Valeurs belges

La formation, l’étranger, les agents de joueurs, etc : les questions sont nombreuses si on veut qu’un jeune évolue bien. Signer un contrat à 16 ans suffit-il pour être heureux ?

L’équipe nationale des -17 ans s’est qualifiée, pour la première fois dans l’histoire du football belge, pour le Championnat du Monde de la catégorie. Les Espoirs possèdent quatre chances sur sept de se qualifier pour les Jeux Olympiques. Tout cela, alors que les Diables Rouges s’évertuent à croire qu’ils ont encore une chance infime de se qualifier pour l’Euro. La Belgique se pose donc des questions. Est-il donc vrai que, malgré les apparences, il y a du talent chez nous ? Comment cultiver ce blé qui lève et faire en sorte qu’il mûrisse ?

Les bons résultats de nos jeunes sont-ils le fruit d’un travail de formation assez poussé ?

Sablon :  » L’objectif majeur, chez les jeunes, n’est pas d’obtenir le meilleur classement possible mais de former des joueurs pour les Diables. Cela dit, lorsqu’une équipe se classe bien, il est clair qu’on s’en réjouit. L’Union Belge ne crachera certainement pas sur une participation aux Jeux Olympiques. Les bonnes performances de nos -17 et -21 sont le résultat du travail effectué en amont. La collaboration entre l’Union Belge et les clubs s’est améliorée. Tous les mois, une réunion est organisée avec les dirigeants des clubs pros. Cela porte ses fruits. Il y a six ou sept ans, lorsqu’on faisait l’inventaire des joueurs dans les différentes catégories d’âge dans les clubs belges, on arrivait à sept ou huit joueurs de bonne qualité par catégorie. Aujourd’hui, on en dénombre 14, 15 ou 16. Autre donnée : il y a deux ou trois semaines, le préparateur physique des Espoirs Mario Innaurato a réalisé une batterie de tests physiques sur les joueurs du noyau t les résultats sont impressionnants, ce sont de vrais athlètes. Huit Espoirs ont d’ailleurs intégré le groupe des Diables Rouges… Ce sont des signes évidents que le travail de formation s’est amélioré au sein de nos clubs d’élite « .

D’Onofrio :  » Le Standard a été un précurseur dans ce domaine. C’est le premier club belge qui a lancé un foot-études. On va chercher les enfants à l’école, on les amène à l’entraînement, puis on les reconduit à l’internat. On a des accords avec quatre ou cinq établissements scolaires, et trois internats. Je ne dis pas que tout est parfait, mais on essaie de se rapprocher de ce qui se fait de mieux ailleurs, c’est-à-dire en France. On ne lutte pas à armes égales : dans l’Hexagone, les clubs sont subsidiés par les municipalités et peuvent consacrer de gros budgets à la formation des jeunes. L’un des gros problèmes, en Belgique, est la post-formation. Là aussi, le Standard a été un précurseur : avant les réunions qui ont abouti à la création d’un championnat Espoirs (remplaçant celui des Réserves), on avait déjà créé une section -21, qui disputait des matches amicaux pour permettre aux joueurs de disposer de deux ou trois années supplémentaires afin de franchir le dernier palier. Jadis, à 19 ou 20 ans, ceux qui n’étaient pas encore prêts pour la D1 partaient en D2 ou en D3… et se perdaient. Très peu d’entre eux atteignaient l’équipe Première. Si, aujourd’hui, Marouane Fellaini et Axel Witsel ont su saisir leur chance, c’est aussi parce qu’ils étaient prêts au moment voulu. Ce sont deux jeunes qui allient le talent à la personnalité « .

Sablon :  » Le travail effectué en Belgique avec les jeunes mériterait davantage de considération de la part des médias. Lors du Championnat d’Europe des -17 ans, que l’on a organisé chez nous au début mai, on avait proposé aux chaînes publiques de retransmettre les matches gratuitement. Elles devaient juste amener le matériel. C’était encore trop, elles se sont contentées de quelques brèves images. Seul Eurosport a retransmis les matches. En ce qui concerne l’assistance, par contre, on a dépassé les prévisions. On avait tablé sur 25.000 spectateurs au total et on a dépassé ce chiffre. A Eupen, même si les Belges n’y jouaient pas, on a fait le plein. Peut-être la culture allemande « .

A quel point le rôle des agents de joueurs est-il néfaste quand ils provoquent tant de transferts ?

Hazard :  » Personnellement, je n’ai jamais eu d’agent mais mon sommet comme joueur fut la D2. Mon fils Eden, qui a 16 ans, n’a pas d’agent mais il y a des personnes qui s’en occupent. Des Parisiens, mais aucun contrat n’a été signé avec eux : c’est simplement un accord verbal. Mon fils a signé un contrat avec le LOSC, mais pas avec un agent. Actuellement, ces personnes auxquelles je fais confiance souhaitent simplement suivre la progression d’Eden à Lille, alors que d’autres ont débarqué d’Angleterre en proposant directement des sommes d’argent faramineuses pour qu’il traverse la Manche. En Angleterre, à 16 ans, un footballeur ne va plus à l’école mais peut déjà gagner beaucoup d’argent « .

Eris :  » J’essaie toujours de privilégier l’intérêt de mes joueurs plutôt que mon intérêt financier personnel. Actuellement, des équipes allemandes et italiennes sont prêtes à débourser des sommes incroyables pour Sébastien Pocognoli, et ma commission aurait forcément été plus importante également, mais j’ai préféré l’aiguiller vers AZ où il pourra poursuivre sa progression tranquillement. La présence de Louis van Gaal au poste d’entraîneur, un homme capable de tirer la quintessence d’un jeune joueur, fut également déterminante. On peut se demander pourquoi Sébastien part alors qu’il avait signé, en début de saison, un nouveau contrat que le liait à Genk jusqu’en juin 2011. On a signé ce contrat par respect pour le club limbourgeois alors que, déjà, de nombreux clubs s’intéressaient à lui. Mais, sans pour autant prévoir de clause libératoire, on avait convenu que si une opportunité se présentait, on ne lui mettrait pas de bâtons dans les roues. Il faut bien sûr que Genk s’y retrouve également sur le plan financier parlant. On n’utilisera pas la loi de 78 pour rompre le contrat en cours « .

D’Onofrio :  » Tout travail mérite salaire, et il est logique qu’un agent de joueurs touche une commission lorsqu’il transfère un joueur. Je n’ai rien contre cela. Par ailleurs, il ne faut pas confondre un jeune joueur professionnel, comme l’est Pocognoli, avec un aspirant professionnel issu d’un centre de formation, comme l’est Eden Hazard. Lorsqu’on essaie d’exploiter – et j’utilise à dessein le mot exploiter – un gamin de 15 ou 16 ans, l’entourage joue un rôle majeur. Les parents perdent vite la tête lorsqu’on leur fait miroiter des sommes d’argent. Et la motivation théorique d’un agent est claire puisqu’il se nourrit des commissions perçues lors des transferts : il a donc intérêt à ce que ses joueurs changent de club le plus souvent possible « .

Hazard :  » En France, un agent ne peut jamais toucher de commission lorsqu’il réalise une transaction avec un joueur de moins de 18 ans. C’est sans doute plus sain « .

Eris :  » Je n’ai jamais cherché à exploiter les gamins. Au contraire, j’essaie de les aider. Ceux dont je m’occupe sont, pour la plupart, issus d’un milieu défavorisé. Leurs parents n’ont aucune connaissance des lois. C’est là que le rôle d’un manager devient important « .

Hazard :  » Lorsque leur fils est très sollicité, comme c’est le cas d’Eden, ce n’est pas facile pour les parents de résister. Eden a la chance que mon épouse et moi ne sommes pas dans le besoin. Nous travaillons tous les deux et possédons une belle maison. Pour des parents à la situation précaire, c’est sans doute plus difficile de refuser une belle proposition financière « .

A quel point faut-il éduquer les parents ?

Hazard :  » Je constate une autre approche des parents en France qu’en Belgique. A Lille aussi, il y a des gamins qui jouent dix minutes par match. On leur rétorque : – Si tu veux plus, tu devras mieux travailler en semaine ! Essayez cela en Belgique. Papa sera vite là pour dire à l’entraîneur : -Si cela continue, je change mon fils de club : je ne vais pas continuer à faire les trajets pour qu’il joue dix minutes ! Actuellement, il faut être fou pour s’occuper des jeunes en Belgique. Un entraîneur risque tous les jours de se faire insulter, pour gagner combien ? 200 ou 300 euros ? J’ai été moi-même entraîneur de jeunes à Tubize. Un jour, j’ai arrêté parce que j’en avais marre. Je devais prendre un bouclier parce qu’il y avait des conflits permanents avec les parents, avec les autres entraîneurs ou avec la direction. En France, il y a plus de respect « .

D’Onofrio :  » Si les entraîneurs de jeunes sont mal payés en Belgique, c’est aussi parce que les clubs ont moins de moyens qu’en France. Tout part de là « .

Pourquoi les jeunes Belges partent-ils si tôt à l’étranger ?

Sablon :  » Pour moi, c’est l’évidence : 132 Belges de moins de 18 ans jouent déjà aux Pays-Bas. Vous avez bien entendu : 132, connus ou moins connus « .

Hazard :  » Il faudrait se demander : pourquoi ces 132 jeunes joueurs sont-ils partis aux Pays-Bas ? Si l’on prend cas par cas, il y a peut-être 132 raisons différentes « .

D’Onofrio :  » Les clubs néerlandais ont plus des moyens. J’en veux pour preuve le cas de Tom Soetaers, que Roda JC avait acheté à Anderlecht pour plus d’un million d’euros alors que le joueur n’avait que 18 ans « .

Eris :  » J’ajoute que Jordan Remacle a un meilleur contrat au RKC Waalwijk, 17e du championnat des Pays-Bas, qu’à Genk, 2e du championnat de Belgique. Mais ce n’est pas l’aspect financier qui l’a incité à quitter la Belgique. Son premier objectif était de jouer davantage. Cela ne s’est pas passé comme il l’aurait souhaité, mais c’était l’idée « .

Sablon :  » J’ai posé la question à Maarten Martens : – PourquoiastuquittéAnderlechtpourlesPaysBas ?Pourunequestionfinancière ? Il m’a répondu : – Absolumentpas !Parcequelaformationétaitmeilleure ?Absolumentpas ! Non, simplement parce qu’il avait plus de chances de jouer en équipe Première. Il a, effectivement, reçu cinq ou six matches pour faire ses preuves. Et, si cela ne réussissait pas du premier coup, il aurait encore reçu cinq ou six matches « .

D’Onofrio :  » Il faut reconnaître que les clubs néerlandais offrent plus facilement une chance aux jeunes joueurs que les clubs belges. Pour un jeune Belge, c’est très difficile de percer à Anderlecht, à Bruges et même à Genk. Pocognoli est entré dans l’équipe en janvier 2006 parce qu’il y avait des blessés sur le flanc gauche « .

Eris :  » Aux Pays-Bas, la philosophie qui prime est d’offrir délibérément une chance aux jeunes sans attendre la blessure d’un ancien. Pocognoli a, effectivement, dû attendre les blessures de certains titulaires pour s’imposer à Genk. J’irai même plus loin : à un moment donné, Ariel Jacobs a voulu transférer Michael Klukowski pour le poste d’arrière gauche. Je lui ai demandé : – Pourquoi transférer, alors que vous avez chez vous un jeune qui trépigne d’impatience ? A l’époque, déjà, RKC et AZ s’étaient manifestés. Eux croyaient en Sébastien ! Genk, beaucoup moins, visiblement « .

Hazard : » Dans mon cas, le choix de placer Eden en France à 14 ans n’a – croyez-moi ou non – jamais été guidé par des considérations financières. Je savais que mon fils avait certaines qualités. J’aurais pu le placer dans l’un ou l’autre club belge, où il suscitait déjà de l’intérêt. J’ai simplement estimé qu’il bénéficierait d’une meilleure formation en France. En outre, Lille est plus proche du domicile familial de Braine-le-Comte que Liège, Bruges ou Genk. Si Eden est parti, ce n’est pas une question de mauvais scouting de la part des clubs belges : Anderlecht avait déjà un £il sur lui lorsqu’il avait huit ans. J’ai à peu près répondu ceci au Sporting : – Vous pouvez le prendre, mais alors vous devez me le ramener chaque soir après l’entraînement ! Ce n’était pas possible et j’ai alors décidé qu’il mûrirait encore quelque temps dans le cocon familial. Un peu plus tard, Lille s’est présenté avec un projet cohérent : Eden est complètement pris en charge, sur le plan sportif et scolaire. Je ne pense pas m’être trompé en confiant sa destinée aux éducateurs lillois « .

par daniel devos – photos : michel gouverneur

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