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John Herdman, l’entraîneur britannique qui veut faire briller le Canada chez les hommes après l’avoir fait avec les femmes

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Un Anglais sorti de la banlieue de Newcastle sans le moindre match pro au compteur, mais avec deux médailles de bronze olympiques et trois Coupes du monde féminines sur le CV, emmènera le Canada pour son premier Mondial depuis 1986. Ce John Herdman a décidément quelque chose de spécial.

Avec le recul, la bravade a pris des airs de prophétie. Pourtant, quand John Herdman déclare au bout de l’hiver 2019 que l’objectif de la sélection canadienne est de faire partie du grand voyage qatari trois ans plus tard, il n’y a pas grand monde pour prendre l’Anglais au sérieux. Il faut dire que les images du Canada sur la pelouse d’un Mondial remontent à une époque où le football se jouait avec des shorts aujourd’hui réservés aux pongistes. John Herdman le sait. C’est par la vidéo d’une victoire contre le Honduras en septembre 1985 qu’il a entamé l’une de ses premières théories dans le costume de sélectionneur. Rassemblés dans le sud de l’Espagne pour leur stage de printemps, les internationaux canadiens découvrent alors leur neuvième coach différent depuis 2009, en même temps que ce but d’Igor Vrablic qui envoie les Canucks passer l’été 1986 au Mexique. John Herdman les stimule en même temps qu’il les met au défi. Le début d’une habitude pour le Britannique, qui insistera quelques mois plus tard, pour son premier match officiel à la tête de l’équipe, pour que ses hommes offrent à leur pays la plus grande victoire de l’histoire du Canada à l’occasion d’un déplacement aux Îles Vierges. Même si le capitaine Scott Arfield freine ses ardeurs, estimant qu’il ne faut pas exiger trop d’une sélection en quête de confiance et de repères, Herdman insiste. À dix minutes du terme, le 0-8 planté par Cyle Larin entrera dans les livres de l’Histoire nationale, et le coach dans les cœurs et les têtes de ses joueurs.

Ce gars-là, il a tout fait!» MILAN BORJAN, GARDIEN DU CANADA

Depuis toujours, John Herdman déteste les frontières. Sans doute parce que très vite, on tente de lui faire comprendre qu’elles sont difficiles à franchir, d’autant plus quand on grandit dans le nord de l’Angleterre. «Je viens des petites rues de Consett, dans le comté de Dunham (près de Newcastle, ndlr) et là-bas, on ne reçoit jamais rien facilement», explique le coach à ESPN. «J’ai dû me battre pour chaque opportunité.»

Le combat commence tôt. Presque logique dans une famille qui a pour coutume d’enfiler les gants de boxe. À seize ans, confronté aux problèmes de santé mentale de son père, John se retrouve seul dans une maison sociale, et se jette éperdument dans les bras du coaching. Un voyage au Brésil pour apprendre les rudiments tactiques des rois du jeu, puis un retour au bercail pour y ouvrir une école de football brésilien. Non loin du club de Sunderland, l’académie attire des enfants de joueurs des Black Cats, et se forge une réputation qui éveille l’attention du centre de formation du club de Premier League. Embauché pour y former les chatons noirs, Herdman jongle alors entre ses moments sur les pelouses et ceux dans les auditoires de l’Université de Northumbria où il officie en tant qu’assistant en sciences du sport. Le genre de CV qui, aujourd’hui, permettrait de pousser les portes de l’un de ces staffs à rallonge de l’élite anglaise. Le problème, c’est que l’époque n’est pas encore aux nerds. «Tu es un excellent teacher coach, mais tu n’auras jamais l’expérience d’être sur un terrain devant 60.000 personnes, et c’est pour ça que tu ne pourras pas réussir dans ce métier», lui glisse en substance un joueur de Sunderland, dont Herdman a toujours voulu préserver l’anonymat. Frustré par les frontières hermétiques d’un monde toujours chasse gardée des anciens professionnels, il décide de franchir celles du pays dans le sillage de Paul Potrac, son mentor universitaire appelé à enseigner sur le campus d’Otago, en Nouvelle-Zélande.

Avant de prendre en charge la sélection masculine, John Herdman a connu le succès avec l'équipe féminine comme le prouve ce cliché.
Avant de prendre en charge la sélection masculine, John Herdman a connu le succès avec l’équipe féminine comme le prouve ce cliché. © PAUL ELLIS/BELGAIMAGE

KIWI À L’ÉRABLE

Aux antipodes, John Herdman entame son parcours avec un poste de directeur technique régional, avant de gravir les échelons jusqu’à prendre les rênes de la sélection féminine. Les heures de travail sont innombrables, les succès mémorables. Après une participation bouclée sans marquer au Mondial 2007, les Kiwis arrachent un point quatre ans plus tard face au Mexique et font douter les géantes anglaises, notamment grâce à l’expérience acquise lors des Jeux de Pékin en 2008. Profitant de chaque speech dans le vestiaire pour tester des techniques de management, Herdman grandit aussi au contact d’une culture multisports très présente chez les Néo-Zélandais. Ainsi, il rencontre le coach mental des All Blacks qui lui permet d’appréhender mieux que jamais la pression et l’état d’esprit de sportifs qui sont des références internationales de leur sport. Son bagage grandit sans cesse, au point d’être bien alourdi quand il est l’heure de traverser le Pacifique pour répondre à l’appel du Canada.

Pendant que les Néo-Zélandaises bluffent le microcosme du football féminin par leur audace lors du Mondial allemand, les Canadiennes tombent de haut quand elles quittent l’Allemagne sans la moindre unité en trois matches, avec un lourd 0-4 contre la France synonyme d’élimination dès la deuxième rencontre. Quatre ans avant d’accueillir l’évènement mondial, la nation à la feuille d’érable veut se relever et opte pour Herdman, déjà envisagé en 2008 après l’échec de la Coupe du monde précédente, pour rendre à la sélection ses lettres de noblesse. Là aussi, l’Anglais frappe fort et en images, entamant son premier speech face aux joueuses par une image de la légendaire capitaine Christine Sinclair, dévastée suite à l’élimination. Herdman augmente la concurrence au sein de l’équipe, améliore le plan tactique et booste la confiance de son groupe à chaque opportunité. Montées sur le podium des Jeux Olympiques de Londres en 2012, les Canadiennes se pareront encore de bronze à Rio, un an après avoir fait honneur à leur statut d’hôte du Mondial en ne s’inclinant que d’un but lors d’un quart de finale haut en couleurs face aux Anglaises.

La magie créée au sein du groupe est telle que le divorce sera houleux. En 2018, l’annonce du départ d’Herdman pour la prise en mains de la sélection masculine tourne à l’affaire d’état. Christine Sinclair ne lui pardonne pas ce départ, la presse en fait ses choux gras, ignorant qu’Herdman a aussi sur la table l’opportunité de prendre la tête de l’équipe féminine de «son» Angleterre. Pourtant, l’enfant de Consett opte pour un séjour prolongé à l’ouest de l’Atlantique, avec dans le viseur une Coupe du monde qui servirait d’opportunité exceptionnelle pour tout le football canadien. Une petite décennie plus tôt, John était aux premières loges pour constater l’impact gigantesque de la participation néo-zélandaise au Mondial 2010. L’Anglais veut revivre l’expérience, sans attendre la qualification automatique de 2026. Il n’y a plus qu’à en convaincre les joueurs.

John Herdman a réussi à insuffler à son groupe la conviction que chaque obstacle est une nouvelle opportunité de marquer l’Histoire.

LES PREMIÈRES FOIS

John Herdman opte pour la politique de la première fois. Pour marquer l’histoire, il faut la récrire. À l’automne 2019, quand la Ligue des Nations de la CONCACAF offre aux Canucks un duel face au voisin américain, le coach multiplie les discours et vidéos motivationnels, pour persuader son groupe qu’il va mettre un terme à une absence de victoire face aux States qui dure depuis 1968. Acteur majeur de la victoire, le golden boy canadien Alphonso Davies est stimulé avec des vidéos de ses premières apparitions chez les Vancouver Whitecaps, à quinze ans à peine et avec une spontanéité parfois étouffée par la structure apprise dans le jeu européen. Intenable, irrésistible, il emmène ses couleurs vers un 2-0 historique. Le débriefing du match est fondu dans le même moule: plutôt que de pointer du doigt les positionnements tactiques ou les circuits de passes, Herdman compile des actions lors desquelles son groupe fait preuve d’union, de bravoure et d’audace. C’est le début de la grande fraternité des Canucks. De la conviction que chaque obstacle est une nouvelle opportunité de marquer l’Histoire.

John Herdman briefe Jonathan Osorio lors du match décisif pour la qualification pour le Qatar, face à la Jamaïque.
John Herdman briefe Jonathan Osorio lors du match décisif pour la qualification pour le Qatar, face à la Jamaïque. © belga

Sur la route du Qatar, les Canadiens viennent à bout du Mexique, des États-Unis, et valident leur qualification le 27 mars dernier, avec un cinglant 4-0 face à la Jamaïque dans une arène de Toronto pleine à craquer. Lunettes de ski devant les yeux, le gardien Milan Borjan débarque dans le dos de son coach et l’arrose copieusement de champagne face à la caméra. Avant de glisser quelques mots, comme pour synthétiser les quatre dernières années: «Ce gars-là, il a tout fait!» Si Alphonso Davies, Jonathan David et les autres y sont quand même un peu pour quelque chose, difficile de nier le travail colossal d’Herdman. Il suffit de rappeler qu’en mars 2018, quatre ans avant la qualification, ils n’étaient qu’une septantaine de curieux dans les tribunes de la Pinatar Arena pour assister au premier match de son mandat, une courte victoire face à la Nouvelle-Zélande. Au Qatar, les tribunes risquent d’être un rien plus garnies pour accueillir celui qui est le premier à avoir qualifié une sélection féminine et une masculine pour une Coupe du monde. Tout ça sans passé de professionnel.

Heureusement pour lui, il n’y a que deux des huit stades du Mondial qui peuvent accueillir au moins 60.000 personnes.

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