors pourquoi la bloquer pour question de genre et ne pas en faire une pionnière au plus haut niveau.

En parallèle, elle poursuit son ascension au niveau européen en se voyant confier la gestion des matches importants comme la Supercoupe de l’UEFA 2019 entre Liverpool et Chelsea. C’est là qu’elle charme un certain Jürgen Klopp. L’Allemand n’est pas avare en compliment au moment de comparer la faible prestation de ses Reds avec celle de l’arbitre centrale. « Si nous avions joué comme elle a sifflé, nous aurions gagné 6-0« , avait affirmé le guide des Scousers.

Après l’interruption sanitaire, Stéphanie Frappart reçoit un nouvel honneur en étant désignée pour siffler la rencontre de Ligue des Nations entre Malte et la Lettonie. Certes, ce n’est pas l’affiche la plus sexy mais la Française devient ainsi la première à diriger une rencontre internationale masculine en compétition officielle. C’est ensuite deux équipes majeures du football français qu’elle doit gérer un petit mois plus tard. Les « Olympico » entre Lyonnais et Marseillais sont souvent chauds et nerveux, même si forcément mesures sanitaires obligent le contexte se montre plus favorable. Elle s’en sort de nouveau avec mention.

Une quinzaine de jours après, un nouvel échellon est franchi puisque Youri Tielemans, Dennis Praet et Timothy Castagne sont tous les trois présents sur la pelouse du stade de Leicester où les Foxes reçoivent les Ukrainiens de Zorya Luhansk, dans le cadre d’un match de groupe de l’Europa League. La française n’hésite d’ailleurs pas à brandir le jaune à l’ancien Anderlechtois et Monégasque.

Le 2 décembre 2020, c’est la compétition ultime du football de clubs chez les hommes qui lui sert de cadre d’expression. L’Ukraine lui colle encore au sifflet puisque le Dynamo Kiev est l’invité de la Juventus ce soir-là. Elle ne porte d’ailleurs de nouveau pas chance au pays actuellement en guerre puisque comme lors de l’autre rencontre, c’est à nouveau sur un score de 3-0 que se termine la partie. « Elle est très bien. Nous sommes heureux qu’il n’y ait plus cette différence entre les hommes et les femmes », déclare Andrea Pirlo, alors entraîneur de la Juve, en conférence de presse. La presse italienne salue pour sa part sa performance sans faute.

« C’est la biscotte Youri. » (Photo by Michael Regan/Getty Images) © Getty

Le 30 mai 2021, celle qui fait désormais partie des cadres de l’arbitrage dans le football masculin français et ne dirige plus que des rencontres internationales au niveau féminin retrouve les prés nationaux à l’occasion d’un duel décisif entre l’OL et le PSG en D1 Arkéma. Pour une rencontre avec un tel enjeu entre les meilleures joueuses du championnat, il fallait forcément la meilleure arbitre du pays. Quelques semaines plus tôt, elle a appris qu’elle serait quatrième arbitre et réserviste pour l’Euro, qui a été décalé d’un an en raison de la crise sanitaire. C’est encore une première pour celle qui figurera dans le classement 2021 des 30 personnalités qui font le foot français publié par le quotidien L’Equipe.

Encore présente aux JO de Tokyo où elle sifflera notamment le match entre les Américaines et les Néo-Zélandaises, Stéphanie Frappart connaît une année 2022 qui apparaît encore plus comme celle de la consécration.

Finale de Coupe de France et quart de finale historique de C1 féminine

Le 30 mars, elle est l’arbitre centrale d’un quart de finale de Ligue des Champions féminine qui oppose le FC Barcelone au Real Madrid. Un match historique, puisque 91 553 spectacteurs assisteront à cette partie, un record pour le football féminin. Elle ne sifflera pas la finale en raison de la présence d’une équipe française, l’Olympique Lyonnais, future lauréate de la compétition.

Un mois plus tard, elle reçoit un nouvel honneur en se voyant confier la gestion de la finale de la Coupe de France, l’un des matches les plus attendus dans le football hexagonal. Elle réalise une bonne prestation même si sa décision d’accorder un penalty en faveur du FC Nantes est jugée « discutable », sans être « scandaleuse », selon l’envoyé spécial de L’Équipe présent au stade de France. Ce dernier lui attribuera la note de 6/10.

Quatrième arbitre lors du match entre le Mexique et la Pologne, elle a dû gérer les plaintes de Gerardo Martino, le sélectionneur d’El Tri. (Photo by Stuart Franklin/Getty Images)

Elle figure logiquement dans le groupe des 13 arbitres de champ retenues pour diriger les rencontres de l’Euro féminin. Dans le même temps, elle est aussi l’une des trois femmes sélectionnées comme arbitres principales pour la phase finale de cette Coupe du monde.

Elle est tout d’abord quatrième referee des rencontres opposant le Mexique et la Pologne et le Portugal au Ghana. Le match de ce jeudi entre une Allemagne en quête de rédemption et de qualification pour les 1/8e de finale après l’échec retentissant de 2018 et le Costa Rica est la première étape, avant de peut-être diriger un jour une finale de Coupe du monde.

Probablement pas au Qatar, surtout si les Bleus assurent leur statut de champion du monde en titre jusqu’au bout. Peut-être en 2026. Mais il faudra, quoiqu’il arrive que son pays refuse de jouer à nouveau les premiers rôles. Mais au fond, entre le privilège d’arbitrer la rencontre la plus attendue du football et la joie de voir son pays l’emporter, Stéphanie Frappart ne préfèrerait-elle pas la seconde option ?

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