Un gorille dans la brume

Le gardien originaire de Dinant a participé activement à la campagne européenne de Liège en 1989-1990. Notamment contre le Rapid Vienne.

Le commentaire de Roger Laboureur, ancien journaliste de la RTBF, résonne encore dans nos oreilles :  » J’ai entendu un coup de sifflet. Je pense que le match vient de commencer. Je vois des ombres qui se déplacent mais malgré ma bonne volonté, c’est impossible. Je n’y vois rien « .

On est le 6 décembre 1989. Le FC Liégeois dispute son huitième de finale de Coupe UEFA face au Rapid Vienne, dans un brouillard indescriptible. Les buts des Sang et Marine sont gardés par Jacky Munaron. 18 ans plus tard, c’est sur le parking de l’ancien stade de Rocourt qu’on lui a donné rendez-vous. Il est arrivé plus tôt que nous. Sans doute pour se laisser envahir par ses souvenirs. Aujourd’hui, ce n’est plus le reliquat du passé qu’il observe mais un complexe cinématographique, autre source de loisir. De l’antre du FC Liégeois, il ne demeure rien :  » J’ai fait tout le tour pour voir s’il ne restait pas un morceau de l’ancien stade mais en vain « . Il montre du doigt et nous décrit la configuration ancienne des lieux.  » Le deuxième terrain se trouvait ici et, là-bas, derrière les arbres, il y avait les bâtiments administratifs. Le stade était précédé d’une sorte de vaste cuvette transformée aujourd’hui en parking. Nous, on arrivait par l’arrière. Et au fond se trouvait un emplacement avec talus et escaliers. C’est là que l’on souffrait lors des entraînements physiques de Robert Waseige. On l’appelait le circuit des paras « .

Depuis la démolition du stade, Munaron n’est jamais revenu :  » J’étais passé devant lorsqu’il était abandonné mais pas encore détruit. Cela faisait bizarre. On voyait des buts pliés, des carreaux cassés. Les herbes poussaient un peu partout et j’ai même entendu dire que cela était devenu un repaire de junkies. J’avais un petit pincement au c£ur et je me rendais vraiment compte où pouvait mener une faillite. C’est dommage que l’on n’ait pas conservé le lieu pour un autre stade. Le site était idéal. On pouvait penser à des agrandissements sur la longueur et la largeur. Pas comme à Anderlecht où on est limité d’un côté par le parc Astrid et de l’autre par les habitations. De plus, ici, on est à 100 mètres d’une sortie d’autoroute. Je connais beaucoup de formations qui en auraient été jalouses « .

Il continue le tour du propriétaire :  » Quand on faisait stade comble, il y avait une certaine ambiance, malgré le vélodrome qui entourait la pelouse. Je me souviens aussi de ce tunnel qu’il fallait traverser pour arriver sur le terrain : unique en Belgique. On passait en dessous de toute la tribune et on débouchait derrière les buts. Les vestiaires étaient immenses. Le club a dû avoir des factures de chauffages corsées « .

 » Nous n’aurions jamais dû jouer ce match  »

Parti de Dinant à 16 ans, Munaron avait passé toute sa carrière à Anderlecht lorsque relevant de problèmes au genou (tendon rotulien), il se fit signifier son congé par son employeur. A 33 ans, le voilà qu’il devait prendre son bâton de pèlerin à la recherche d’un nouveau club :  » Tout le monde doutait de mes capacités physiques. Je n’avais plus disputé une rencontre depuis le mois de février mais Waseige a cru en moi. C’était le seul. J’ai débarqué à Rocourt pour remplacer Ranko Stojic qui avait effectué le chemin inverse vers Anderlecht. La compétition avait déjà démarré. Je n’avais donc pas pris part à la préparation. Je m’étais entraîné tout l’été avec Nico De Bree, à l’écart du noyau A anderlechtois « .

Quelques mois plus tard, Munaron montrait toute l’étendue de ses qualités dans un match de Coupe d’Europe rendu célèbre par sa purée de pois :  » Nous n’aurions jamais dû jouer ce match. Normalement, il faut pouvoir voir les poteaux de corner, ce qui n’était absolument pas le cas. L’arbitre aurait dû remettre la rencontre mais il ne l’a pas fait, au grand dam de l’entraîneur du Rapid Vienne, Hans Krankl, qui a déposé une réclamation, une fois son club éliminé « .

Pourtant, le match avait bien lieu :  » A Vienne, lors du match aller, nous avions souffert du froid. Le terrain était lourd. C’était le début de l’hiver et on avait même aperçu quelques flocons de neige. On s’était incliné 1-0 sur un très beau coup franc mais on avait hérité de quelques belles possibilités et on s’était mordu les doigts de ne pas en avoir mis au moins une au fond « .

Arrive alors ce 6 décembre :  » Il nous manquait quelques titulaires : Nebosja Malbasa, Jean-Marie Houben et Didier Quain étaient blessés. C’étaient des pions importants dans notre système. Il avait fallu placer Frédéric Waseige au poste de stopper. Et quand tu vois le match que lui, Jean-Marc Bosman et Vincent Machiels ont disputé, on ne pouvait que se féliciter de la qualité des remplaçants « .

Les Sang et Marine débutaient la partie pied au plancher :  » C’était 3-0 à la mi-temps mais vu les conditions atmosphériques, je ne me souviens d’aucun des buts « . La télévision non plus puisque sur le premier envoi de Waseige, Laboureur lança :  » Figurez vous que Liège, paraît-il, a marqué « .

Ce match se déroulait comme dans un rêve. Waseige, Luc Ernes et Danny Boffin avaient donné l’avantage aux Liégeois et personne ne doutait que le club allait continuer un parcours européen qui l’avait déjà mené en Islande et en Ecosse.  » Au premier tour, nous avions rencontré Akranes (2-0, 4-1). Le terrain se situait en bord de mer et il y avait un terrible vent qui balayait toute la largeur. Si j’effectuais mes dégagements au milieu, je pouvais être certain que mes ballons filaient dehors. On avait profité de ce périple en Islande pour voir des geysers et prendre des bains d’eau bouillante. Au deuxième tour, on avait sorti difficilement les Ecossais d’Hibernian (1-0 chez nous et 0-0 là-bas). A Edimbourg, on avait débuté le match en retard, ce qui nous avait passablement énervés. Hibernian disputait un jeu typiquement écossais : de longs ballons balancés dans le grand rectangle. Mais on avait du répondant sur le plan physique. Liège possédait un groupe qui savait aller au charbon. Prenez par exemple Moreno Giusto qui n’avait peur de personne. Autant en dehors du terrain, c’était une crème, autant dans un match, c’était une brute. L’année suivante, on devait se déplacer à Estrella Amadora, au Portugal. Je lui avais dit que si l’attaquant adverse ne marquait pas, je lui payais une eau de toilette. Il était très coquet… Au retour, dans l’avion, il est venu me taper sur l’épaule en disant – Jacky, tu n’as pas oublié ? L’attaquant n’avait pas marqué… « .

Finalement, les hommes de Waseige se sortirent du piège écossais grâce à une frappe puissante de Jean-François de Sart :  » Ah, cet obus de Jules ! A l’époque, on donnait des surnoms à tout le monde. Pour ne pas confondre de Sart et Jean-François Lecomte, on avait affublé notre libéro du surnom de Jules. On avait fonctionné de la même manière pour différencier Bernard Wégria et Bernard Habrant. Wégria, c’était Oscar. Il n’y avait donc pas de confusion sur le terrain « .

 » Même ceux qui n’étaient pas des guerriers retroussaient leurs manches  »

6 décembre 1989. 3-0 à la mi-temps. Match plié ? On était loin du compte.  » On commençait souvent à 100 à l’heure mais on ne savait pas tenir ce rythme pendant 90 minutes. Plusieurs fois, on a eu quelques passages à vide. Cette année-là, on avait atteint aussi la finale de la Coupe de Belgique contre Ekeren. Suivant notre habitude, on avait ouvert le score très vite mais les routiniers du Germinal avaient laissé passer l’orage et nous avaient rejoint au score. Contre Vienne, on a failli vivre le scénario catastrophe. Les Autrichiens avaient réduit le score et à six minutes de la fin du match, je vois Bernard Wégria poursuivre l’attaquant adverse dans notre rectangle. Je lui crie – Calme ! mais il touche la cheville en allant au duel. L’arbitre a sifflé penalty. Le président André Marchandise était en train de passer derrière le but pour nous féliciter à l’entrée des vestiaires. Je le revois encore se passer la main dans les cheveux, l’air de se dire – Mais qu’est-ce qui nous arrive ? « .

 » L’attaquant norvégien, Jan Aage Fjörtoft pouvait devenir un héros s’il marquait : c’était déjà lui qui avait réduit le score et il pouvait offrir la qualification. Contre Hibernian, j’en avais déjà arrêté un. Dans ces moments-là, je la jouais souvent au bluff. Je me rendais au point de penalty. Je fixais le tireur dans les yeux pour montrer que je n’avais pas peur et qu’il devait encore me passer dessus avant de fêter son but. Après, tout se joue à l’instinct. Il faut rester debout le plus longtemps possible et partir au dernier moment. Là, tu sors tout ce que tu as dans les tripes. Contre Vienne, le tireur l’a placé à ma droite. J’étais parti du bon côté. J’avais mis deux mois pour revenir à mon niveau. Cette année-là, mon genou m’a fait souffrir toute l’année. Parfois j’éprouvais du mal à suivre le rythme de deux entraînements journaliers mais après Vienne, je me suis dit que j’avais remboursé mon transfert « .

Un an après déjà avoir connu une belle épopée européenne (éliminé par la Juventus), Liège atteignait les quarts de finale. Au programme : le Werder Brême.  » On a connu un jour sans, à l’aller chez nous. On s’est incliné 1-4 mais même après cette défaite, on est allé en Allemagne avec l’envie de gagner. C’était un peu la marque de fabrique de ce groupe. On s’est imposé 0-2 et, avec un peu de chance, on aurait pu passer. Ce noyau ne baissait jamais les bras. C’était un peu la griffe de Waseige. Il avait inculqué à chacun ce qu’il appelait la grinta et même ceux qui n’avaient pas l’image de guerriers retroussaient leurs manches. En défense, il fallait se farcir des gars comme Giusto, Habrant et Wégria. Et de Sart complétait la ligne arrière avec son intelligence, sa vista et son placement. Il dirigeait les guerriers. Dans l’entrejeu, on avait deux flancs extras : Luc Ernes était une locomotive, qui usait sans cesse son adversaire. Il démarrait dix fois et à la fin, son vis-à-vis craquait. Il avait une santé de fer. Son pendant, Danny Boffin, avait aussi un coffre incroyable. Il pouvait couvrir des kilomètres. Houben conservait très bien le ballon et s’infiltrait. Quant à Quain, il servait de libéro de la deuxième ligne. Il coupait les angles. Enfin, devant, les deux Yougoslaves, Malbasa et Zvonko Varga, ne vivaient que pour le foot. Quand je suis arrivé d’Anderlecht, ils voulaient tout savoir sur le club de la capitale : ce qu’on mangeait, comment on s’entraînait, etc. Ils étaient vraiment charmants. Tout comme Cvijan Milosevic qui a débarqué à Rocourt l’année suivante. On sentait, chez eux, le plaisir de jouer : quand ils étaient blessés, ils étaient malades de ne pas pouvoir fouler la pelouse « .

 » Si Marchandise avait écouté Waseige, le club s’en serait mieux porté  »

Munaron est resté trois ans à Rocourt de 1989 à 1992 :  » Il y avait un monde de différence par rapport à Anderlecht où les médias nous collaient rapidement un statut de vedettes. A Liège, les joueurs vivaient plus simplement. Attention, cela ne veut pas dire qu’ils n’avaient pas le niveau. Que du contraire puisque de Sart, Houben et Boffin ont transité par Anderlecht ! Mais à Liège, la pression n’existait pas. On ne voyait les journalistes que les lendemains d’exploit. Quand je suis arrivé, j’ai tout de suite remarqué que le groupe se connaissait bien. Le socle du succès du FC Liégeois, c’était cette connivence. Ce groupe a vécu longtemps ensemble. A Anderlecht, il n’y a pratiquement pas de contacts entre joueurs… même si cela change depuis que Frankie Vercauteren a instauré le team-building « .

A Liège, Munaron a découvert une autre facette du métier. Lui qui avait tout gagné avec les Mauves a trouvé la motivation nécessaire pour arracher un autre trophée.  » Si le match contre Vienne constitue une sorte de renaissance, celui contre Ekeren, en finale de Coupe est une apothéose. La rentrée de Malbasa, après l’égalisation anversoise, avait été décisive. Je n’étais pas blasé après mon séjour anderlechtois. Je voulais continuer à gagner des trophées. Un sportif de haut niveau ne vit que pour cela : les prix de fin de saison. De plus, dans le vestiaire liégeois, il ne fallait surtout pas y entrer avec le gros cou. Je me suis adapté en restant simple et ne faisant aucune esbroufe. Ils ont senti ma sincérité. Je faisais la route tous les jours mais quand il y avait deux entraînements par jour, il arrivait que Malbasa, Ernes ou Habrant m’invitent à déjeuner chez eux. Non seulement, je percevais qu’ils respectaient ma carrière mais qu’ils me respectaient aussi comme homme « .

Aujourd’hui, Munaron regrette qu’un pan de sa carrière se soit effacé avec le stade :  » Le président portait Liège dans son c£ur mais s’il avait écouté Waseige, qui était plus réaliste, le club s’en serait mieux porté. A la fin de cette saison 1989-90, Anderlecht avait proposé une somme incroyable pour s’attacher les services du trio de Sart-Houben-Boffin mais Marchandise avait refusé. Il caressait le rêve de devenir champion pour les 100 ans du club et il voulait les conserver. Mais ce rêve a bousillé le club. Un an plus tard, les trois sont partis à moindre prix et Liège n’a pas décroché le titre…  »

Après Liège, la carrière de Munaron est rentrée en léthargie. Au Standard, il dut se contenter du rôle ingrat de deuxième gardien :  » J’avais reçu trop de coups. Mon corps était fatigué. Le niveau était toujours bon mais la carrosserie plus. J’ai connu quatre opérations lors de ma dernière année au Standard « . Il prit alors la direction d’Alost où il commença à s’occuper des gardiens. Une nouvelle page s’ouvrait…

par stéphane vande velde / photos: reporters/buissin

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