VERS LE GIGANTISME

Comment se sent Sepp Blatter ? L’ancien président de la FIFA se fondait tellement dans son travail qu’il était même au bureau à Noël et qu’il décrochait le téléphone. Il vivait son jour de gloire annuel le deuxième lundi de janvier, lors de l’élection du Joueur FIFA de l’Année. Il montait sept fois sur le podium pour s’adresser à la famille du football, comme il l’appelait amicalement. De ce point de vue, son successeur, Gianni Infantino, est moins pompeux. La structure de ce référendum a quelque peu changé.

En revanche, Infantino ne manque pas d’idées. Le projet d’organiser un Mondial à 48 nations à partir de 2026 semble sorti tout droit de la boîte à trucs de Blatter, qui détournait l’attention des problèmes plus essentiels par des réformes. La différence, c’est qu’Infantino impose ses idées encore plus rapidement. Avec un méga événement pareil, la fédération mondiale s’engage encore un peu plus dans la voie du gigantisme.

Il ne s’agit plus seulement de football. Le constat n’est pas neuf. De même que Sepp Blatter arpentait le monde en apôtre de la paix qui annonce la bonne parole, Infantino augmente son pouvoir dans les petits pays. En outre, les rentrées de la FIFA vont considérablement augmenter, d’un montant estimé à minimum 600 millions d’euros, bien qu’on parle ici et là d’un milliard d’euros. L’attrait de l’argent piétine les critères sportifs. Surtout dans leur première phase, les matches risquent d’être moins spectaculaires, les adversaires de moindre calibre vont dresser un mur devant leur but. Sous le manteau de la globalisation, on sacrifie tout sur l’autel du commerce.

Les confédérations nourrissent des projets de plus en plus grandioses. L’EURO, qui se disputait entre quatre nations en 1980, compte dorénavant 24 participants et en 2020, il se jouera à travers toute l’Europe. En 1978, le Mondial rassemblait seize équipes. Ce nombre a été porté à 24, 32 et bientôt donc à 48. Bien sûr, il faut être ouvert aux changements mais uniquement si ça profite au football. On peut comprendre que les petites nations veuillent une chance de se produire sur une plate-forme mondiale et ainsi accélérer le développement du football mais pas si c’est au détriment de la force d’attraction et de la magie du Mondial.

Même si un Mondial à 48 pays ne durerait pas plus longtemps et que les formations qualifiées ne devraient pas jouer plus de matches, cette (r)évolution va à l’encontre de l’appel des médecins à diminuer la charge de travail des footballeurs. D’autant que le nombre de blessures augmente de manière alarmante. En trente ans, le nombre de matches disputés par les footballeurs de haut niveau doit avoir triplé, ne serait-ce que parce que les clubs disputent de plus en plus de matches amicaux lucratifs, dans lesquels ils doivent aligner leurs meilleurs éléments. C’est une lutte éternelle entre l’économie et la médecine.

Les fédérations ont un rôle à jouer ici aussi. Au lieu de cela, elles surchargent le calendrier. L’organisation de la Coupe d’Afrique, qui a débuté le week-end passé, en est un bel exemple. Les footballeurs africains doivent se préparer à l’événement pendant une trêve hivernale déjà trop courte. Ceux qui se qualifient pour la dernière phase du tournoi disputent six matches en trois semaines, souvent sous une pression terrible, avant de retourner à leurs championnats respectifs. Or, plusieurs études ont révélé la nécessité d’une longue pause hivernale. La Bundesliga allemande est cependant la seule à l’appliquer.

Partout, tout tourne autour des revenus, de l’argent, du pouvoir. Cet afflux de rencontres ne va-t-il pas induire une certaine saturation du public footballistique, à terme ? Nul ne s’est encore posé la question.

PAR JACQUES SYS

Gianni Infantino impose très rapidement ses idées.

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