Coupe du monde 2022 : l’Argentine (et Messi) sortiront-ils enfin de l’ombre de Maradona ?

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Il y a quatre ans, l’Argentine avait quitté la Coupe du monde par la petite porte dès les 1/8e de finale. Handicapée par une fédération corrompue, des luttes internes, un noyau peu équilibré et l’immense pression populaire sur ses épaules, l’Albiceleste était apparue sans armes contre le futur vainqueur français. En 2022, les cartes sont différentes puisque c’est dans la peau de l’un des grands favoris que Lionel Messi et les siens débarquent au Qatar. Un troisième titre mondial, qui permettrait à Lionel Messi de se hisser à la hauteur de Diego Maradona dans les coeurs argentins, est-il un objectif réaliste ?

Début novembre, Netflix a lancé une série documentaire en Amérique latine consacrée au parcours victorieux de l’équipe d’Argentine lors de la Copa América 2021. Les joueurs, les entraîneurs et les journalistes présents lors de l’événement sont revenus sur ce succès et le documentaire propose des images rares et inédites des coulisses. Les trois épisodes mettent aussi en évidence le fait que Lionel Messi semble avoir finalement conquis le cœur des Argentins, longtemps seulement acquis à l’unique Diego Armando Maradona. La séquence dans laquelle La Pulga se remémore avec émotion de la célébration de la Coupe avec les supporters est l’un des moments forts. C’est comme si sa carrière, pourtant déjà riche en nombreux titres, avait été couronnée de quelque chose en plus lors de cette journée d’été (ou d’hiver vu qu’on est dans l’hémisphère sud), à Rio de Janeiro. Il ne faudra donc plus que l’Argentine devienne impérativement championne du monde pour que Messi, qui a émigré à Barcelone à seulement 13 ans, persuade la nation albiceleste de son patriotisme. Cependant, il reste encore un cran en dessous de Diego Maradona dans le classement des héros argentins. Depuis sa mort en 2020, El Pibe de oro représente encore plus la personnification de la quintessence du footballeur local.

Lionel Messi et Diego Maradona avaient collaboré lors de la Coupe du monde 2010. Sans succès. (Photo credit should read JUAN MABROMATA/AFP via Getty Images)

Depuis que l’Argentine a soulevé la Coupe Jules Rimet en 1986 grâce à ses coups de génie et sa main de Dieu, l’homme de Lanus est devenu le reflet du football albiceleste. Dans un pays où le football est presque vénéré comme une religion, l’ombre de Dieu, alias Maradona, plane toujours sur la sélection.

Lionel Scaloni, le guide inattendu

A ce titre, l’épisode de 2018 est vécu comme une véritable blessure. Le groupe de joueurs a ouvertement lâché le sélectionneur national Jorge Sampaoli et ce dernier a fini par s’effondrer sous le poids de sa fonction. L’Argentine a peiné pour s’extirper de la phase de groupe et ensuite se faire sortir par la future championne du monde: la France. Ce jour-là, l’Albiceleste a regardé les Bleus dans les yeux jusqu’à la dernière seconde. Il aura notamment fallu les premiers coups de génie internationaux d’un gamin appelé Kylian Mbappé pour que la formation hexagonale puisse renverser la vapeur. Mais cette sortie, la tête haute, ne pouvait décemment plus cacher la crise profonde dans laquelle était enlisée le football argentin. La fédération a remplacé Sampaoli par son assistant Lionel Scaloni. Non pas pour CV, qui n’est pas des plus étoffés, mais tout simplement parce qu’il était la solution la moins chère pour une institution en manque de ressources financières.

Scaloni symbolisait donc quelque part la déchéance de sa fédération, alors que Diego Simeone et Mauricio Pochettino entraînaient des clubs européens de premier plan à ce moment. C’était un assistant inexpérimenté avec une carrière de joueur relativement modeste qui se voyait confier le poste le plus important du pays.

Lionel Scaloni, l’homme qui murmure à l’oreille de Lionel Messi. (Photo by Jose Breton/Pics Action/NurPhoto via Getty Images)

Une Copa América qui enlève une pression immense sur les épaules

Quatre ans plus tard, contre toute attente, Scaloni est toujours à la tête de l’Argentine et ce pays figure parmi les principaux favoris pour le titre mondial au Qatar. Un statut que le pays a acquis grâce à son sacre continental de 2021. C’était le premier titre de l’Albiceleste depuis 28 ans et Lionel Messi, son atout majeur depuis une quinzaine d’années, comblait enfin l’un des grands manques de son impressionnant palmarès. Depuis ce jour, la pression semble être retombée sur les épaules de tout monde. Ce qui permet à l’Argentine de se rendre à une Coupe du monde sans pression supplémentaire, pour la première fois depuis 2002. L’équipe reste aussi sur une série de 36 matches sans connaître la défaite. Le record de l’Italie, qui était restée invaincue au cours 37 duels d’affilée, sera déjà remis en jeu contre le Mexique lors de la deuxième journée. A moins que l’Albiceleste ne trébuche pour son entrée dans la compétition au Qatar… Les chances que Scaloni soit limogé en cas d’élimination précoce sont minces. C’est un signe de l’ambiance positive qui règne au sein de l’équipe. Cette dernière a passé la phase de qualification sans rencontrer le moindre problème. Elle semblait libérée de tous les démons du passé. On a aujourd’hui l’impression que tout ce que ce groupe de joueurs pourrait accomplir au cours du prochain mois s’apparenterait plus à une cerise sur le gâteau.

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Le gardien du temple enfin trouvé et plus de solutions au coeur du jeu

Cette confiance autour de la sélection nationale argentine semble presque trop belle pour être vraie, surtout si l’on considère que le pays ne parvient plus à fournir le monde du football en talents d’exception depuis de nombreuses années. En 2002, le sélectionneur de l’époque, un certain Marcelo Bielsa, pouvait aligner un joueur de classe mondiale à presque tous les postes. Ces temps d’abondance semblent être définitivement révolus pour le football argentin. La principale force du noyau se trouve évidemment dans la division offensive, comme en témoigne le rôle clé de l’Intériste Lautaro Martínez, le numéro 9 albiceleste de la prochaine décennie. Avec les vieux briscards aux pieds gauches magiques que sont Messi et Angel Di María en soutien, le trio d’attaquants suscite forcément la crainte au sein des défenses adverses. Le passé montre d’ailleurs que l’état de forme de Di María est particulièrement important pour que l’animation offensive soit performante. Ce n’est pas un hasard si c’est El Fideo qui a marqué le seul but de la finale de la Copa América. Son absence est aussi considérée comme l’une des raisons de l’échec en finale du Mondial brésilien. De son côté, Messi se rapproche de son rythme de croisière habituel du côté de Paris. Remis de ses infections à la covid et mieux adapté à son nouvel environnement, il semble avoir digéré son transfert retentissant en provenance du FC Barcelone, le club auquel il semblait éternellement lié. Di María et Messi sont les deux derniers rescapés de cette nuit de Rio. Tout comme Nicolás Otamendi, qui les a ensuite rejoints, ils ont également vécu le trauma de deux revers lors du dernier match de la Copa América. Les deux fois au terme de la loterie des tirs au but. Ces blessures du passé semblent désormais refermées grâce au nouvel esprit d’équipe qui règne au sein d’une sélection, longtemps considérée comme une addition d’individualités. La confiance insufflée par Scaloni et une nouvelle génération prometteuse ont aussi contribué à ce parfum de renouveau.

Angel Di Maria, Lionel Messi et Lautaro Martinez, le trio de choc à la pointe de l’Argentine. (Photo by Jose Breton/Pics Action/NurPhoto via Getty Images)

La défense reste cependant toujours l’un des points faibles de l’Argentone. Le secteur se cherche encore un leader incontesté depuis que Javier Mascherano a rangé ses crampons. L’arrière garde semble cependant plus consistante qu’en Russie. Le portier d’Aston Villa Emiliano Martínez, semble avoir résolu le gros souci qui se trouvait entre les perches depuis pas mal d’année. C’est le mérite de Scaloni qui l’a aligné de manière inattendue lors de la Copa América victorieuse de 2021. Plus haut, Messi a enfin trouvé de l’aide créative dans les pieds de Rodrigo De Paul, nouveau métronome au coeur du jeu argentin. Le joueur de l’Atlético Madrid fait le lien entre la défense et l’attaque et est l’un des rares joueurs à être beaucoup plus brillant sous les couleurs nationales que sous celles de son club. L’époque où Lionel Messi devait dézoner pour récupérer le ballon dans le rond central et où ses partenaires le cherchaient désespérement faute d’idées semble révolue.

Lo Celso, l’absent le plus important

Pour une fois, l’annonce des 26 Argentins pour le Qatar n’était pas spécialement attendue et a été à peine débattue dans les médias. Tout le monde connaît désormais sa place depuis longtemps. Comme presque tous les autres pays, l’Albiceleste n’a pas été épargnée par les blessures ces dernières semaines. Paulo Dybala a été appelé mais le nouveau maître à jouer de la Roma n’est sans doute pas en totale possession de ses moyens. En principe, au vu de son talent, il serait une perte immense pour de nombreuses équipes. Son éventuel forfait ne serait cependant pas un désastre pour l’Argentine car, depuis des années, il est essentiellement le principal remplaçant de Messi. L’absence de Giovanni Lo Celso, l’un des pions importants du système de Scaloni et premier lieutenant créatif de Messi, devrait plus peser dans la balance. C’est Alexis MacAllister, l’un des partenaires en club de Leandro Trossard, qui devrait prendre le relais de Lo Celso dans le onze de base grâce à ses performances régulières à Brighton, en Premier League. Il a le profil parfait pour devenir l’une des révélations de cette Coupe du monde. Une autre option pour ce rôle est la jeune pépite Enzo Fernández. A 21 ans, le joueur formé à River Plate est à la fois le chef d’orchestre et le pitbull du milieu de terrain de Benfica.

Lors des premiers jours sur le sol qatari, l’Argentine a dû acter les forfaits des ailiers Joaquín Correa et Nico González. Mais il s’agissait surtout de remplaçants dans le noyau. Le transfert de Lisandro Martínez à Manchester United a de son côté créé un casse-tête à court terme. Arrivé à Old Trafford dans le sillage d’Erik Ten Hag, son coach à l’Ajax, le défenseur de poche (1m75) est aujourd’hui considéré comme l’un des hommes forts de la défense argentine pour les prochaines années. Pour l’heure, Scaloni ne semble pas prêt à dissocier le duo central défensif composé par Cristian Romero et Otamendi. Celui-ci a été déterminant dans la série de 36 rencontres sans défaite. Pour revenir à cette dernière, certains observateurs ont constaté que l’Albiceleste n’a rencontré que deux pays européens depuis octobre 2019 : l’Italie et l’Estonie. La question est désormais de savoir si l’Argentine peut effectivement être classée au même niveau que les meilleures formations européennes.

Le duo Cristian Romero et Nicolas Otamendi, aligné en défense centrale, n’est pas étranger à la série de 36 matches sans défaite vécue par les Argentins. (Photo by ANDRES LARROVERE/AFP via Getty Images) © belga

Un pays touché par une grave crise économique

Un succès mondial de Messi et compagnie pourrait aussi apporter un peu de bonheur à un pays qui traverse une grave crise économique. L’Argentine est déjà aux prises avec une inflation étouffante et sa foi dans la démocratie a été fortement ébranlée avec la tentative d’assassinat, bien que déjouée, de la vice-présidente Christina Kirchner. Comme toujours en Amérique du Sud, le bonheur national brut de la société est proportionnel à la réussite de son équipe nationale de football sur le terrain. La nation entière se rallie donc à un seul rêve : celui de voir Lionel Messi brandir la Coupe du monde. Ce n’est pas un hasard si la télévision argentine a récemment lancé une nouvelle série dans laquelle un père se rend au Qatar avec son fils pour voler la Coupe du monde, afin de se venger de la disqualification injuste de l’Albiceleste. L’Argentine n’a peut-être pas la formation la plus talentueuse des 32 participants, mais le passé de la compétition a souvent montré qu’il suffisait de quelques joueurs de haut niveau en pleine forme et d’un collectif soudé pour avoir plus de chances de remporter un grand tournoi. A 35 ans, Maradona offrait au Boca Juniors les derniers grands éclairs de son génie, au niveau national. Au même âge, Lionel Messi semble peut-être en passe de terminer le puzzle qui lui permettrait d’être définitivement le nouveau Dieu de l’Argentine.

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