Coupe du monde 2022: la source française qui ne tarit jamais

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Privée de certains de ses ténors, la France s’est malgré tout hissée en finale, même si elle a échoué à prolonger son règne mondial sur le sol qatari. Le témoignage aux yeux du globe d’un pays devenu une incomparable usine à produire des talents.

Parce qu’il est devenu un sport de vitesse, le football ne fait évidemment pas exception à la règle du temps qui passe. Quatre ans, c’est long. Surtout dans un sport qui ne fait qu’appuyer sur l’accélérateur. En vieux renard du jeu, Didier Deschamps l’a bien compris. Probablement, aussi, parce que le football l’y a contraint. Au coup d’envoi de la finale, 1617 jours après le sacre de Moscou, ils ne sont que cinq Bleus à chanter une nouvelle fois La Marseillaise à même la pelouse dans l’enceinte la plus convoitée du Mondial qatari. Samuel Umtiti ne s’est jamais remis de ses sacrifices de l’été russe, Paul Pogba et N’Golo Kanté – déjà forfaits avant le tournoi – ont rapidement été rejoints par Lucas Hernandez à l’infirmerie, Benjamin Pavard n’a plus goûté au gazon depuis son erreur face à l’Australie et Blaise Matuidi a transformé son métier en loisir depuis qu’il a traversé l’Atlantique. Six nouvelles têtes, donc, forment le onze aligné par La Dèche à Doha. Les survivants d’une épopée qui a laissé de nombreux blessés à quai, de Pogba à Kanté en passant par la star du championnat allemand Christopher Nkunku, le défenseur parisien Presnel Kimpembe ou le récent Ballon d’or Karim Benzema. Une infirmerie dont l’abondance aurait mis au tapis bien des candidats au sacre. Pourtant, la France est encore là. Sans doute parce que son vivier est sans égal.

« La France, c’est la NBA du football », décrivait le président de l’Olympique de Marseille Pablo Longoria dans une interview accordée à ses compatriotes d’El País. « Il y a une chose fondamentale qu’il faut comprendre, c’est que la formation en France est comparable à celle des joueurs de basket aux États-Unis. C’est le football qui se joue toujours dans la rue, c’est la formation individuelle avant la collective. On forme des joueurs très individualistes, sans concept concret de jeu. En France, il n’y a pas un modèle de jeu établi. Ils ne vendent pas d’idées collectives. » L’analyse est suivie d’un constat sur le manque d’exportation internationale des coaches tricolores qui déchaînera les critiques sur le sol français, éloignant ainsi le propos de son intention première : valoriser l’usine à talents de l’Hexagone. Avec le recul, la France pourrait pourtant se dire que si Didier Deschamps n’a pas dû bouleverser ses idéaux suite aux forfaits en cascade, c’est peut-être tout simplement parce que l’idéal de jeu bleu n’existe pas. Plutôt que la NBA, la France est le Real Madrid du football de sélections. Le pouvoir est aux joueurs, parce que ce sont eux qui gagnent.

Biberonné aux idéaux de la Vieille Dame, un club dont l’illustre représentant Giampiero Boniperti aimait dire que « à la Juventus, gagner n’est pas important, c’est la seule chose qui compte », Didier Deschamps est le père spirituel de ce gène de la victoire. Aujourd’hui, ses enfants se comptent surtout en Île-de-France, vivier monumental du football hexagonal et international. Lors de la saison 2019-2020, 45% des 94 joueurs français évoluant dans l’un des quatre grands championnats étrangers (Allemagne, Angleterre, Espagne ou Italie) provenaient ainsi de la région parisienne. Au Qatar, la proportion de Franciliens dans la liste de Deschamps décolle à des hauteurs rarement vues, avec onze des 26 sélectionnés venus de Paname ou de ses alentours. Paris, incarnée par l’enfant de Bondy Kylian Mbappé, est le réservoir sans fin du football bleu.

Si Didier Deschamps n’a pas dû bouleverser ses idéaux suite aux forfaits en cascade, c’est peut-être tout simplement parce le pouvoir est aux joueurs. Parce que ce sont eux qui gagnent. (Photo by Dan Mullan/Getty Images)

LA TERRE BÉNIE

Région la plus peuplée de France, qui rassemble près d’un cinquième de la population nationale, l’Île-de-France est devenue un eldorado du football. Selon Jean-Claude Lafargue, membre éminent du célèbre INF Clairefontaine qui se confie alors au quotidien de la capitale Le Parisien, « entre 60 et 70% des joueurs professionnels français sont aujourd’hui issus de la région parisienne ». Une proportion gigantesque qui ne s’explique pas seulement par la démographie, et qui attire en tout cas les yeux du monde entier. On prête ainsi à Karl-Heinz Rummenigge, dirigeant historique du Bayern, la formule selon laquelle « il existe plusieurs endroits au monde qui sont des terres bénies pour le football : le Brésil et la France, et plus particulièrement la Seine-Saint-Denis. » Autrefois détenu par l’état brésilien de São Paulo, le titre honorifique de source footballistique la plus prolifique de la planète serait désormais détenu par l’Île-de-France. « C’est le plus grand vivier du monde », confirme à Eurosport le scout Antonio Salamanca, passé par les cellules de recrutement de Liverpool, Tottenham ou Villarreal. Tous les clubs de France, mais aussi des pointures internationales ont désormais un œil permanent et précoce sur les très jeunes talents qui foulent chaque week-end les pelouses parisiennes, en quête d’un filon d’or dans une mine à talents qui a déjà vu jaillir des Mbappé, Pogba, Kanté, Kingsley Coman ou Riyad Mahrez.

«Au Qatar, onze des 26 sélectionnés français viennent de Paris ou de ses alentours. « La qualité du réservoir naît tout simplement de la densité extrême de quartiers populaires. Les jeunes y baignent dans le foot de rue. »

Mathieu Bideau, directeur du recrutement du centre de formation de Nantes

Quand vient l’heure de passer aux explications, c’est La Pioche qui s’y colle. En 2017, alors revenu à Manchester United, Pogba raconte à ESPN une région francilienne où « que ce soit à l’école ou dehors, dans le quartier, tout le monde joue au football. » L’amusement est rarement une priorité sur des agoras où les places sont bien moins nombreuses que les prétendants, et où seule la victoire permet de rester en jeu. L’esprit de compétition est affûté à chaque instant, comme le constate le formateur d’Aubervilliers Ilyes Ramdani pour Eurosport : « Le football est une façon de réussir socialement, il y a beaucoup plus d’ambition que de passion. On le remarque quand on affronte des équipes qui viennent de plus loin. Nos petits mettent beaucoup plus de grinta. »

Comment ces 12.000 kilomètres carré de terrain ont-ils enfanté un tiers des champions du monde de 2018, alors que le seul Thierry Tusseau représentait l’Île-de-France dans la liste des champions d’Europe de 1984 ? « La vraie richesse du football francilien vient des enfants issus de l’immigration africaine », diagnostique le directeur du recrutement du centre de formation de Nantes Mathieu Bideau dans Le Parisien. « La qualité du réservoir naît ensuite tout simplement de la densité extrême de quartiers populaires. Les jeunes y baignent dans le foot de rue. » En 1998, les champions du monde Thierry Henry, Lilian Thuram et Patrick Vieira sont les premiers témoins d’une formule énoncée à SoFoot par Claude Dussault, ancien directeur de l’INF Clairefontaine : « Là où il y a une grande métropole dans un pays de football, il y a un vivier. »

Avec onze des 26 sélectionnés venus de Paname ou de ses alentours. Paris, incarnée par l’enfant de Bondy Kylian Mbappé, est le réservoir sans fin du football bleu.. (Photo by Richard Heathcote/Getty Images) © belga

LE CULTE DU JOUEUR

Au-delà du cœur du pays, le maillage de la France en centres de formation a fait du vivier bleu une source qui ne s’arrête jamais de couler pour noyer le pays sous les talents. La souplesse du carcan idéologique, soulignée par Pablo Longoria, fait le reste. Là où Luis Enrique, l’homme qui avait verticalisé le football du Barça en donnant le pouvoir à la MSN, était presque contraint par le manque de diversité des profils à installer sa Roja dans un jeu de position et de possession, la France semble toujours avoir le choix. De quoi rendre jalouse ses voisins ? Très poussés dans la formation tactique avec une insistance majeure sur la mise en place de collectifs performants, l’Allemagne rivale se tourne souvent vers l’Hexagone quand elle doit recruter et ajouter une dose d’imprévisibilité à ses équipes. Maître à penser du football RedBull, Ralf Rangnick admet ainsi que « tous les joueurs que nous avons recruté en France apportent un bon mélange de puissance physique, vitesse, dynamisme, explosivité, mais aussi une bonne technique. Ils ont une bonne conduite de balle parce qu’ils ont appris à jouer et à taper la balle dans la rue. » Le cliché est sans doute excessif, mais séduit la Bundesliga, au sein de laquelle évoluent ou ont évolué neuf des 26 finalistes qataris. Le « chaos » généré par le joueur français, souvent capable de différences physiques et/ou techniques hors normes, est un atout dont personne ne semble vouloir se priver.

« La banlieue influence Paname, Paname influence le monde», chantait le rappeur Médine. Mais le Parisien Kylian Mbappé devra laisser ce rôle à Lionel Messi et l’Argentine. (Photo by Jose Breton/Pics Action/NurPhoto via Getty Images)

Personne n’incarne mieux cette France insolente de facilité que Kylian Mbappé. Il y a quatre ans, alors qu’il n’avait pas encore vingt ans sur le passeport et à peine plus de cent matches chez les professionnels dans les jambes, l’enfant prodige de Bondy avait écœuré ses adversaires lors de l’été russe, précipitant notamment la chute de l’Argentine en huitièmes de finale alors que les Tricolores semblaient mal embarqués dans la rencontre. Un bon millier de jours plus tard, l’Albicéleste faisait cette fois office de dernier obstacle sur la route d’un doublé qui aurait pu consacrer la France comme la nation footballistique dominante des dernières décennies. Encore une fois, malgré un début de match fantomatique, Kylian Mbappé a fait souffrir l’arrière garde sud-américaine en s’offrant un triplé, dont deux réalisations sur pénalty. Cela n’aura cependant pas été suffisant pour priver Lionel Messi de son rêve mondial après une séance de tirs au but fatidique. KM7 se contentera simplement du titre de meilleur buteur de la compétition sur les terres de ses grands patrons en club. Au Qatar, l’Île-de-France espérait faire la loi dans un pays qui dirige toujours Paris, il n’en sera rien.

Néanmoins, sur les sept dernières éditions du Mondial, les Bleus ont disputé cinq finales et tissé deux étoiles au-dessus de leur coq national. Un bilan qui reste cependant remarquable, même si l’équipe de France n’aura pas donné totalement raison à la punchline du rappeur Médine. Dans sa chanson Grand Paname, il disait : « La banlieue influence Paname, Paname influence le monde. » C’est finalement l’Argentine qui choisira le tempo d’un monde qui avance à toute vitesse. Mais ce n’est sans doute que partie remise pour la France qui aura l’occasion de prendre sa revanche sur le continent nord-américain d’ici quatre ans.

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