Willy et ses bons tuyaux

Si la Belgique est proche d’une qualification au Brésil, elle le doit à son sélectionneur fédéral.

Glasgow, une pluie battante et continue. Marc Wilmots passe le match en costume sous la drache locale. Jamais il ne rejoindra son dug-out. Belgrade, un an plus tôt. La même pluie mais cette fois-là, le costume est resté sur son cintre. Les deux images sont fortes et resteront, à jamais, attachées à ces éliminatoires. Même les éléments déchaînés n’ont pas eu prise sur cette équipe lancée à toute vitesse vers un rêve inaccessible depuis 2002. Et encore moins sur son coach, symbole de cet acharnement et de cette volonté de fer.

A Hampden Park, cette génération que l’on dit dorée a écrit un nouveau chapitre de son histoire. Il a fallu qu’elle atteigne sa maturité pour enfin enchaîner des résultats. Car de talent, elle n’en a jamais réellement été dépourvue. Maturité, multiplication des joueurs à l’étranger (et donc confrontés chaque semaine à la crème…anglaise), voilà les explications les plus souvent fournies pour expliquer cette campagne qualificative qui frôle quasi la perfection.

Mais nul doute qu’au décompte final, personne n’oubliera l’apport du sélectionneur fédéral. En un an, l’homme a fait de cet ensemble d’étoiles disparates une constellation. Les individualités sont devenues un groupe compact, uni et soudé. Quel est le chemin emprunté, depuis un an, par Wilmots ? Sport/Foot Magazine s’est posé la question et analyse la philosophie et le fonctionnement du sélectionneur.

Sa nomination

Il y a un an, la presse réclame à cor et à cri la nomination d’un des deux golden boys de la corporation belge des entraîneurs, Michel Preud’homme et Eric Gerets, ensablés dans les pays du Golfe. L’Union Belge, après avoir sondé les deux hommes, se tourne alors vers celui qui piaffe d’impatience dans l’ombre, Marc Wilmots. Certains redoutent son manque d’expérience comme entraîneur principal, d’autres (au sein même de la Fédération) doutent encore de ses qualités tactiques. Même celui qui finit par le nommer, le président de la Commission technique, Philippe Collin doute un peu. Il sait qu’un nouvel échec, dans un groupe difficile mais sans réel cador, avec cette si belle génération, ne peut être envisagé.

 » Sur le plan tactique, j’avais des appréhensions mais là, maintenant, c’est parfait « , explique Collin.  » Il lui manquait certes un peu d’expérience mais le groupe a directement été derrière lui. Je l’ai senti lors des deux matches amicaux intermédiaires (NDLR : en Angleterre et face au Monténégro). Ça a clairement fait la différence à un moment où on me poussait vers d’autres noms.  »

Wilmots avait deux choses pour lui au moment de sa nomination : son charisme (il est aimé et soutenu par l’opinion publique) et le soutien des joueurs. Nul ne doutait de sa capacité à tenir et gérer un groupe. Pour le reste, il devait encore séduire, notamment au niveau du choix des sélections, du jeu et des changements tactiques. En un an, il a confirmé ses qualités connues et surtout il en a dévoilé de nouvelles.

La personnalité

C’est la marque Wilmots ! Il se mouille, au propre comme au figuré, rue dans les brancards, soutient ses joueurs, et joue sur la corde sensible. Le coeur, l’honneur, la fierté sont des mots qui reviennent sans cesse. Son discours fonctionne et s’adapte aux spécificités de son groupe, composé à 90 % de joueurs  » étrangers « . Il joue sur la carte de l’orgueil.

 » Quand tu évolues à l’étranger, tu ne supportes pas que ton pays soit à la traîne, tu veux obtenir le respect des autres nationalités qui composent ton vestiaire.  » Et ça marche. Les joueurs se sentent investis d’une mission patriotique.  » Il a créé un groupe qui se donne à 100 % et qui joue avec son coeur, pour l’honneur de la Belgique « , lâche Thibaut Courtois. » C’est un maître dans l’art de motiver « , reconnaît Jan Vertonghen.  » Il parle beaucoup avec ses joueurs et il insuffle de ce fait beaucoup de confiance au groupe.  »

Suivant son propre exemple, il a fait de ses joueurs des affamés.  » Il est important pour le groupe « , explique Marouane Fellaini,  » Avant chaque match, il nous dit le travail que l’on doit effectuer. Il nous rappelle sans cesse nos objectifs et nous motive en nous montrant le chemin déjà parcouru. Avec lui, les mots discipline et travail signifient quelque chose.  »

Ses joueurs ne lâchent rien et pas question de planer. Le discours de Wilmots devant la presse ( » Nous ne sommes encore nulle part  » ;  » nous avons dix finales à disputer  » ; etc) a déteint sur son groupe. Après la victoire en Ecosse, beaucoup reconnaissaient que la plus grande partie du travail avait été effectuée avant d’ajouter  » qu’il fallait encore gagner une des deux finales restantes « .

La protection de son groupe

Si Wilmots n’a jamais vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué, c’est certes parce que cette génération n’avait pas encore eu les résultats qu’on était en droit d’attendre d’elle mais c’est aussi parce qu’il a voulu protéger son groupe d’un retour de boomerang.

Autre caractéristique de Wilmots : il voit les pièges avant tout le monde. Il a très vite perçu le danger des éloges. Il préfère que les louanges viennent suite aux résultats plutôt qu’elles ne les précèdent.  » J’aime les fleurs mais souvent, il y a les pots qui suivent. Nous sommes sur la pente ascendante mais en football, tout peut aller très vite « , se contente-t-il de répondre lorsque la presse étrangère évoque cette golden generation.

Autre façon de protéger son noyau : être à l’écoute de celui-ci. Il n’a pas hésité à écarter Christian Benteke du onze de base au Pays de Galles pour lui permettre de digérer son transfert ; face à la Croatie, il a laissé souffler Fellaini qui lui avait dit qu’il se sentait un peu fatigué. Et un jour après sa négociation-marathon avec Manchester United, la semaine passée, il lui a permis de récupérer, mardi.

Face à l’adversaire aussi, Wilmots monte au créneau. En Ecosse, Fellaini est sorti sous la bronca locale. Wilmots est directement venu lui serrer la main et l’enlacer pour bien montrer au public d’Hampden Park que quiconque s’en prenait à un de ses joueurs, s’en prenait directement à lui.

La presse

Par contre, transformer cette protection en paranoïa est un danger qui le guette. Les journalistes et photographes ont mal vécu le stage aux Etats-Unis en mai dernier, et le quasi huis clos. Tout cela avant une rencontre amicale.  » Il voulait voir comment le groupe se comporterait en vase clos pour se faire une idée de ce que pourrait être le Brésil « , explique un membre de la délégation belge.

En Ecosse, il a sorti une petite phrase très mal ressentie par la presse.  » Malgré la presse, nous restons un groupe uni et soudé « , a-t-il lancé. Or, jamais la presse ne s’est montrée autant élogieuse et dithyrambique envers les Diables Rouges. Etait-ce une façon, à l’instar des José Mourinho ou Raymond Domenech, de souder ce groupe sur le mode  » seul contre le reste du monde  » ?

Certes, la renommée grandissante de cette équipe attire de plus en plus de curieux mais les valeurs de cette équipe reposent justement sur son identification au peuple belge. La faire vivre dans un camp retranché ne cadrerait plus avec ce schéma.

Pas de passe-droit

La correction et le respect sont au coeur de son travail. Il considère chaque joueur comme une pierre angulaire de l’édifice. Et il le fait ressentir à son groupe. Chacun sait que certains joueurs sont plus importants que d’autres mais vous n’entendrez jamais cela dans la bouche de Wilmots. Même s’il a dégagé une équipe-type, il a toujours martelé, tant en début de campagne qu’à la fin, que le banc constituait le coeur de son groupe.

En Ecosse, il ne s’est jamais affolé quand il a dû enregistrer les forfaits de Vincent Kompany, Thomas Vermaelen et Eden Hazard. Et il n’a pas hésité à lancer Steven Defour, qui n’était plus apparu comme titulaire depuis septembre 2012, plutôt que Moussa Dembélé ou Kevin Mirallas, plus en cour ces derniers mois. En agissant de la sorte, il envoyait un message clair : tout le monde a un rôle à jouer au sein du groupe.

 » On a un banc fort et le coach a compris qu’il fallait utiliser cette force en maintenant chacun éveillé « , dit Daniel Van Buyten. Le joueur du Bayern est d’ailleurs un parfait exemple de cette politique. A 35 ans et alors que Georges Leekens ne comptait plus vraiment sur lui, il l’a valorisé et a clairement dit qu’il était le remplaçant numéro un de Kompany ou Vermaelen. Aujourd’hui, Van Buyten n’a jamais joué aussi sereinement et dégagé autant de sureté en équipe nationale.

Le dialogue

Il ne donne jamais son équipe avant un match. Pour ne pas dévoiler ses cartouches à l’adversaire, parfois pour le surprendre, mais également pour maintenir la vigilance de son groupe. Jusqu’au bout, les 24 joueurs sont concernés même s’il n’hésite pas à prévenir l’un ou l’autre joueur de sa titularisation pour qu’il puisse rentrer dans la concentration de son match. C’est de la sorte qu’il a fonctionné avec Nicolas Lombaerts (qui remplaçait Kompany) avant la rencontre face à l’Ecosse.

Il prend beaucoup de temps à parler avec tout le monde, titulaires comme remplaçants, même s’il ne se sent pas obligé de justifier ses choix. Il parle mais tranche.  » Le jour du premier match, au Pays de Galles, il m’a dit – Tu joues. Il avait tranché entre moi et Simon Mignolet « , raconte Courtois.  » Il ne m’a pas dit ses raisons mais dans sa façon d’être, j’avais très bien compris qu’il ne me faisait pas une faveur, que derrière Simon continuait à pousser et que je n’avais aucune garantie d’être numéro un pendant toute la campagne.  »

Le jeu

Sur ce point-là également, il reste fidèle à ses principes. Il veut un jeu offensif, ambitieux mais organisé.  » J’aime cette façon d’avancer sur l’adversaire, de conquérir l’espace adverse. Je n’ai pas voulu travailler avec René Vandereycken car nous n’avions pas la même philosophie de jeu, ce qui, je précise, n’a rien à voir avec la personne. Presser vers l’avant, prendre l’adversaire à la gorge, mettre la pression plus haut, voilà ce vers quoi je veux aller « , avait déclaré Wilmots à Sport/Foot Magazine en début de campagne.

S’il a accepté de devenir T2 de Dick Advocaat, c’est parce qu’il partageait la même idée du triangle de l’entrejeu : un 6 et deux 8. Witsel est devenu la sentinelle, et il attend des deux huit qu’ils s’infiltrent le plus possible.  » Moi, il me demande d’être le patron au milieu et de communiquer beaucoup devant moi, d’être un leader comme Kompany mais un cran plus haut « , dit Witsel.  » Et quand un joueur est forfait, il le remplace par un autre qui s’imbrique dans le système.  » Defour, titulaire en Ecosse, n’a pas joué aux côtés de Witsel mais un cran plus haut.

Le cas Fellaini

Autre grand principe : la possession de balle. En Ecosse, il fallait éviter que le match tourne en combat physique.  » Il fallait aller dans les duels pour montrer que l’on avait du répondant physique mais garder le plus possible le ballon, afin justement d’éviter le piège d’un match physique « , analyse Witsel.

 » Je pars du principe que quand tu as le ballon, l’adversaire n’est pas dangereux « , reconnaissait Wilmots dans Sport/Foot Magazine en 2012.  » Donc quand tu possèdes plusieurs joueurs techniques, les titulariser te permet d’avoir le contrôle sur le match et ne pas subir la pression.  » Il a particulièrement été séduit par la prestation technique et défensive de Dembélé, qui avait contrôlé Steven Gerrard, lors de son intronisation en Angleterre. Et c’est pour cette raison qu’en début de campagne, le joueur de Tottenham avait la préséance sur Fellaini.

Fellaini constitue d’ailleurs le seul caillou dans la chaussure de Wilmots. Dans sa logique, le triangle de l’entrejeu doit être technique. Witsel, Chadli, Dembélé, Defour conviennent donc mieux que Fellaini. Mais peut-on se passer d’un monstre physique comme Fellaini, qui évolue désormais à Manchester United et capable de tout faire (c’est encore lui qui fut le déclencheur du premier but en Ecosse) dans l’entrejeu ? Sur ce point, Wilmots semble avoir fait marche arrière puisqu’en début d’éliminatoires, il lui préférait Dembélé mais que depuis la Macédoine, Fellaini est revenu dans le onze.

Stabilité et feeling

Pour le reste de l’équipe, Wilmots a stabilisé sa défense, optant définitivement pour Vertonghen à gauche et Toby Alderweireld à droite. Il a fait de Courtois, Benteke et Kevin De Bruyne les stars de cette campagne. C’est Wilmots, le premier, qui a dit à Benteke de s’imposer davantage sur le plan physique, après l’avoir vu sombrer face à Josip Simunic lors de Belgique-Croatie.  » Le coach me répète sans cesse – Un attaquant qui ne prend pas de coups est un attaquant inexistant « , résume Benteke.

Et puis, il faut également souligner les coups tactiques gagnants de Wilmots. En Ecosse, personne ne donnait Defour titulaire. Il est devenu le héros de tout un peuple en marquant. Il fait rentrer Mirallas, il marque. Au Pays de Galles et face à la Croatie, ce sont les entrées de De Bruyne qui donnent de l’élan à la Belgique. En Serbie, après les dix minutes délicates, il décale Hazard sur le côté et fait rentrer Chadli dans le jeu. Autre risque : lancer Courtois en début de campagne alors que Mignolet n’a jamais déçu sous le maillot belge. Pari réussi puisque dès la première rencontre, Courtois sort des arrêts d’extra-terrestres.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS: IMAGEGLOBE

Il protège son groupe mais il ne faudrait pas que cette protection tourne en paranoïa.

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