Leader des Diables Rouges et star mondiale, Vincent Kompany est l’exemple à suivre du talent bruxellois bien décidé à répondre aux progrès de la formation à la liégeoise.
« Il y a un talent fou à Bruxelles, fruit d’un foisonnement de cultures, de caractères, de styles de jeu : c’est une richesse qui comporte beaucoup d’avantages ainsi que des problèmes à ne pas négliger » : Noureddine Moukrim (48 ans) sait de quoi il parle. Entraîneur des – 15 ans à Anderlecht, il a en quelque sorte bouclé la boucle, parti des parcs de Saint-Gilles pour se retrouver en finale de la CE 2 (1993, Parme-Antwerp à Wembley : 3-1) quelques années plus tard.
» Je suis épaté par les conquêtes de jeunes partis d’ici, comme Vincent Kompany ou Marouane Fellaini : c’est fantastique « , dit-il. » Aucune ville ne peut miser sur un tel réservoir. Bruxelles a évidemment un plus grand potentiel que Liège. L’éclosion de Vincent et de Marouane le prouve tout en ayant provoqué un déclic, un changement des mentalités : plus personne ne peut fermer les yeux devant ces joueurs doués qui font la différence. » United Colors of Brussels : la capitale a intégré ses diversités. Et cela explique en grande partie les succès du talent bruxellois.
A son époque de joueur, le talent d’origine nord-africaine de la capitale n’était pas encore considéré à sa juste valeur. Moukrim a dès lors pas mal voyagé pour se réaliser : La Forestoise, Tirlemont, Antwerp, Germania Teveren, Lebbeke, Namur, Tempo Overijse, sans oublier l’équipe nationale marocaine. Aujourd’hui, la donne est différente. » Et c’est bonne chose : il n’y a plus de freins à propos des footballeurs issus de l’immigration « , dit-il.
» De mon temps, c’était plus dur : d’autres étaient avantagés par rapport à moi. Le talent, c’est désormais un gros capital et la technique des gamins de Bruxelles peut rapporter gros. La population de la capitale s’est modifiée au fil des années et des courants de nouveaux venus : tout le monde a donc compris que le football bruxellois était bel et bien un filon. Les grands clubs belges, et même étrangers, surveillent tout cela de près. Anderlecht est le mieux placé, bien sûr, et bénéficie d’un outil de travail de haute qualité : au centre de formation, tout est fait pour que le talent se développe dans les meilleures conditions sans oublier l’essentiel : les études. »
» Le Club Bruges et le Standard, entre autres, pêchent dans les eaux bruxelloises « , poursuit notre homme. » Il y a des itinéraires surprenants, comme ceux de Nabil Dirar ou de GabyMudingayi. Quand ils jouaient à Bruxelles, personne n’aurait pu imaginer leur belle réussite en France ou en Italie. Ce sont des exemples mais…. méfiance car il est dangereux de mettre tous ses oeufs dans le même panier. Tout le monde n’a pas la classe, la présence et l’intelligence de l’ambassadeur numéro 1 du football bruxellois, Kompany.
En plus de l’organisation propre à Anderlecht, il a été parfaitement soutenu et accompagné par sa famille. Il a tenu à terminer ses études alors que la tentation de tout consacrer au football était grande. Au bout du compte, ces efforts ont donné naissance à une personnalité hors norme. Les familles doivent garder cet exemple en tête. »
» La pression est énorme, car le football c’est l’argent »
Le discours de Moukrim ressemble à celui de Seth Nkandu qui dirige l’académie Foot Street Intelligent de Berchem Sainte-Agathe. Bruges s’intéresse de près à son travail. Nkandu a su relancer Andrea Mutombo, développer le talent des Hervé Kagé, Petit Pelé Mboyo, AnthonyVanden Borre, MichyBatshuayi, etc. Chez lui, ils travaillent leurs atouts, le caractère, la discipline. » La pression est évidemment très forte sur leurs épaules « , souligne Nkandu. » En cas de réussite d’un jeune, c’est toute la famille qui se sort parfois d’une situation difficile. Mais l’échec est terrible si le fils doué ne réalise pas les espoirs placés en lui : il ne devient pas une vedette, n’a pas aidé les siens et se retrouve sans diplôme, donc sans travail, sans avenir. L’argent change les gens, c’est évident. Dès qu’il est question de sous, on voit la différence. Des parents m’implorent : – Occupe-toi de mon gamin, il a du talent. A 16 ans, il y a un contrat et leur univers change. Ce sont des moments délicats. Les jeunes sont quand même plus seuls entre 16 et 17 ans et leur entrée en équipe première. Ce début de réussite n’est pas facile à vivre. Tout le monde n’est pas apte à gérer la reconnaissance et le succès financier. »
» Si on ne tient pas compte de ces paramètres, le football passe à coté d’une de ses missions : l’intégration « , poursuit Nkandu. » J’insiste sans cesse sur des valeurs de base comme le respect, le travail, l’éducation et la discipline. Les joueurs étrangers apprennent évidemment à jouer dans les rues et les parcs. A Bruxelles, ces enfants pratiquent leur sport un peu partout, sur des espaces étroits, dans des agoraspaces. Ils apprennent à résoudre tous les problèmes techniques. Les joueurs originaires d’Afrique noire ont un avantage. Ils sont quasiment mûrs physiquement à 16 ans. Et cela intéresse les clubs. Autrement dit, on leur propose plus rapidement de plus grandes charges de travail. Cela leur offre un avantage appréciable par rapport aux » Européens » qui se développent parfois un peu plus tard : on ne rattrape pas facilement cet écart. »
Expert, Nkandu a travaillé avec tous les cracks de Berchem-Sainte-Agathe qui ne sont pas à l’abri d’un écart de conduite, comme on l’a vu à Charleroi, à Gand, en équipe nationale Espoirs. Quand ils sont les enfants d’une famille pas nécessairement unie, ils doivent être accompagnés sous peine de déraper. » A mon époque, on ne pouvait pas se permettre la moindre faute grave « , se rappelle Moukrim. » On repêche désormais des joueurs qui franchissent trois ou quatre fois la ligne rouge car il y a un enjeu financier en plus du rôle social. Anderlecht n’a pas retenu Michy Batshuayi, jugé ingérable, dont le Standard s’est tout de suite emparé. Kagé s’est retrouvé derrière les barreaux comme Mboyo dans une vie précédente. » Ils ont bien réfléchi après ces expériences négatives et en ont tiré les bonnes conclusions « , dit Nkandu.
» A Bruxelles, le football est redevenu une religion »
Grand manitou du FC Bleid Molenbeek, Michel De Wolf s’intéresse aux nouveaux talents bruxellois. A 55 ans, il est assez vieux pour avoir entendu parler de la fameuse colère de Roger Petit, l’ancien manitou de Sclessin qui dénonça » l’anderlechtisation de l’équipe nationale « . Rouche de rage, Petit suffoqua le 30 septembre 1964, à Anvers, quand Constant Vanden Stock remplaça Guy Delhasse par Jean Trappeniers au repos d’un match amical contre les Pays-Bas (1-0) : il y avait 11 Mauves sur la pelouse, dont sept Bruxellois. A cette époque, la capitale comptait régulièrement trois ou quatre clubs en D1 : Anderlecht, Union, Racing White, Daring, Crossing.
» C’est un fait que le talent bruxellois est dans l’obligation de s’exporter « , explique De Wolf. » Ici, il y a assez de joueurs pour bien peupler deux clubs de D1 et deux de D2. Si c’était le cas, le football serait nettement plus fort. Il y a aussi beaucoup de joueurs bruxellois dans les autres séries. Le mélange des cultures nous amène, plus qu’ailleurs en Belgique, des footballeurs qui ont faim, prêts à prononcer tous les efforts pour réussir. Même si ce n’est pas parfait, loin de là, les autorités ont investi dans les infrastructures.
Moi, je suis des joueurs très intéressants. A Bruxelles, le football est redevenu une religion. Avant d’accepter que la capitale avait changé de visage, on avait oublié les parcs, les rues, les tournois de quartiers, même le football en salle. Or, il y a là des pépites. Mais quand on y regarde bien, je vois surtout des petits immigrés ballon au pied dans ces parcs. En tout cas, ce talent ne demande qu’à s’exprimer et est au centre de toutes les attentions. On ne retrouve une telle concentration dans aucune autre ville du pays. «
PAR PIERRE BILIC-PHOTO : IMAGEGLOBE
» Le mélange des cultures nous amène, plus qu’ailleurs, des footballeurs qui ont faim. » (Michel De Wolf)
» Tous les clubs ont les yeux rivés sur Bruxelles, tant les jeunes talents y sont nombreux. » (Noureddine Moukrim)
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici