Un joyeux bordel

Si le Standard peine à retrouver les titres du passé, ses supporters ont toujours fait la différence. Rencontre avec un de ces groupes.

Patinoire de Liège, mardi dernier. Rendez-vous est pris avec plusieurs membres du PHK -Publik Hysterik. Un endroit de prime abord atypique pour rencontrer l’un des quatre grands groupes de supporters qui animent les travées de Sclessin. Mais quand on voit l’espace gigantesque qui leur est réservé, on comprend vite. A l’arrière de la patinoire, Didier, Jef, Lin’, Ben et Tchak jettent les premières bases d’un de leurs futurs gros tifos. Par contre, pas de précision quant au jour où le tifo sera déployé, ni à propos du message qu’il véhiculera. On tient à ce que la surprise soit totale… Règle d’or d’un mouvement débuté le 9 avril 2004. Une date synonyme de classico Standard-Anderlecht.

 » Lors du funeste 0-6 du 2 mai 1999, les supporters mauves, avaient au-delà du score, occupé pratiquement l’entièreté de la tribune côté Meuse (tribune 4). Les voir nous allumer, ça donnait les boules « , se remémore Didier, un des cinq membres fondateurs du groupe et dernier réel survivant.

Si ce match fut parmi les éléments clefs de la naissance du PHK, les nombreux voyages de Didier à l’OM, où les groupes ultras se partagent les deux virages du stade Vélodrome, en est un autre.  » Avec quatre, cinq amis, on se rendait régulièrement à Marseille. Au fil du temps, des liens se sont noués avec des supporters marseillais. On était subjugués par l’ambiance qu’ils parvenaient à créer grâce aux différents groupes « .

Dans la même veine marseillaise, existaient déjà au Standard, depuis 1996, les Ultras Inferno. Premier véritable groupe pouvant se rattacher à la mouvance ultra (dont l’origine est italienne et où les groupes défendent leur territoire dans le stade, leur club et leur ville) en Belgique, il occupe une belle partie du deuxième étage de la tribune 3 au Standard.  » En s’implantant en face, on n’a pas voulu faire une pâle copie de ce que les UI faisaient déjà « , explique Didier.  » S’il existe inévitablement quelques points communs, on s’inspire plus de ce qui se fait en Argentine ou au Brésil. C’est pourquoi on a baptisé notre tribune Torcida Meuse  »

Torcida ?  » Le nom donné aux virages des stades brésiliens situés derrière les buts. Là où la ferveur est à son comble. Pendant un match, on veut que ça y ressemble : créer un joyeux bordel avec un maximum de bruit. Créer une sorte d’hystérie collective…  »

Lors de la prochaine rencontre à domicile face à Mons, le PHK fêtera ses 3 ans. Le benjamin des quatre principaux groupes de supporters ( Kop Rouche, Hell-Side et Ultras Inferno) s’est en un temps plutôt court, bien développé. Pour une quinzaine de membres lors de la date inaugurale face aux Mauves, le groupe en compte aujourd’hui plus de 200.

 » Tous unis, PHK O4  »

Didier :  » C’est vrai que le changement est marquant par rapport à notre première. Ce jour-là, on avait réalisé un tifo avec les moyens du bord. On avait fait des confettis, placé des ballons rouges à l’effigie d’un célèbre syndicat sur plusieurs sièges. En espérant que lors de la montée des joueurs, cela aurait son petit effet. Tout en sachant parfaitement que la grande majorité des supporters qui composaient la tribune n’avait rien avoir avec le move. Ce jour-là, on avait apposé notre première banderole aux rambardes du stade, avec comme slogan : Tous unis, PHK O4  »

L’évolution du PHK a obligé un réel partage des tâches. On est peut-être loin des multinationales des grands groupes italiens, espagnols ou français (exemple, les South Winners, groupe ultra de l’OM, qui compte en ses rangs environ 5.500 membres), le PHK, qui aura la saison prochaine le statut d’ASBL, a toutes les allures de l’entreprise. Un site internet, une branche comptabilité, du merchandising, un fanzine trimestriel, des rentrées financières (tombolas, soirées ou autres)… Une foule d’activités qui nécessitent une logistique mariée à un engagement personnel. Jef, étudiant en première candidature de droit à Liège, est monsieur photo du PHK, il a notamment l’autorisation de la direction du Standard pour se balader partout dans l’enceinte du stade et prendre les meilleurs clichés des tifo. Mais c’est également celui qui coordonne et organise l’ensemble des déplacements en car.  » C’est difficile de quantifier l’engagement que ça représente, car ça dépend beaucoup des périodes. Mais en moyenne, je dois consacrer deux heures par jour au groupe « .

Didier :  » Je dois en être également à deux heures par jour. C’est un investissement considérable d’autant que je travaille la journée. Je suis le dernier des fondateurs à être toujours au poste. Pour certains, l’euphorie des débuts a cédé à la lassitude. Quand travailler pour le groupe devient une corvée, il faut en tirer les conclusions « .

Vu la passion qu’on lit dans ses propos, il ne semble pas près de mettre un terme à sa participation, d’autant  » que le groupe est encore trop jeune, je ne peux pas les laisser tomber maintenant « . Un groupe jeune et en constante évolution, tout comme ses trois lettres PHK qui pourraient, elles aussi, évoluer.

En plus du dévouement quotidien, être supporter fanatique a aussi son coût. A fortiori, pour les étudiants ou chômeurs, la passion a des effets dévastateurs sur le portefeuille.  » Si vous réalisez le grand chelem (la totalité des déplacements tout au long du championnat), il faut débourser un sacré budget. Surtout quand on voit le prix déraisonnable en déplacement « , stigmatise Jef.  » A cela, il faut ajouter le voyage en car et l’abonnement à domicile sur lequel on a heureusement une ristourne quand on appartient à un groupe de supporters officiel. Et pour ceux qui, comme moi, multiplient les coups de téléphone, c’est également à nos frais. Pour un étudiant, la facture est salée : tous les mois, j’en suis à environ 70 euros « .

La parenthèse de Tribune Libre

Si les médias évoquent souvent les dérives entre noyaux durs des différents clubs, à juste titre parfois (le match retour de Coupe de Belgique entre le Standard et l’Antwerp a donné lieu à une soixantaine d’arrestations), il arrive également, quand la raison l’emporte, que des coalitions entre différents groupes se forment. C’est notamment ce qui s’est passé lors de la création de Tribune libre. Suite à la surenchère pratiquée pour les places réservées aux visiteurs, les Storm ultras, supporters de Charleroi, ont montré leur indignation en créant un groupe de pression. S’y sont joints plusieurs sections de supporters dont, entre autres, les Drughi de Genk, la Mauves Army d’Anderlecht, mais aussi les Ultras Inferno et le PHK.

 » Evidement, ça fait bizarre de se retrouver tous autour d’une table « , rigole Didier.  » Mais bon… on le fait pour le bien du portefeuille. Malheureusement, ça n’a pas changé grand-chose. On continue à se moquer de nous. En guise de protestation, nous étions les seuls à avoir boycotté les déplacements à Bruges la saison dernière. Le 21 avril prochain pour le match à Saint-Trond, où le prix des places est fixé à 20 euros (!), on a décidé d’effectuer le déplacement en vélo. Une manière d’économiser sur le prix du car… On invite d’ailleurs tous les supporters à nous rejoindre « .

 » Nous sommes antiracistes  »

Si à l’occasion de Tribune Libre, les angles entre supporters avaient été arrondis dans l’intérêt général, l’opposition ne semble pas pour autant faiblir en intensité. Dans les années 80, les duels épiques, notamment entre le O-Side et le Hell-Side, la branche dure des supporters d’Anderlecht et du Standard, ont fait des dégâts corporels et les gros titres des journaux. Aujourd’hui, les faits de hooliganisme diminuent, mais la rivalité a pris une tangente différente, heureusement moins violente.

Didier :  » Avant ça se réglait à coups de ceinture, maintenant, internet a pris le pas. Ce qui n’est pas du tout mon style : c’est devenu de la provoc ridicule. Avec la Loi football, il y a une énorme répression et beaucoup d’interdits de stade. Ce qui a fait naître le mouvement ultra en Belgique au détriment du mouvement hools « .

Tchak :  » Le paradoxe, c’est que nous vivons dans une société plus violente qu’auparavant, mais cette violence touche moins les stades « .

S’ils se définissent comme des ultras ? Lin’, une des trois filles du groupe les plus actives :  » Les ultras sont généralement politisés et rejoignent un des deux extrêmes des bords politiques, ce n’est pas notre cas. Même si on affiche comme les UI notre antiracisme lors d’événements « .

 » Mais il n’y a pas de drapeaux du Che qui flottent dans notre tribune par exemple « , signale Didier.  » D’ailleurs, le personnage a trop souvent été récupéré, il est devenu cliché « .

 » Les Ultras sont nos grands frères  »

Les différents membres ont un avis bien tranché sur leurs collègues du Standard et d’ailleurs.  » Les Ultras Inferno ont été les précurseurs du mouvement « , explique Ben, le plus jeune du groupe présent à l’interview.  » Ce sont les premiers et ne seront jamais égalés « .

Didier : » Ce sont nos grands frères. Les autres ne sont qu’une pâle copie. C’est à se demander s’ils comprennent réellement ce que ultra veut dire. Seuls ceux de Genk et de Charleroi apportent quelque chose. Pour les petits clubs, il faut cependant voir les moyens dont ils disposent « .

par thomas bricmont – photos : phk

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