Josko Gvardiol est-il le meilleur défenseur de la Coupe du monde ?

L’arrière croate, qui n’était pas spécialement connu du grand public, a impressionné les observateurs au Qatar. Il est sans doute bien plus qu’un défenseur et risque forcément d’être l’une des attractions du prochain mercato. Mais est-il pour autant le meilleur défenseur central présent au Qatar ?

Il y avait un parfum de revanche au stade Education City d’Al Rayyan le 9 décembre dernier pour le quart de finale entre la Croatie et le Brésil,. Le match d’ouverture du Mondial 2014, entre l’hôte brésilien de l’époque et le damier croate, avait suscité quelques interrogations sur l’arbitrage quand la Seleçao s’était vu attribuer un pénalty pour une faute inexistante de Dejan Lovren sur Fred. Neymar allait faire ensuite parler sa science de tir pour crucifier Stipe Pletikosa et permettre au Brésil de virer en tête, avant qu’Oscar ne rassure tout un peuple qui ignorait encore à l’époque la déroute monumentale qu’il allait subir contre l’Allemagne en demi-finale.

Lovren, incriminé sur l’action, n’y était pas allé de main morte dans ses déclarations: « Je n’ai pas touché Fred. C’est un scandale, pour le foot et pour la Fifa. Les Brésiliens ont joué à 12 ». De l’eau a sans doute coulé sous les ponts en huit ans et la Var a fait son apparition depuis lors après que cette décision contestée du Japonais Yuichi Nishimura ait relancé un énième débat sur la nécessité d’introduire l’arbitrage vidéo.

Outre Dejan Lovren et Neymar, ils étaient encore quatre acteurs présents ce 12 juin 2014 à monter sur la pelouse d’Al Rayyan: le défenseur brésilien Thiago Silva et les Croates Ivan Perisic, Mateo Kovacic et bien sûr Luka Modric. Dani Alves, titulaire il y a 8 ans, figurait cette fois sur le banc au contraire d’un Marcelo Brozovic devenu entre-temps l’un des pions importants de l’entrejeu du Damier. Domagoj Vida s’est aussi contenté de regarder le spectacle depuis la touche. Aligné aux côtés de Lovren lors du dernier Euro, il a depuis cédé sa place à Josko Gvardiol, replacé au coeur de la défense après avoir joué comme latéral gauche lors du tournoi organisé à travers le Vieux Continent.

Avec sa barbe qui lui donne un air de roi Leonidas dans le film 300 de Zak Snyder, le masque qu’il doit porter suite à une fracture du nez consécutive à un choc avec son coéquipier en club, le Hongrois Willi Orban, et son physique de déménageur, celui qui toise le mètre 85 dégage une impression de solidité et d’expérience qui ne se lit pourtant pas sur sa carte d’identité, puisqu’il ne sera autorisé à consommer de l’alcool aux Etats-Unis que le 23 janvier prochain, jour de ses 21 ans.

Issu de la fabrique à talents du Dinamo Zagreb

Né dans la capitale croate, il commencera le football au NK Trešnjevka, petite équipe de Zagreb avant d’intégrer le centre de formation du prestigieux Dinamo, l’une des usines à jeunes champions du continent européen, encore classée quatrième du dernier classement du CIES. Les Bleus, ce qui se dit Modri en croate, ont d’ailleurs sorti l’un des plus grands joueurs de l’histoire du pays dont le patronyme ressemble très fortement au sobriquet du club: Luka Modric. Mais ce n’est pas le seul, puisque le Dinamo, 23 fois champion national (dont 5 sous son ancien nom du Croatia qui lui fut accolé alors que l’ex-Yougoslavie éclatait) en 31 ans, a aussi sorti de son centre de formation des Zvonimir Boban, Mateo Kovacic, Niko Krancjar, Dejan Lovren, Robert Prosinecki, Zvonimir Soldo et très étonnament l’Espagnol Dani Olmo, présent au Qatar. Ce dernier évolue d’ailleurs aujourd’hui au RB Leipzig, club dont Gvardiol défend aussi les couleurs. Olmo et le défenseur croate ont donc aussi été associés au Dinamo Zagreb lors de l’exercice 2019-20, lors duquel l’Espagnol a compilé 8 buts et 6 assists en 22 sorties. Le jeune arrière, qui impressionnait au sein des sélections d’âge du Damier, effectuait pour sa part onze apparitions en défense centrale, avec un but à la clé. Le tout, en combinant cela avec son rôle d’incontournable de l’équipe des Modri en Youth League. Cette dernière sera éliminée en quart de finale par Benfica. « Même Modrić a dû partir en prêt avant d’avoir sa chance. Personne n’a dit que Josko devait être prêté ! À 16 ans, il était prêt pour l’équipe première », rappellait d’ailleurs l’ancien international croate Zoran Mamic dans le média indépendant Scouted Football. 

Après avoir commencé tous les deux chez les pros au Dinamo Zagreb, Josko Gvardiol a retrouvé Dani Olmo au RB Leipzig en 2021. (Photo by Mikolaj Barbanell/SOPA Images/LightRocket via Getty Images) © iStock

Les deux joueurs donnent désormais des ailes à Leipzig puisqu’ils font figure de titulaires indiscutables. Dani Olmo pourrait d’ailleurs y prolonger l’aventure malgré des appels du pied voici quelques mois des cadors espagnols du Real Madrid et surtout du FC Barcelone. Josko Gvardiol séduit lui de plus en plus les cercles de la Premier League et ses prestations au Qatar risquent de faire monter sa cote en flèche. Les internautes de Sport/Foot Magazine l’ont d’ailleurs élu dans notre équipe-type de la Coupe du monde aux côtés de Thiago Silva. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à affirmer que le Zagrébois est tout simplement le meilleur défenseur de cette édition qatarie du Mondial. Mais est-ce que cela est vrai ?

Dans le top 10 global des statistiques

Il est toujours difficile d’analyser un défenseur sur base de données statistiques. Son efficacité est fortement dépendante du style de jeu de son équipe, du fait qu’il doive défendre haut et/ou apporter un plus à la construction ou évoluer comme pompier de service dans un bloc bas où la relance est un critère moins important. On ne peut pas non plus exclure le paramètre visuel et l’impression dégagée. A ce titre, malgré sa carrure imposante, Gvardiol dégage une élégance naturelle plus importante qu’un Harry Maguire au style pataud et emprunté, mais qui n’a pourtant pas de mauvaises statistiques défensives.

Selon celles de Whoscored, le Français Ibrahima Konaté est le meilleur défenseur tacleur du tournoi, avec une moyenne de 6 par rencontre, à égalité avec l’Allemand Thilo Kehrer. Mais les deux hommes n’ont disputé respectivement que 2 et 1 joute au cours de ce Mondial. C’est donc Achraf Hakimi qui arrive en tête si l’on tient compte des joueurs ayant disputé le maximum de matches possibles. Gvardiol n’arrive qu’à la 66e position (en prenant donc en compte ceux qui ont joué plus de deux rencontres). Avant le quart de finale contre le Brésil, il se trouvait à égalité avec un Toby Alderweireld pour pas mal de statistiques communes. Les dégagements (6,3 en moyenne), les ballons bloqués (0,3 par match) ou le nombre d’hors-jeu réussis par match (0,3). Le match contre les Auriverde, où les Croates ont souvent été acculés devant leurs cages, a doublé sa moyenne de ballons bloqués (0,6 grâce à deux ballons bloqués). Celles des dégagements (6,4) et des mises en hors-jeu réussis (0,4) ont aussi légèrement augmenté.

Preuve que le contexte d’équipe joue son importance, dans leurs clubs respectifs où le jeu est plus dominant, ils effectuent beaucoup moins de dégagements. En Ligue des Champions, où Leipzig doit parfois subir plus le jeu, le Croate en effectue deux fois plus qu’en Bundesliga. Preuve que le contexte détermine vraiment l’impression dégagée par un défenseur.

Leandro Trossard a fait connaissance avec un Josko Gvardiol qu’il retrouvera peut-être prochainement dans le championnat anglais. (Photo by Simon Bruty/Anychance/Getty Images)

Au niveau des interceptions, c’est le … Qatari Pedro Miguel qui s’est montré le plus efficace en moyenne avec 2,7 par rencontre. Il devance l’Allemand David Raum, lui aussi membre du club au taureau ailé de Gvardiol. Ce dernier n’arrive qu’en 14e position avec 1,6 interception par match, soit moins bien que Jan Vertonghen (1,7). Dans ce domaine, ce sont souvent, tout comme pour les tacles, des milieux de terrain à vocation défensive qui ont tendance à truster le haut du classement. Les défenseurs centraux, moins exposés, sont forcément plus loin derrière.

Au niveau des fautes commises, c’est le Néerlandais Jurriën Timber qui en commet le plus avec 4,3 en moyenne par rencontre. Parmi les 20 joueurs les plus propres dans leurs interventions, l’on retrouve les Australiens Harry Souttar et Kyle Rowles, le Polonais Jakub Kiwior, les Coréens Kim Jin-Su, Kim Moon-Hwan et Kim Young-Gwon, l’Américain Tim Ream, le Brésilien Marquinhos, le Français Raphaël Varane, le Danois Joakim Maehle ou le Gallois Ben Davies. Gvardiol n’arrive qu’en 55e position avec une faute par match, tout comme le Français Theo Hernandez ou le Néerlandais Virgil van Dijk.

Au niveau des dégagements, le défenseur central croate apparaît dans le top 3 avec 6,4 en moyenne. Kalidou Koulibaly (Sénégal) et Yassine Meriah (Tunisie) en réalisent respectivement 7,5 et 6,7 dans des équipes amenées à défendre beaucoup plus bas. A noter que le capitaine du Maroc Romain Saïss, qui tournait à 7,3 dégagements de moyenne avant les quarts, est tombé à 6 après le duel contre le Portugal qu’il a été contraint de terminer sur une civière. L’Allemand David Raum et l’Uruguayen Mathias Oliveira sont les défenseurs bloquant le plus de passes avec 3 par match. Un domaine où Gvardiol n’apparaît plus qu’à la 50e place après une rencontre face au Brésil où il fut plus à la peine. Tous ces chiffres illustrent en grande partie la capacité de la pépite croate à défendre sous pression et dans un bloc placé assez bas pour compenser la faiblesse des latéraux et le manque de vitesse d’un Dejan Lovren.

Pep Gvardiola ?

Et offensivement ? Que vaut le gaucher de Zagreb dont on loue les qualités balle au pied en rappelant que son nom se prononce Guardiola sans le « a » à au bout ? Ce n’est pas le défenseur qui adresse le plus de longs ballons précis par match, domaine où le Danois Joakim Andersen (7,3) se trouve en tête mais en rate aussi beaucoup en contre-partie (8). On est très loin du rapport qualitatif d’un Stones, septième du classement avec 5,6 ballons réussis dans la longueur mais seulement 1,6 ratés. Josko Gvardiol n’en donne que 3,4 en moyenne (moyenne en augmentation après le Brésil), soit moins que son comparse dans l’axe central du Damier, Lovren (4,6). Les deux joueurs en ratent en contre-partie respectivement 2,4 et 2,8. Le joueur de Saint-Pétersbourg est donc un peu plus habile dans l’exercice. Le projet de construction croate ne semblait pas de balancer au loin alors que le milieu de terrain est l’un des plus solides du tournoi. Contre le Brésil, il a du s’adapter puisque Gvardiol a réussi 5 ballons dans la longueur pour 9 à son comparase de charnière centrale.

Sur les passes courtes, les Espagnols Rodri et Aymeric Laporte dominent largement les débats. Ils en délivrent respectivement 153 et 133,3 par rencontre, ce qui est assez logique vu le projet d’hyper possession qui était prôné par Luis Enrique. Il n’est pas surprenant non plus de retrouver le duo belge Alderweireld (77,3) et Jan Vertonghen (77) aux 6e et 7e positions, sachant que Roberto Martinez demandait souvent à ses joueurs des phases de possession dans leur moitié de terrain, où les passes se jouaient souvent latéralement, ce qui augmente logiquement le nombre de contacts avec le ballon. Gvardiol arrive 16e avec 65,2 passes courtes en moyenne et 6 ratées par tranche de 90 minutes. C’est mieux que Rodri sur ce dernier point (7,3) mais moins bien que Laporte (5), Vertonghen (5,3) et certainement Alderweireld (2,3). Le champion de la relance propre est le vétéran polonais Kamil Glik avec 0,5 ratées en moyenne par rencontre. Mais il n’adresse aussi que 27,3 passes courtes par tranche de 90 minutes. Encore une fois ce critère ne prend pas en compte la difficulté de la passe qui peut être accentuée en fonction du fait qu’elle soit jouer vers l’avant et /ou sous pression.

En termes de passes clé, c’est Raum qui est le champion des défenseurs avec 2,3 par rencontre. Les latéraux sont d’ailleurs les plus efficaces dans ce domaine puisque Sabaly (Sénégal) et Luke Shaw (Angleterre), qui suivent l’Allemand dans le classement, évoluent aussi sur les côtés. Le Ghanéen Daniel Amartey et l’Espagnol Rodri sont les meilleurs centraux en termes de passe clé avec une moyenne de 1 par rencontre. Un aspect où Josko Gvardiol n’en donne que 0,2 comme une grande majorité d’éléments jouant à sa position. Sur cette Coupe du monde, il est cependant légèrement en-dessous de ses valeurs de club ou même de Ligue des Nations avec la Croatie.

Balle au pied, le Croate se signale par son adresse puisqu’il n’a tout simplement pas raté de contrôles ou été dépossédé du ballon en cinq rencontres. S’appuyer sur lui à la relance semble donc un assez bon placement.

Il faut donc tenter d’établir une moyenne pour voir qui est le défenseur le plus complet de cette Coupe du monde. Selon le système de notation Whoscored, c’est le très contesté Harry Maguire qui arrive en tête des défenseurs centraux (7,35). Dejan Lovren est même mieux noté que Josko Gvardiol avec une évaluation à 7,15 qui en fait le quatrième meilleur élément défensif central présent au Qatar. Le gaucher de Zagreb n’arrive pour sa part qu’en 10e position, derrière des garçons comme Thiago Silva, Nicolas Otamendi ou Romain Saïss.

D’habitude, ce sont les jeunes qui relèvent les anciens. (Photo by Elsa/Getty Images)

Bientôt plus cher que Maguire ?

Mais cela n’empêche pas beaucoup de le pointer comme meilleur défenseur du Mondial. Depuis le coup d’envoi du tournoi, il multiplie les unes dans la presse croate, le nombre de ses abonnés sur Instagram a plus que doublé et l’Anglais Rio Ferdinand a affirmé sur les antennes de la BBC qu’il était son « défenseur favori ». « A 20 ans, c’est un des meilleurs, sinon le meilleur défenseur central au monde actuellement », a osé timidement Zlatko Dalic, le sélectionneur croate qui n’aime pas spécialement mettre les individualités en avant. « C’est un jeune homme très malin, très intelligent, il faut qu’il continue à travailler là-dessus», a poursuivi ce dernier.

« Il est extrêmement fort, rapide, agile et résistant. Il possède une excellente détente et un très bon jeu de tête. Il lit aussi bien le jeu et prend souvent les bonnes décisions par rapport à une situation précise sur le terrain », expliquait sur Goal son ancien coach au Dinamo, Tomislav Rukavina. Ce dernier trouve d’ailleurs à Josko Gvardiol des similitudes avec Thiago Silva en termes de confiance en soi ou de leadership. même si profil de gaucher habile à la relance lui a aussi valu d’être comparé à David Alaba, le défenseur central du Real Madrid.

Si la Croatie a tenu le choc contre l’armada des Divins Canaris, Gvardiol est apparu plus en difficulté. Une amélioration de certaines de ses datas en demi contre l’Argentine n’apporterait pas, comme on l’a déjà souligné, plus de pertinence à l’évaluation de la qualité réelle d’un arrière central. Josko Gvardiol est en tout cas pointé par l’Observatoire du football (CIES) comme le meilleur joueur né en 2002. Un statut qui risque de séduire de nombreux cercles du top européen. Evalué à 60 millions d’euros sur Transfermarkt, le Croate est le cinquième défenseur central du classement derrière Ruben Dias (Manchester City), Matthijs de Ligt (Bayern Munich), Marquinhos (PSG), Wesley Fofana (Chelsea) et se trouve à égalité avec Ronald Araujo et Jules Koundé, tous deux membres du FC Barcelone. Tous des joueurs qui sont loin de figurer tout en haut dans les classements statistiques de cette Coupe du monde. Dès lors, rêver de voir Josko Gvardiol ravir le titre de défenseur le plus cher de l’histoire à Harry Maguire (87 millions) ne semble pas une idée impossible.

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