
UN MODESTE PRÉSENT
Anthony Modeste a parcouru des kilomètres depuis les sifflets girondins. À Cologne, tous les chemins qu’il emprunte mènent au but.
L’adage se veut simple. Il dit que la vie réserve nombre d’aventures et de surprises. Anthony Modeste peut être l’une d’elles. Lâché très tôt en nageur-sauveteur dans le grand bain niçois, le buteur français semble d’abord avoir besoin de brassards. Son physique filiforme rame entre échecs et réussites, buts surprenants et ratés qui le sont tout autant. Moins de dix ans après ses débuts, voilà le bien-nommé parmi les meilleurs artificiers européens, non loin des Messi, Suarez et Aubameyang.
» Je ne l’aurais pas vu aussi haut. On savait qu’il avait du potentiel mais peut-être pas autant « , avoue Malik Couturier, patron de la défense angevine lors de la saison-révélation de Modeste en L2. Julien Sablé, qui le croise à Nice et Bastia, ne partage pas cet avis : » Je ne suis pas surpris de sa réussite actuelle. Certains joueurs ont besoin de plus de temps pour arriver à maturité. Parfois, certains environnements ne sont pas forcément en adéquation avec le mental et la valeur d’un joueur. » Vrai, Anthony Modeste surfe aujourd’hui sur le Rhin.
FILS DE DÉFENSEUR CENTRAL
Le mètre 86 du Cannais de naissance donne l’impression d’une nonchalance trompeuse. S’il participe peu au jeu du » Effzeh « , son profil atypique se fond parfaitement dans l’exigence du Kolossal Fussball. Le bougre a pris en muscles. Ce qui ne l’empêche pas d’utiliser sa vitesse pour jouer derrière les lignes. » Il avait déjà ces grosses capacités athlétiques « , se souvient Sablé. » Mais attention, ce n’est pas qu’un simple point d’appui, il peut aussi prendre la profondeur. Il est rapide malgré son physique imposant. »
Des idées reçues qui rappellent celles portées à l’égard de Christian Benteke. Non, une grande taille n’est pas incompatible avec une technique de précision. Modeste subit ce type de clichés très tôt. Plus grand que les autres, il fait ses premières classes comme stoppeur. Le même poste occupé par son père, Guy, auteur d’un seul match de D1 avec Saint-Étienne en 78. Laurent Bonadéi, son éducateur en U15 à Nice, lui, ne se trompe pas sur son poste. » Déjà, à l’époque, il était capable de faire de bons appels, de bien se déplacer et surtout d’aller au duel. Il en sortait souvent vainqueur « , assure ce dernier à France Football. » On a beaucoup travaillé pour lui offrir une palette plus variée. »
EN SMART À ANGERS
Théoriquement, Modeste sait tout faire. Que ce soit au sol ou dans les airs. Mais dans les faits, il échoue à Nice, Bordeaux et Blackburn. Là, ses milieux le cherchent autant qu’il s’interroge sur lui-même. Sans pour autant perdre de vue ses objectifs. » Dans la vie, il est assez discret. Mais sur le terrain, c’est quelqu’un qui travaille beaucoup « , souligne Couturier. » À Angers, il ne parlait pas trop, il était là pour rebondir. » Ou pour se garer en travers, alors qu’il roule en… Smart. C’est peu dire que le Martiniquais d’origine en impose dans l’Ouest. Sur l’exercice 2009/2010, il fusille 20 fois, puis rejoint Bordeaux.
Sa saison et demie en Gironde récolte plus de sifflets que d’applaudissements. Exilé en Perfide Albion, le constat s’aggrave à Blackburn : 9 rencontres pour un carton rouge. Bastia fait malgré tout le pari de le signer à l’été 2012. Modeste se prépare tout seul chez lui, à Fréjus. Sablé le voit à l’oeuvre : » Il fait partie de ceux qui ont moins de talent mais qui comblent le manque en bossant. Ce que j’admire chez lui, c’est qu’il n’a pas peur de se remettre en question. » Avec 15 pions en Corse, il décroche son ticket gagnant pour la Bundesliga. Une confirmation tout autant qu’une surprise.
DÉGUISÉ EN BANANE
Les Teutons lui donnent la confiance et la camaraderie nécessaires. Deux bonnes saisons à Hoffenheim et son carnet de route s’arrête dans la quatrième ville d’Allemagne. Pour devenir l’atout majeur d’un FC Cologne à la recherche de son lustre d’antan. » Il a son caractère et est très sensible. Il a besoin d’avoir un ensemble d’éléments autour de lui pour pouvoir performer « , explique son coach et psychanalyste à Bastia, Frédéric Hantz, à France Football. » En revanche, s’il n’est pas bien physiquement et pas en confiance, il peut être surprenant, parfois maladroit. » Dans son nouveau cocon, Modeste met le bleu de chauffe.
Mais pas uniquement. Carnaval de Cologne oblige, il se déguise en banane pour défiler en ville. Une prestation remarquée qui lui vaut d’être le nouveau chouchou local, en lieu et place d’un autre Anthony, Ujah, parti en traître à Brême. Celui qui imitait la » petite voix » de Jean Tigana dans le vestiaire bordelais trouve enfin sa maison. Et il n’est pas près de la quitter. Après avoir refusé la Chine, il prolonge jusqu’en 2021 avec le » club de [son] coeur « . Le contexte familial prime. L’un de ses enfants, malade, bénéficie de l’efficacité des soins allemands.
PRÊT À PASSER AU BLEU ?
Buteur efficace dans le Big 5 avec déjà 17 pions en Bundesliga, la suite logique pour Modeste pourrait être l’équipe de France. Mais si PeterStöger verrait bien son poulain en Bleu, le coach Autrichien des Colonais sait que Didier Deschamps ne s’occupe que très peu de son avis.
Anthony Modeste ne rime pas avec avenir. À 28 ans, il n’a, d’autant plus, jamais disputé une seule rencontre européenne. Sans compter sur la concurrence à la pointe de l’attaque hexagonale. Cela dit, Gameiro est rappelé à 29 ans. Pareil pour Gignac alors qu’il évolue au Mexique. Sa prolongation à Cologne, avec la C3 en ligne de mire, s’inscrit dans le sens d’une recherche de régularité qui peut lui ouvrir les portes de Clairefontaine. Sablé : » À Bastia, il faisait parfois tellement d’efforts qu’il manquait de lucidité. Le niveau international, c’est ça. Il doit savoir défendre et marquer ensuite. »
Après un nouveau goal face au Bayern en octobre (1-1), il célèbre en mimant un émoticône, yeux écarquillés. C’est même devenu sa marque de fabrique, comme si Modeste reprochait au monde ses problèmes de vue. Peut-être doit-on y voir un message pour Deschamps…
Mais peut-il vraiment viser plus haut ? » Sa seule limite, c’est lui-même « , philosophe Sablé. » C’est surtout mentalement qu’il faut qu’il trouve la paix. La clé du très haut niveau, elle est là. Après, il faut se connaître. Est-ce qu’Antho est heureux avec ce qu’il a ? » Quoi qu’il en soit, le » Effzeh « , qui s’abstient d’Europe depuis 24 printemps, se ravi de ce que la vie vient de lui offrir : un Modeste présent.
PAR NICOLAS TAIANA – PHOTO BELGAIMAGE
» C ‘est surtout mentalement qu’il faut qu’il trouve la paix. La clé du très haut niveau, elle est là. » – JULIEN SABLÉ, COÉQUIPIER DE MODESTE À NICE ET BASTIA
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici